C’est le retour de l’automne : les joyeuses promenades en forêt, les jolies feuilles jaunes et oranges, la sympathique odeur des sous-bois le dimanche, les cueillettes aux champignons en famille… et les détonations meurtrières de chasseurs dans les campagnes.

Un «loisir» meurtrier
Ce dimanche 19 octobre vers midi, une battue au sangliers s’est terminée par un drame : un homme, lui-même chasseur âgé de 64 ans, a été tué par ses collègues après avoir reçu une décharge de chevrotine sans le bas ventre. Le tireur, âgé de plus de 80 ans, affirme qu’il visait un animal.
En octobre 2024 dans le Var un trentenaire, parti cueillir des champignons avec des amis en forêt, a reçu un tir dans la jambe par un chasseur de 83 ans. Il a dû être amputé, sa jambe ayant été «pulvérisée» par la munition. La victime dit avoir eu la sensation de sauter sur une mine. Le chasseur octogénaire vient d’être condamné à 8 mois de prison avec sursis. Au procès, il s’est défendu en déclarant «pour moi, c’était un cochon». En Corrèze, le 19 octobre, un automobiliste a reçu pas moins de 6 tirs de plombs dans son véhicule, alors qu’il circulait. Il suffit de feuilleter la presse locale pour trouver d’innombrables affaires du même type.
Selon l’Office français de la biodiversité (OFB), le nombre d’accidents mortels lors de parties de chasse est en hausse. Durant la saison 2024-2025, 11 décès ont été recensés, et plus de 100 «accidents», avec parfois des conséquences irréversibles. Il s’agit du chiffre le plus élevé depuis la saison 2019-2020. Outre les dizaines de millions d’animaux tués chaque année en France, il y a aussi des dizaines de personnes blessées et des tuées accidentellement par des chasseurs. En 20 ans, plus de 410 personnes ont été tuées lors de parties de chasse et plus de 2500 blessées. À titre de comparaison, dans le même temps les attentats terroristes ont fait un peu moins de 300 victimes.
Sébastien Lecornu, «Monsieur chasse» à Matignon
Tout le monde sait que Sébastien Lecornu a truqué son CV, en mentionnant un diplôme qu’il n’a jamais obtenu sur le site du gouvernement, qu’il est un lobbyiste du réarmement et un artisan du rapprochement entre le macronisme et l’extrême droite. On sait moins que l’actuel Premier ministre a d’abord été le «Monsieur chasse» du gouvernement. Il a entamé, dès l’élection de Macron, alors qu’il était secrétaire d’État au ministère de la Transition écologique, une grande réforme réclamée par la Fédération des chasseurs.
Ainsi, en 2019, le gouvernement baissait massivement les prix du permis de chasse. Cela a eu pour effet de faire exploser les cotisations : plus de 28 millions d’euros en 2020 et en 2021, alors qu’elles étaient autour de 11 millions d’euros les années précédentes. Un quasi triplement des recettes, joli cadeau. Ensuite, le gouvernement distribue directement l’argent de l’État à la Fédération. 11,46 millions d’euros ont été offerts aux chasseurs en 2021, alors que la structure ne recevait que 27.000 euros de subventions en 2017. Cela représente une augmentation de 23.000% entre 2017 et 2021 ! Et dire que des associations vitales, comme le planning familial ou des structures sociales, ont vu leurs subventions fondre au même moment !
Enfin, la Ligue de Protection des Oiseaux dénonçait le 7 mars 2022 l’attribution de plus de 2 millions d’euros au monde de la chasse par l’Office français de la biodiversité, soi-disant pour sa contribution «à la protection et la reconquête de la biodiversité». Un fonds donné sans contrôle. Orwellien.
Ce n’est pas tout : Sébastien Lecornu a pris position pour les chasses dites «traditionnelles», comme l’abominable «chasse à la glu», qui consiste à enduire les branches d’arbres de colle forte. Les oiseaux qui viennent s’y poser se retrouvent piégés et meurent dans d’atroces souffrances. Lecornu plaidait aussi pour le maintien de la chasse au filet et à la tenderie, qui piègent les volatiles. Ces méthodes ont été suspendues par la justice européenne, mais Lecornu a estimé qu’il s’agissait d’un «patrimoine culturel» à préserver et a appelé le parlement a les réautoriser. La Fédération Nationale des Chasseurs vantait en 2020 le «dialogue renoué avec l’État grâce à Sébastien Lecornu a permis d’avancer sur des dossiers bloqués depuis des années».
