Explosifs, grenades, centaines de milliers de munitions : quand le GIGN couvrait le vol de 7 tonnes d’armes


Les gendarmes «d’élite» dérobaient des armes et des munitions pour organiser un camp d’entraînement privé


Des membres du GIGN devant leur blindé : des flics surarmés pour que la population se tienne sage.

Imaginez si vous étiez arrêté demain au volant d’une voiture chargée d’explosifs. Arrestation et passage en garde à vue immédiat. Si votre nom a une vague consonance arabe, vous seriez même accusé de terrorisme, le sujet ferait le tour des plateaux télés, Pascal Praud hurlerait à la «mexicanisation» de la France et les droitards aboieraient en cœur pour que vous finissiez vos jours en prison. Peu de chance que vous revoyiez la lumière du jour avant de longues années passées derrière les barreaux. Certainement le temps de manger beaucoup plus de yaourts que l’éphémère détenu devenu martyr autoproclamé Nicolas Sarkozy.

Mais si les conducteurs de cette voiture chargée d’explosifs sont des gendarmes, bien entendu, cela change tout. Surtout s’ils font partie du «prestigieux» Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale, le GIGN. Un groupe de militaires «d’élite», intouchables, héroïsés dans les médias, qui oublient de dire que c’est aussi le GIGN qui a été déployé contre des civils en banlieue après la mort de Nahel ou pour mener la répression sanglante en Kanaky notamment. Rien de glorieux, mais ce n’est pas tout.

Le 8 novembre 2017, trois opérationnels du GIGN («ops» dans le jargon) sont contrôlés par la police des frontières entre le Portugal et l’Espagne. Dans leur coffre : des centaines de grenades et d’explosifs en tout genre. En réalité, quelques jours plus tôt, ces gendarmes ont volé pour plusieurs tonnes de matériel militaire offensif, afin d’organiser un camp d’entraînement privé au Portugal.

La direction du GIGN tente d’étouffer l’affaire, donne ordre de ne pas en parler, ne mentionne pas le camp d’entraînement au Portugal, et les 3 agents ne subissent aucune sanction. Le colonel Laurent Phélip, commandant du GIGN de l’époque, demande simplement le rapatriement de toutes les munitions volées et leur discrète remise en place dans les «alvéoles», les casiers personnels des gendarmes. Tâche qui s’avère ardue devant l’énorme quantité d’explosifs volés, qui circulent dans la nature sans aucun contrôle. Le responsable du magasin du GIGN évoque des «centaines de milliers de munitions en tout genre, explosifs, grenades…», photo à l’appui. Afin de s’assurer de la discrétion du retour de ces 7 tonnes d’explosif, les caméras sont désactivées, et une partie du matériel est détruit. Le matériel restant finit donc stocké dans des camions, puis redistribué à différentes casernes. Ni vu, ni connu.

Dès 2016, le démineur Matthieu D. avait pourtant alerté la hiérarchie sur le manque de rigueur concernant la gestion et le stockage des munitions. «Si vous demandez cinquante cartouches pour aller faire un exercice, personne ne va vérifier que vous avez tout tiré, vous pouvez très bien garder le reste» explique-t-il. Tirant la sonnette d’alarme à de multiples reprises, notamment sur les conditions de stockage dangereuses des différents engins explosifs par le GIGN, il finit par gêner.

Il se retrouve donc muté à la Garde nationale. Son chef écrit que le sous-officier «a terni l’image de son unité» et a «irrémédiablement perdu la confiance tant de sa hiérarchie que de ses camarades». Un prétexte fallacieux. En d’autres termes : il n’a pas «l’esprit d’équipe» et refuse de couvrir le vol de ses collègues. Le démineur exclu et humilié finit par en référer au procureur de la République. En août 2018, l’IGGN – l’équivalent de l’IGPN mais pour la gendarmerie – lance finalement une inspection. Bien entendu, l’enquête n’ira pas plus loin.

