14 Juillet 1953 : massacre oublié, 7 morts et une centaine de blessés lors d’une manifestation internationaliste


Pour Daniel Kupferstein, «Le 14 juillet 1953 ont été tirés les premiers coups de feu de la guerre d’Algérie».


En haut : le défilé internationaliste du 14 juillet 1953.
En bas : les cercueils des victimes après le massacre.

Nous venons d’assister à un 14 juillet glaçant, digne d’un régime autoritaire qui ne se cache même plus, avec un défilé qui s’apparente à une “véritable opération militaire” d’après le général Loïc Mizon, gouverneur militaire de Paris. Faire défiler des véhicules blindés centaures, dédiés à mater les révoltes populaires, pour une date qui célèbre une révolte populaire, il faut s’appeler Emmanuel Macron pour apprécier le pied de nez.

Ce défilé a eu un écho tout aussi glaçant lors du discours du président, la veille, qui expliquait que “pour être libres dans ce monde, il faut être craints” et annonçait un doublement du budget des armées, ainsi qu’une volonté assumée d’envoyer la jeunesse se faire massacrer dans des guerres qu’elle n’a pas voulue. Un discours que ne renierait pas un dictateur.

Il faut savoir que de 1935 à 1954, il existait pourtant un autre défilé du 14 juillet. Un défilé populaire et anticolonialiste, porté par les syndicats et partis de gauche. Il a pris dramatiquement fin en 1953. Ce jour-là, 7 personnes sont abattues froidement par la police, et une centaine blessées – le nombre exact est inconnu, beaucoup ayant refusé de se rendre à l’hôpital par peur des représailles.

Si les massacres sont légion dans les pays sous domination coloniale d’alors, c’est la première fois qu’en métropole on tire en masse sur une population colonisée, et c’est la première fois que la police ouvre le feu sur une manifestation depuis la Libération. Cette tuerie est considérée comme l’une des étincelles ayant mis le feu aux poudres de la guerre d’indépendance de l’Algérie.

14 juillet 1953 : le dernier défilé populaire parisien

Dans le cortège populaire du 14 juillet, on retrouve le PCF, la CGT, l’Union de la jeunesse républicaine de France, l’Union des étudiants communistes et de l’Union des femmes françaises (UFF) mais aussi des indépendantistes algériens sous la bannière du MLTD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), mouvement anticolonialiste de gauche. En tête du cortège de ces derniers, une image du fondateur du Parti du peuple algérien (PPA), du MTLD et du Mouvement national algérien, Messali Hadj, alors en prison depuis un an. Le MNA est à l’époque le grand mouvement indépendantiste, mais il finira par disparaître dans une guerre fratricide, au profit du FLN.

La manifestation démarre à Bastille, et un premier accrochage survient lorsque des parachutistes de retour d’Indochine attaquent le cortège algérien. Vite dégagés par les militants indépendantistes et le service d’ordre, les nervis sont protégés par la police qui les laisse partir tranquillement, allant même jusqu’à les escorter en camion. Des drapeaux algériens flottent, et des slogans demandant l’égalité entre Français et Algériens sont entonnés.

La manifestation se termine paisiblement vers 16h à la place de la Nation. Mais la police ne compte pas en rester là. Elle charge le cortège des indépendantistes, cherchant à arracher drapeaux et banderoles. Devant la violence de l’attaque, les manifestants se défendent avec du matériel urbain. Sauf qu’il ne s’agit pas d’une charge comme les autres : la police tire à balles réelles, sans sommation.

