Situation insurrectionnelle en Serbie depuis 9 mois


Un processus révolutionnaire en cours dans les Balkans, quasi-silence des médias et de la gauche européenne


Le 14 août, une deuxième nuit d’émeute consécutive a eu lieu dans toute la Serbie. Des affrontements ont éclaté à Belgrade, la capitale, mais aussi dans les autres grandes villes : Novi Sad, Nis, Kraljevo… Les locaux du parti au pouvoir et les lieux symbolisant le gouvernement ont été pris pour cible, des fusées et feux d’artifice ont répondu aux grenades de la police, des bagarres très violentes ont opposé les manifestants et des milices pro-gouvernement.

Cette flambée fait suite à une agression commise dans la petite ville de Vrbas, dans le nord du pays, il y a quelques jours. Des étudiants y avaient organisé une manifestation devant une permanence du parti au pouvoir, et ont été agressé par les soutiens du président Vucic, armés de pierres et de bâtons, sous le regard complice de la police. Un membre du parti a même sorti une arme à feu et tiré en l’air. Le régime utilise fréquemment, depuis des années, des bandes de hooligans pour terroriser les opposants et pour compléter la besogne de la police officielle.

Cela fait plus de 9 mois que la Serbie traverse une situation insurrectionnelle. 9 mois de lutte contre la corruption, l’autoritarisme et le gouvernement en place. Tout a commencé le 1er novembre 2024, à Novi Sad, la deuxième plus grande ville du pays. Un auvent en béton situé devant la gare s’effondrait sur des passants, tuant 15 personnes. Officiellement, les autorités venaient de faire rénover la gare par des entreprises chinoise, française et hongroise.

Le drame a déclenché une vague de colère qui couvait depuis longtemps contre la corruption des dirigeants, en particulier contre Parti Progressiste Serbe (SNS). Celui-ci n’a de progressiste que le nom : il s’agit en réalité d’un grand parti de droite, autoritaire et corrompu. Il a été fondé par des ultra-nationalistes, dont certains sont accusés de crimes durant la guerre en ex-Yougoslavie.

Depuis novembre donc, des centaines de milliers de personnes manifestent toutes les semaines, et la jeunesse étudiante est en première ligne. Au-delà d’une exigence de transparence et de vérité sur la rénovation de la gare de Novi Sad, le mouvement exige l’arrestation des miliciens qui attaquent les étudiant-es et les professeur-es depuis le début des manifestations, l’abandon des poursuites contre les personnes arrêtées, et une hausse de 20% du budget de l’enseignement supérieur. Plusieurs responsables politiques ont déjà annoncé leur démission, notamment l’ex-premier ministre. Mais le président s’accroche.

Le 13 août, des centaines de milliers de personnes étaient dans la rue dans une douzaine de villes serbes. À Novi Sad, les locaux du SNS ont brûlé. Le 9 août, une manifestation avait lieu à Belgrade pour réclamer le retour au pays d’Helena Strugar, une étudiante expulsée de Serbie pour avoir filmé les miliciens au service du régime.

Le 28 juin, 140.000 serbes défilaient contre la corruption et pour exiger des élections législatives anticipées. En parallèle, les étudiant-es organisent des centaines de blocages et de barrages dans tout le pays depuis le début de l’été. Et ils tiennent bon malgré la répression : à chaque fois que la police débarque, la foule se disperse puis se reforme plus loin pour bloquer une autre route. La répression est de plus en plus violente, des centaines de personnes ont été hospitalisées et les arrestations sont très nombreuses. Les images de ces dernières nuits montrent de véritables rafles.

Le 15 mars, plusieurs centaines de milliers de personnes s’étaient réunies pour observer une minute de silence en hommage aux morts de Novi Sad. La police a utilisé un canon à son pour disperser la foule, créant alors un dangereux mouvement de panique.

Le 4 mars, en séance parlementaire, l’Assemblée a été le théâtre de confrontations. Des membres de l’opposition ont brandi ces messages aux députés de la majorité : «Vos mains sont ensanglantées et répondez aux demandes des étudiants !», «La Serbie se lève pour que le régime tombe», et ont envoyé des fumigènes rouges et noirs ainsi que des fusées éclairantes dans l’hémicycle. Une bagarre a eu lieu entre les députés.

Ce ne sont que quelques exemples parmi d’innombrables autres actions diverses, qui ont lieu presque tous les jours depuis 9 mois. Ce mouvement est insaisissable, il dénonce à la fois l’extrême droite au pouvoir, Trump et Poutine ou encore l’Union Européenne, il soutien l’écologie… Depuis plusieurs mois, les protestataires ont créé des Assemblée nommées «zbor», l’équivalent des soviets, pour organiser démocratiquement le mouvement. Leur slogan : «Les rues appartiennent au peuple».

Le mouvement se joint également à une grande lutte contre une mine de lithium qui dure depuis des années dans l’ouest de la Serbie. Un projet polluant soutenu par l’UE dans la vallée du Jadar, confié à un géant anglo-australien qui veut extraire 60.000 tonnes de lithium chaque année pour équiper 1,1 million de voitures électriques en Europe. En 2021, des manifestations et des blocages avaient stoppé le projet, mais il a été relancé depuis. Et déjà, le pouvoir avait utilisé des miliciens pour frapper des habitant-es mobilisé-es.

C’est donc une lame de fond qui secoue la société serbe. Sous la pression de la rue ces derniers mois, le gouvernement a déjà été remanié, le Premier ministre remplacé, et plusieurs anciens ministres ont été arrêtés et inculpés.

La révolte qui dure ressemble de plus en plus à un processus révolutionnaire. Que font les pays européens face à cette situation ? Ils gardent le silence. La France a même vendu des armes au gouvernement corrompu. Mais le mouvement continue de monter en puissance, il pourrait renverser le pouvoir et donner des idées ailleurs en Europe…

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