Bouclier ensanglanté et humiliations : «Leur but était de montrer qu’il ne servait à rien de s’opposer aux forces de l’ordre»

Mediapart révélait le 11 novembre qu’à Fontenay-sous-Bois, dans le Val de Marne, des jeunes d’un lycée professionnel se sont vus proposer un «rallye citoyen», euphémisme pour parler de journée de publicité pour l’armée. Ces élèves de Troisième, Seconde et CAP ont pu entre autres joyeusetés apprendre à tirer au laser avec des fusils d’assaut. Autrement dit, «jouer» à la guerre.
Autre atelier douteux : un «vis ma vie de détenu», avec des surveillants pénitentiaires. Cet atelier proposait aux jeunes adolescents de jouer le rôle de détenus se battant contre des surveillants de prison. Un atelier qui a viré au «fight club» et blessé des élèves. Le rectorat de Créteil a ouvert une enquête.
Un atelier qui vire à la démonstration de force contre des enfants de quartier populaire
«Le quotidien d’un détenu, en prison, c’est de faire du sport. Donc mettez-vous par terre, et faites des pompes» : voilà comment sont accueillis les jeunes, qui ont dû auparavant déposer leurs écouteurs et téléphones portables. Les élèves en difficulté pour faire les pompes devaient en faire davantage : une discipline militaire. «Une équipière a appuyé sur le dos d’un élève avec sa matraque» explique une professeure à Mediapart. L’un des élèves est ensuite invité à enfiler le «matériel de protection» (casque, protège-tibias, bouclier) pendant que deux autres doivent le frapper.
«Alors qu’un élève tapait de toutes ses forces sur le bouclier, les deux équipiers se sont regardés et, par surprise, l’ont plaqué au sol, l’ont menotté face contre terre puis l’ont plaqué au mur comme pour une fouille au corps». Deux élèves finissent en sang. La scène, d’une grande violence, choque la professeure présente, qui tente d’alerter l’instigatrice de cette journée et le proviseur, mais aucun ne semble vouloir intervenir.
L’après-midi, nouvelle scène de violence : l’un des élèves fait le prisonnier, il est sommé de sortir de sa cellule par les surveillants. Quand il refuse, il se voit asséné un violent coup de bouclier «qui l’envoie à 2 mètres». C’est alors un véritable déchaînement de violence auquel se livrent les surveillants : «Les équipiers ne parvenaient pas à le maîtriser, malgré les multiples clés de bras et de jambe. Un quatrième équipier est entré dans la mêlée pour parvenir à menotter l’élève». Et la journée semble être considérée comme une réussite, par l’organisatrice qui a déclaré «Grâce à vous, cette journée a été une vraie réussite : les élèves ont beaucoup apprécié les ateliers, l’ambiance, les découvertes […] Ils en redemandent !», mais aussi par le proviseur.
Ce genre d’atelier est là pour remplir un rôle : mettre la jeunesse au pas, lui ôter toute velléité de révolte. Le pouvoir craint en effet cette jeunesse tumultueuse, souvent à l’avant-garde des luttes sociales comme lors du mouvement du 10 septembre, ou des révoltes populaires comme lors du meurtre de Nahel, et qui n’a pas peur de se confronter aux forces de l’ordre. C’est pourquoi l’un des objectifs affichés de ce genre d’atelier a été clairement énoncé : «Leur but était de montrer qu’il ne servait à rien de s’opposer aux forces de l’ordre».
Offrir la guerre comme seul horizon désirable aux jeunes de quartier populaire
«Le réarmement des esprits commence à l’école» disait Jean-Noël Barrot, ministre des affaires étrangères, dans un lycée de Nantes en mars dernier. Sauf que ce dressage militarisé de la jeunesse s’adresse avant-tout à une jeunesse bien précise : celle des quartiers populaires. «On a découvert des métiers qu’on peut faire sans diplôme, avec un bon salaire. Un membre de la Légion étrangère nous a dit qu’il avait gagné 18.000 euros pour une mission en Guyane. Comme on est franco-étranger, on peut rejoindre leur base» explique l’un des jeunes à Mediapart.
La Légion étrangère, c’est celle qui est envoyée en première ligne, le bataillon de choc dans les guerres coloniales, le plus violent. Celui qui subit le plus de pertes aussi. La Légion pousse l’esprit de corps jusqu’à changer le nom des recrues, pour leur retirer toute attache et identité, et qu’elles se consacrent entièrement à l’armée. Offrir l’uniforme et la guerre comme seul horizon désirable à des jeunes à qui on a dit toute leur vie qu’ils n’avaient aucun avenir, qui vivent dans des quartiers avec des taux de chômage stratosphériques.
L’Observatoire des Inégalités publiait un rapport en mai 2025 dévoilant que le taux de chômage des jeunes de quartier prioritaire était de 26% en moyenne, contre 13,5% dans les autres quartiers. Voilà toute la perversion du système. L’une des conclusions ironiques de l’un d’eux est révélatrice de la manière dont ces jeunes ont conscience de comment la société raciste les perçoit : «Après, on est des racailles, madame, donc on va pas dire non à la violence».
D’ailleurs, les jeunes ont été enchantés de la journée. Périne De Araujo, secrétaire générale de la CGT Éduc’action 94, s’est exprimée sur le sujet : «Nous sommes en désaccord avec la place croissante prise par les questions de défense dans les programmes et la vie des établissements scolaires, et constatons que l’armée vient recruter dans les établissements des élèves en grande précarité, et de plus en plus tôt».
Ces journées de propagande sont devenues monnaie courante en France. Déjà en septembre 2022, des policiers organisaient des ateliers pour des élèves de CM1 et CM2, âgés d’une dizaine d’années, leur apprenant à donner des coups de matraque, porter des gilets pare-balles ou s’entraîner au tir à Saint-Denis. Le tout organisé par leur école, dans le cadre d’une journée présentée comme «sportive citoyenne». Des «formations» identiques ont été données dans de nombreuses écoles, collèges et lycées.
En mars 2023, les enseignants de l’académie d’Amiens recevaient une proposition de «formation à la défense pour les collèges et lycées» émanant du conseiller défense du recteur. On découvrait alors que les recteurs chargés de l’éducation ont donc des consultants militaires. En 2023 encore, le compte Twitter de l’armée française publiait ces photos d’enfants, en uniformes, tenant des fusils d’assaut HK 416 F avec la légende : «Enfiler le treillis et les rangers dès 15 ans pour vivre le quotidien d’un soldat ? Une vingtaine de jeunes l’ont fait dans le cadre de leur service national universel». Des enfants soldats, valorisés par la République française.
Ce matraquage voit sa continuité dans la mise en place du service militaire «volontaire» à partir de 2026, remplaçant le très décrié SNU (service national universel). Le «service militaire rénové» vise à «proposer aux Français majeurs de recevoir une formation militaire socle pouvant déboucher sur un engagement». Selon le média Zone militaire, cette mesure représente «un coût évalué à 1,7 milliard d’euros par an» et «permettrait à 70.000 jeunes d’effectuer une période de six mois dans un environnement militaire». De quoi constituer une armée de réserve de jeunes endoctrinés qu’on peut envoyer au front en cas de besoin, mais qui coûte moins cher que des soldats entretenus en permanence dans les casernes. Des soldats qu’on enverra soit-disant combattre le «terrorisme», comme le révèle l’un de ces élèves : «C’était bien de tirer dans une cible avec un pistolet laser, ça nous apprend à défendre, à viser, pour représenter la France en cas d’attentat». La propagande fonctionne.
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