En 2019, Matthieu D. porte plainte, et une autre enquête est ouverte en 2020. Laurent Phélip, son ancien chef, est placé sous le statut de témoin assisté pour «mise en danger d’autrui par violation manifestement délibérée d’une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence» – si vous ne connaissez pas ce statut, c’est parce que vous faites partie des «gens qui ne sont rien». Être «témoin assisté» permet d’entendre des personnes suspectées de crimes, mais qui ont droit à un traitement de faveur : les policiers et gendarmes, les politiques ou personnes célèbres. Pour la plèbe, c’est le régime de la garde à vue.

Lors de ses audiences, aucune remise en question, aucune tentative de dissimuler son forfait. Il évoque sans fard que si le GIGN «doit respecter la réglementation dès aujourd’hui, nous ne pouvons plus travailler». Philippe B. ancien agent à la retraite et auteur du livre «GIGN, confessions d’un ops», déclarait quant à lui : «On ne peut pas nous demander de faire des choses extraordinaires, en nous encadrant avec un tas de règles, il est logique que le GIGN ait un statut à part, on s’entraîne dur pour le mériter. On intervient sur des opérations où on risque notre vie.»

Tout est dit : ces gens s’estiment au-dessus des lois et ne voient pas le problème de les enfreindre comme bon leur semble. Ils savent que de toute façon, ils n’en paieront pas les conséquences. Laurent Phélip n’a reçu aucune sanction : l’officier de 56 ans était même le chargé de mission pour les grands événements et les Jeux olympiques de 2024, et il est depuis le 31 janvier commandant en second de la région de gendarmerie Auvergne-Rhône-Alpes. Pour les trois ops voleurs d’explosif, aucune suite non plus.

Cela doit pourtant nous inquiéter au plus haut point : que des gendarmes puissent se balader tranquillement avec des tonnes d’explosifs à des fins privées sans que personne ne s’en rende compte, traversent la France et passent à l’étranger sans que cela n’inquiète leur hiérarchie. Et personne n’a posé les questions qui fâchent : par qui étaient-ils embauchés ? Qui allaient-ils entraîner ? Est-on seulement certain qu’il ne s’agissait que d’entraînements ? Et où ces tonnes de munitions auraient-elles pu finir ?

Cette affaire fait froid dans le dos sur la traçabilité des armes policières. Tous les agents de police et de gendarmerie sont déjà autorisés à transporter en permanence des armes à feu dans l’espace public depuis les attentats de 2015, ce qui a provoqué une explosion des tirs, y compris hors service. Auparavant, les armes étaient stockées dans des armureries dans les commissariats, et chaque balle devait être consignée.

Les armes à feu ne sont pas les seules concernées : le vol de grenades semble être généralisé. En 2015, au domicile d’un policier nantais, le beau-fils de l’agent et ses amis trouvent une grenade explosive GLI-F4 qui traîne dans la maison. Ils la dégoupillent sans se rendre compte de l’extrême dangerosité de cette arme. Le beau-fils âgé de 15 ans a la main arrachée. Cette affaire ne sera rendue publique qu’en 2022, à l’occasion du procès du policier, et n’occupera que quelques lignes dans la presse locale.

Dans cette affaire, l’enquête révèle notamment que ce policier spécialisé dans le maintien de l’ordre avait «pris l’habitude de faire une réserve de grenades à son domicile pour éviter d’avoir à se réapprovisionner», en toute illégalité. Pour quel usage ? Plus hallucinant encore, le policier s’est défendu lors du procès en affirmant qu’il «n’y avait pas de comptabilité des armes» tenue par la hiérarchie policière. Open bar. Il ajoutait, devant la justice : «Je ne suis pas censé vous le dire, mais je n’étais pas le seul à détourner des armes pour les apporter à son domicile».

Combien de policier et de gendarmes conservent des armes de guerre chez eux ? Dans quel but ? À qui peuvent-ils les donner ? C’est un problème majeur de sécurité publique, il dure depuis des années, et personne n’en parle.


Quelques sources :

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