On vous explique la dernière dinguerie du Ministère de l’enseignement supérieur

Les sondages peuvent devenir des armes de propagande et de répression. Le 18 novembre un sondage de l’institut IFOP a permis aux médias des milliardaires de lancer une nouvelle offensive islamophobe pendant des jours. Selon cette enquête intitulée «état des lieux du rapport à l’islam et à l’islamisme des musulmans de France», les personnes se disant musulmanes âgées de 15 à 24 ans seraient de plus en plus pratiquantes : 87% se considèrent religieuses, 67% disent prier «au moins une fois par jour», 83% font le ramadan.
L’extrême droite, Cnews et les éditorialistes de BFM se sont immédiatement répandus sur «l’islamisation» de la société. Sans préciser que ce sondage n’a été réalisé que sur 1005 individus. Et parmi eux, seulement 291 correspondent à l’échantillon de 15 à 24 ans. Les éditorialistes n’ont pas non plus précisé que la religiosité semble augmenter au sein de toutes les confessions selon cette enquête, bien que les personnes non croyantes soient, globalement, de plus en plus nombreuses.
Enfin et surtout, ce sondage est basé sur des questions orientées, qui ne définissent pas les termes employés, et a été commandé par un obscur média intitulé «Écran de veille», proche de l’extrême droite, et appartenant à un groupe lié aux Émirats Arabes Unis. Bref, rien ne va de bout en bout. À tel point que quatre association du culte musulman ont déposé plainte. Mais cela a suffit pour infuser une nouvelle fois une bonne dose de peur et de racisme dans la société.
Un autre sondage vient d’être commandé à l’institut IFOP par le ministère de l’enseignement supérieur lui-même. Le ministre demande à tous les établissements universitaires de le diffuser auprès de leurs personnels et des étudiant·es. Celui-ci aussi est clairement orienté, et destiné à ficher et stigmatiser le monde universitaire.
Sur la forme, un simple regard permet de cerner à quel point il est malhonnête : en demandant aux sondés de se positionner sur l’échiquier politique, l’échelle proposée va de «très à gauche» en rouge vif à «très à droite» en vert. À gauche, une couleur anxiogène symbolisant l’interdit, à l’extrême droite, la couleur du bon, du vrai, de l’autorisation. Un code couleur universel que l’on retrouve sur les feux de signalisation, qui ne doit rien au hasard.
Sur le fond, derrière une enquête présentée comme étant sur «l’antisémitisme», il s’agit de connaître les opinions politiques des agents de l’enseignement supérieur. Le processus d’enquête retenu ne garantit pas l’anonymisation et donc la protection des personnes répondantes. Le risque de fichage et de représailles est réel.
Plus grave encore, le questionnaire utilise des termes comme «antisémitisme», «islamophobie», «sionisme» sans jamais les définir. Et dans de nombreuses questions, il confond volontairement les propos antisémites et les prises de position pour la Palestine, ou la perception des personnes juives et les opinions sur le Proche-Orient. Cet amalgame est antisémite, et met en danger les juifs et juives qui sont encore une fois assimilé·es à la politique israélienne. Il sert aussi à criminaliser les mobilisations pour la Palestine dans les facs. On voit très bien l’usage médiatique et politique qui sera fait d’une telle enquête. Quels que soient les résultats, cela permettra une stigmatisation de toute expression anticolonialiste et de nouvelles mesures répressives.
Prenons une des questions : «D’après vous, chacun des phénomènes suivants est répandu ou non dans votre établissement ?» Les réponses possibles sont : «la détestation d’Israël», «le soutien à la cause palestinienne», «le soutien au Hamas», «la haine des sionistes». Cette question se base sur le ressenti subjectifs des agents sans aucune base factuelle. Elle est volontairement insidieuse – les termes sont volontairement forts, utilisant «détestation» plutôt que «rejet» alors qu’on a tout à fait le droit de détester Israël. Et l’on voit bien qu’elle servira qu’à affirmer médiatiquement qu’un certain pourcentage des étudiant·es serait antisémite.
Autre exemple : «Quelles sont les principales causes de l’antisémitisme ?» Parmi les réponses : «la haine d’Israël», «le complotisme», «les idées d’extrême gauche». Une confusion particulièrement malsaine.