Le macronisme et les chasseurs sont de vieux alliés. Dès décembre 2017, Macron passait une alliance secrète avec les chasseurs. C’était le «pacte de Chambord» : il organisait alors une partie de chasse autour du château de François Premier, et assurait le patron des chasseurs de son soutien. Un an plus tard, Lecornu pose, fusil en main, sur un site de chasse dans les Yvelines. L’accord paie au début du mouvement des Gilets Jaunes. À l’automne 2018, la Fédération appelle à boycotter le mouvement des ronds-points. En échange, le gouvernement fait de gros cadeaux aux chasseurs. Aux Élections Européennes, la Fédération appelle à voter En Marche.
Pendant le confinement, les chasseurs obtiennent des dérogations pour pouvoir sortir tuer des animaux. Et même des pouvoirs de police. En avril 2020 par exemple, le préfet de Seine et Marne charge des chasseurs d’appuyer les forces de l’ordre lors du confinement. Ils étaient sensés «prévenir et signaler aux représentants des forces de l’ordre les infractions aux règles locales du confinement».
Pendant la campagne présidentielle de 2022, le patron des chasseurs, Willy Schraen avait assuré son soutien total au président, précisant qu’il mettait «toute son énergie pour répondre à nos demandes» et ajoutant «il ne m’a pas déçu». Ce dernier tient par ailleurs des propos climatosceptiques et cogne sur les écologistes à chaque intervention médiatique. Il a également déclaré à propos des randonneurs : «Pour éviter les accidents, ils n’ont qu’à le faire chez eux, ils n’auront aucun problème. La nature n’est pas à tout le monde […] c’est pas vrai, c’est pas ça la vraie vie» ou encore «Qu’est-ce que c’est que le bien être animal ? Un animal, il peut se reproduire et il peut manger, c’est tout».
Impunité judiciaire
Les chasseurs sont présentés comme des «amis de la nature» et même, tenez-vous bien, comme des «écologistes». En réalité, c’est un lobby tout puissant qui sème la désolation. En 2023, l’Office français de la biodiversité avait mené une enquête sur des cas de braconnages épouvantables : une bande de chasseurs percutait en pleine nuit, et volontairement, des animaux avec leurs voitures, pour obtenir des «sensations fortes». Ils les achevaient avec des armes à feu. 6 chasseurs avaient été arrêtés, et des perquisitions à leurs domiciles avaient permis de saisir une trentaine d’armes, dont certaines illégalement détenues. En mai dernier, ils ont été relaxés.
Autres exemples : Thérèse Coudrais a été tuée par un chasseur, chez elle en Aveyron en 2017. Le tireur a été condamné à 12 mois de prison avec sursis. Morgan Keane, 25 ans, abattu dans son jardin le 2 décembre 2020 : malgré une mobilisation massive de ses proches et des habitants de son village, le chasseur et le directeur de la battue n’ont été condamnés qu’à des peines avec sursis.
Être anti-chasse, un truc de bobo des villes ?
Une image s’est imposée dans les médias : le chasseur, campagnard issu des classes populaires, que des bourgeois urbains voudraient priver de son loisir. En septembre dernier, François Ruffin, pourtant député au sein du groupe les écologistes, comparait le «mépris de chasse» au «mépris de classe», et soutenait les chasseurs de son département.
Rien n’est plus faux. 75% des habitant·es des communes rurales sont pour l’interdiction de la chasse le dimanche. Oui, les premières victimes d’accidents de chasse sont les ruraux eux-mêmes, parfois victimes jusque sur leur propriété.
À l’inverse, une étude révèle que 70% des chasseurs sont urbains, et moins de 4% d’entre eux sont agriculteurs. La chasse n’est pas un «loisir du peuple» ni le symbole de la ruralité, c’est un moyen de transformer les campagnes en stand de tir par des mâles alpha alcoolisés et violents. Limiter la toute puissance des chasseurs, c’est d’abord protéger les habitants des campagnes. Et ça, Macron n’a visiblement pas l’intention de le faire.
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