Daniel Kupferstein, le réalisateur du film « Les balles du 14 juillet 1953 », explique dans un article publié dans Orient XXI avoir pu recueillir des témoignages de policiers présents sur place à l’époque. “Alors là, […] je voyais les collègues qui tenaient leurs pétards à l’horizontale. Ce n’étaient pas des coups de feu en l’air pour faire peur” reconnaît l’un d’eux. Abdelkader Draris, Larbi Daoui, Abdallah Bacha, Mouloud Illoul, Tahar Madjène, Amar Tadjadit et Maurice Lurot, syndicaliste ayant tenté de s’interposer, sont froidement assassinés. Ils avaient entre 20 et 41 ans. Après la charge, une véritable chasse à l’homme raciste est mise en place : la police poursuit les manifestants jusque dans les cages d’escalier dans lesquelles ils se sont réfugiés. La place de la Nation est couverte de sang lorsqu’à 18h le massacre prend fin.

Justice raciste, impunité policière et renforcement de la répression

Les policiers reprendront tous la thèse de la légitime défense pour se justifier. Ils auraient soi-disant été attaqués à coups de feu par les manifestants, thèse rapidement abandonnée devant l’absence de preuves matérielles. Il faut dire qu’en outre, le préfet de police de Paris de l’époque n’est autre que le tristement célèbre Maurice Papon, responsable de la déportation de milliers de juifs. C’est également lui qui sera à l’origine d’un autre massacre d’Algériens : le 17 octobre 1961, ce sont des centaines d’entre eux (le chiffre exact est encore inconnu à ce jour) qui sont noyés dans la Seine, pour avoir participé à une manifestation contre le couvre-feu imposé aux nord-africains. On comprend que les policiers peuvent compter sur la protection de la hiérarchie.

Sur place, les policiers en civil ont été chargés de ramasser les douilles pour éviter les analyses balistiques. Daniel Kupferstein rapporte que le dossier d’instruction ne fait état que de 17 douilles retrouvées, alors qu’au moins 57 personnes ont été blessées par balle, et que des centaines de tirs ont eu lieu. Mais nous sommes alors en pleine guerre froide, et rien de plus simple que de crier à l’émeute communiste et algérienne. Léon Martinaud-Déplat, le ministre de l’intérieur d’alors, déclare que “si les agents qui étaient en situation manifeste d’infériorité numérique, puisqu’ils ont dû se replier, n’avaient pas fait usage de leurs armes, ils auraient été lapidés et matraqués l’un après l’autre.”

Le mensonge d’État et la propagande policière sont bien entendu repris par toute la presse de droite. “2000 Nord-Africains attaquent sauvagement la police” peut-on lire dans l’Aurore. Seuls l’Humanité et Libération rétabliront la vérité des faits. Des faits qui, 70 ans plus tard, sont encore largement inconnus. Les corps des Algériens sont rapatriés en Algérie et des milliers de personnes les accueillent au port d’Alger. Quant à Maurice Lurot, sa mémoire a été quasiment oubliée, y compris au sein de la presse de gauche et des organisations syndicales et communistes. Une blessure qui hantera ses deux fils pour le reste de leur vie. Le non-lieu est prononcé en 1957, et quasiment aucun témoignage des Algériens et des manifestants n’a été repris.

Cette tuerie du 14 juillet 1953 sera l’occasion pour l’État colonialiste de renforcer son arsenal répressif. Deux unités sont créées : les compagnies d’intervention, qu’on retrouvera dans le massacre du 17 octobre 1961, et la BAV (Brigade des agressions et violences) qui constituera un dossier recensant tous les nord-africains de Paris.

Un an plus tard, c’est le début de la guerre de libération, avec la création du FLN et le début de la lutte armée le 1er novembre 1954. “Ce 14 juillet 1953 ont été tirés les premiers coups de feu de la guerre d’Algérie” explique Daniel Kupferstein. En effet, c’est ce massacre qui décidera les leaders indépendantistes à prendre les armes. Un massacre aujourd’hui oublié, et qui n’est toujours pas reconnu comme un crime d’État.

AIDEZ CONTRE ATTAQUE

Depuis 2012, nous vous offrons une information de qualité, libre et gratuite. Pour continuer ce travail essentiel nous avons besoin de votre aide.

Faites un don à Contre Attaque, chaque euro compte.