On peut aussi s’étonner que le ministère de l’enseignement supérieur, qui manque de moyens, qui supprime des postes d’enseignants et ferme des filières, trouve de l’argent pour un tel sondage qui n’a qu’un objectif : lancer une offensive idéologique dans les facs.
À la tête de l’Ifop, on trouve d’ailleurs Frédéric Dabi. Ce monsieur, habitué des plateaux de télévision, est quelqu’un d’engagé : il participait en 2018 à un forum intitulé «J’aime Israël» à Paris, aux côtés de Bernard-Henri Lévy, pour «parler de leur Israël [et] de leurs souvenirs [et] espoirs». Il intervient régulièrement sur la chaine d’extrême droite Cnews, mais aussi sur les chaines communautaires Radio J ou encore I24, qui diffusent des propos ouvertement génocidaires depuis des mois.
Le 2 janvier dernier, dans les studios de Sud Radio, Frédéric Dabi affirmait avec une grande assurance : «Il n’y a quasiment aucun Français qui appelle au départ de Macron», tordant le réel sans aucune pudeur. L’Ifop a bien évidemment manipulé l’opinion dès le début de l’attaque israélienne sur Gaza, avec ce sondage paru en octobre 2023 expliquant que «Jean-Luc Mélenchon apparaît comme la personnalité politique qui suscite le moins de confiance pour lutter contre l’antisémitisme». Un élément de langage diffamatoire, utilisé jusqu’à écœurement depuis plus d’un an. Cette enquête lancée dans les facs est donc circulaire : commandée par et pour des soutiens d’Israël.
Une pétition a été mise en ligne par la LDH et différents syndicats de l’enseignement supérieur pour refuser le projet d’enquête. Le texte explique : «Nous, étudiantes, étudiants, personnels de l’enseignement supérieur, citoyennes et citoyens attaché·es à la lutte contre toutes les formes de racisme et d’antisémitisme, exprimons notre profonde inquiétude», et estime que le processus d’enquête compromet «toute interprétation scientifique d’une enquête en associant dans les mêmes tableaux des positions politiques et des propos ou actes antisémites, le questionnaire contribue à politiser artificiellement un sujet qui requiert au contraire rigueur, précision et objectivité».
Philippe Baptiste, ministre de l’Enseignement supérieur, vient de faire interdire au Collège de France un colloque sur la Palestine qui devait se tenir les 13 et 14 novembre, intitulé «La Palestine et l’Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines». Le ministre a ainsi validé la campagne de censure réclamée par le lobby sionistes, et empêché un colloque réunissant des universitaires et des diplomates. «On n’a pas eu une affaire de cet ordre au Collège de France depuis le Second Empire» estimait le professeur Henry Laurens.
Avant cela, une répression très violente a visé les mobilisations pour la Palestine dans les établissements supérieurs, notamment des assauts policiers au sein des Instituts d’études politiques, occupés l’an dernier pour dénoncer le génocide à Gaza. C’est une attaque gravissime du mouvement étudiant, sans commune mesure avec les autres pays européens si l’on excepte l’Allemagne. Depuis deux ans, une véritable traque politique a lieu dans les universités : des ministres parlent d’une influence «islamo-gauchiste» au sein du corps enseignant, reprenant les fantasmes d’extrême droite, et mettent ainsi une cible dans le dos de leurs propres agents.
Samedi 12 octobre 2024, l’ancien Ministre de l’enseignement supérieur Patrick Hetzel s’était personnellement rendu à un événement de l’UNI, un groupuscule néofasciste. L’intitulé de ce congrès était «Retrouver la droite, pour que la France reste la France», tout un programme. Patrick Hetzel avait déposé une proposition de loi contre «les dérives islamo-gauchistes dans l’enseignement supérieur» et voulait restreindre la liberté d’expression dans les facs.
Les universités ont été pendant des siècles des espaces de savoir ouverts à toutes et tous, des endroits de politisation, de mobilisation, d’émancipation. Avec Macron, elles sont dirigées par des ministres réactionnaires, qui les transforment en déserts hostiles, quadrillés par des vigiles, sécurisés par des portiques, où l’on censure des conférences et où l’on fiche les opinions du personnel. C’est un véritable Maccarthysme qui se met en place, et la France n’a rien à envier aux USA de Donald Trump.
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