On se demande comment un pays devient fasciste. Comment la quasi-totalité d’un peuple peut basculer dans la barbarie et valider une opération génocidaire. Il suffit de regarder Israël pour voir à quel point les leçons de l’histoire n’ont pas été tirées.

Non seulement cet État colonial commet un génocide retransmis en direct et validé par l’écrasante majorité de sa population, mais la déshumanisation des palestiniens est telle que les actes de torture et de viol sont encouragés et récompensés. Dans le même temps, les voix, rarissimes, qui les mettent en lumière au sein même des institutions, sont écrasées. Reprenons le fil de cette affaire déroutante.
Le 31 octobre, le ministre de la défense israélien Israël Katz déclare : «J’ai décidé de renvoyer et de licencier la procureure militaire. J’ai annoncé qu’elle ne reviendrait pas et qu’elle était destituée. […] Elle devrait être en prison en tenue de détenue».
Cette magistrate, c’est Yifat Tomer-Yeroushalmi. Quelle faute si grave a-t-elle commise ? Elle a dévoilé une vidéo d’un viol en réunion commis par des soldats israéliens sur un détenu palestinien le 5 juillet 2024. Sur les images tirées d’une caméra de surveillance, on voit le prisonnier les yeux bandés, menotté aux mains et aux chevilles, entraîné derrière une rangée de boucliers, tenus par des soldats dans un recoin d’une prison, puis violé collectivement.
La victime a été identifiée depuis. Cet homme était enfermé sans motif, comme la plupart des palestiniens dans les prisons coloniales. Les soldats l’ont violé avec une telle brutalité que ses intestins ont explosé et son rectum s’est déchiré. Il a aussi eu un poumon perforé. Il a subi des interventions chirurgicales, dont une colostomie et une urostomie… Il est mutilé à vie.
Les faits ont eu lieu dans la prison tristement célèbre de Sde Teiman. L’armée israélienne a installé, en plein désert du Neguev, à 30 kilomètres de Gaza, un véritable camp de torture. Ce lieu sert à concentrer des détenus palestiniens capturés par les soldats à Gaza. Un médecin du camp, des employés et des détenus y ont rapporté des actes de torture par électrochocs lors des interrogatoires, provoquant une douleur extrême, mais aussi une déshumanisation totale : les détenus sont ligotés à des lits, les yeux bandés, déféquant dans des couches et interdits de parler. Des viols ont aussi été commis pour briser les détenus : des témoignages parlent d’insertions de tiges de métal dans l’anus, ou d’obligation de s’asseoir sur des objets pointus qui pénètrent et blessent pendant les interrogatoires, provoquant des saignements. Le viol révélé par la procureure militaire est donc un cas parmi beaucoup d’autres dans cette prison.
Suite à ces révélations sur l’usage de torture et à la vidéo du viol, neuf soldats avaient été initialement poursuivis. Mais dès leur arrestation, une foule armée, emmenée par des élus et des ministres d’extrême droite, avait envahi la base militaire pour les soutenir. Non seulement les soldats tortionnaires n’ont pas été condamnés, mais l’un d’entre eux est depuis devenu une star de la télé.
À l’inverse, la procureure militaire qui a enquêté sur l’affaire et fait fuiter les images a donc été destituée. Elle est victime d’une campagne médiatique terrible, et elle a même été arrêtée dans la nuit du dimanche 2 au lundi 3 novembre. Ce vendredi 7 novembre, elle est sortie de cellule pour être placée en résidence surveillée et doit se tenir «à la disposition des enquêteurs à tout moment et obtenir une autorisation préalable de la police pour tout déplacement, y compris pour consulter ses avocats».
Cette femme est pourtant une haute fonctionnaire de l’appareil militaire, une actrice de la colonisation armée, une fidèle agente d’Israël. Mais désormais, il suffit juste d’évoquer les crimes atroces commis par des soudards fascistes pour être envoyé en prison. Alors que cette magistrate est broyée par le système auquel elle avait prêté allégeance, les soldats violeurs sont célébrés comme des héros. Ils ont même organisé une conférence de presse directement dans la prison de Sde Teiman, avec leurs avocats, pour se vanter d’être toujours libres. Avec leurs visages recouverts de cagoules, ils ont fièrement déclaré : «Nous vaincrons !»
Sur les chaînes israéliennes, l’un des soldats mis en cause, un certain Meir Ben-Shitrit, principal suspect dans l’affaire, est invité en prime time et à visage découvert. Il déclare par exemple : «Ils nous ont transformés en boucs émissaires d’un événement où nous avons agi selon une doctrine de combat». C’est un aveu majeur : le viol et la torture sont une doctrine assumée de l’armée israélienne. Un crime contre l’humanité reconnu ouvertement. Dès l’été 2024, ce soldat était devenu l’invité privilégié des talk shows israéliens, applaudi par le public et félicité par les animateurs télé les plus célèbres.
Le soldat Meir Ben-Shitrit a également déclaré à l’antenne : «Il s’agit de trahison envers tout Israël, une trahison envers les soldats de Tsahal. Quelle méchanceté et quelle cruauté de commettre un tel acte !» Le problème n’est ni le génocide, ni la torture généralisée, c’est de montrer les faits. Des propos confirmés par Netanyahou lui-même, qui dit à propos de cette affaire qu’il s’agit «peut-être l’attaque de propagande la plus grave» contre Israël. Le colonialisme en guerre contre la vérité.
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