«Ne pas reproduire les erreurs de novembre 2018 avec les Gilets jaunes»

Alors que les appels à «tout bloquer» à partir du 10 septembre se multiplient et que des réunions s’organisent partout pour mettre en pratique ces appels, souvenons-nous des Gilets Jaunes. À l’époque, il s’en est fallu de peu pour renverser Macron : il a manqué une grève générale.
Le 17 novembre 2018, des centaines de milliers de personnes en gilets fluos déferlent partout : les ronds-points et centres commerciaux sont bloqués, les péages sont occupés, les lieux de pouvoir pris pour cible. À Paris, des barricades fleurissent déjà sur quelques belles avenues. Une semaine plus tard, nouvelle déferlante, nouveaux blocages, mais cette fois-ci avec du feu et des affrontements sur les Champs Élysées, et une détermination croissante sur les ronds-points. Tout le monde ne parle plus que des Gilets Jaunes. Le 1er décembre, pour l’Acte 3, c’est l’insurrection : pistes d’aéroports envahis, blocages toujours plus massifs, péages et préfecture en feu. Tout devient possible. Les jours qui suivent seront décisif. Tout le monde retient son souffle.
Entre le 1er et le 8 décembre, le pouvoir entre en panique. La voiture de Macron est coursée par les Gilets Jaunes le 4 décembre au Puy-en-Velay, en Auvergne. La jeunesse descend dans la rue dès le lundi 3 décembre et bloque des centaines de lycées. De Béziers à la banlieue parisienne, le feu se répand. Et la répression est d’une brutalité sans précédent : des milliers de mineurs sont arrêtés en quelques jours. Les images de la rafle de 150 lycéens à Mantes-la-Jolie font le tour du monde. Au sommet de l’État, c’est la terreur. Les puissants ne pensent plus qu’à l’Acte qui vient, celui du 8 décembre. Incroyable mais vrai : on prépare le refuge anti-atomique construit pendant la guerre froide pour héberger le couple présidentiel. Au cas où. La police spéciale surveille les égouts parisiens, de peur que des Gilets Jaunes ne s’y engouffrent pour atteindre l’Élysée.
Pas d’organisateurs. Pas d’interlocuteurs. Pas de mot d’ordre obscur mais un message limpide adressé à Macron : «on vient te chercher chez toi». C’est un cauchemar pour le pouvoir. Le 8 décembre, les blindés sont déployés dans Paris. Près de 100.000 policiers quadrillent le territoire.
C’est lors de cette semaine décisive que la grève aurait pu changer la donne. Mais la gauche est lamentable face à ce mouvement qui bouscule toutes les formes classiques. Par facilité, les gauchistes obtus comme les sociaux-démocrates catégorisent les Gilets Jaunes comme un mouvement d’extrême droite. Face à l’inconnu, les milieux de gauche éprouvent une peur bleue de sortir de la routine et du confort de l’entre-soi. Pourtant, c’est justement ce peuple oublié et trahi par la gauche qui a pris la rue.
Lors de cette semaine historique donc, les directions syndicales vont faire bloc derrière le gouvernement, contre les Gilets Jaunes. Le 10 décembre, le chef CGT se rend à l’Élysée puis annonce lors d’une conférence très médiatique entre «partenaires sociaux» qu’il ne soutiendra pas les Gilets Jaunes, alors même que de nombreux militants CGT s’impliquent sur les ronds-points. Il tiendra sa promesse. Le mouvement, écrasé par une répression totale qui fait des milliers d’arrestations et de blessés, ne peut pas tenir dans la durée sans appel à la grève. Macron a été sauvé par les dirigeants de la CGT, de la FSU et de la CFDT.
Sept années ont passé. Sept ans de souffrance, de destruction sociale, de vies brisées par le libéralisme, de montée du fascisme. Tout le monde le dit aujourd’hui : les Gilets Jaunes avaient raison.
En cet été 2025, de nouveaux appels partis de la base se répandent, mais les consciences ont évolué. Deux fédérations CGT appellent courageusement à la grève le 10 septembre.
Dans un communiqué publié le 30 juillet, la Fédération Nationale Des Industries Chimiques de la CGT explique qu’elle a appelé à une date de grève le 10 septembre «avant même la connaissance du budget Bayrou et de l’appel à ne pas aller travailler le 10 septembre, lancé par un collectif citoyen sur les réseaux sociaux», mais se joint logiquement à la dynamique en cours. La Fédération CGT du Commerce et des Services a publié le 31 juillet un appel à la grève dans tout le secteur : «Dans chaque établissement, dans chaque entreprise, dans chaque branche, organisons la riposte des travailleurs : toutes et tous en grève le 10 septembre 2025 !»
Mieux, la Fédération de la Chimie de la CGT interpelle la direction du syndicat : «Nous appelons la Confédération à faire du 10 septembre un appel national et à l’inscrire dans une stratégie de grève reconductible, jusqu’au retrait du budget et de ses attaques faites aux travailleurs» et ajoute : «Il est de notre devoir de ne pas reproduire les mêmes erreurs de novembre 2018 avec les Gilets jaunes». On ne saurait mieux dire.
De son côté, le syndicat Force Ouvrière a lancé un préavis de grève à partir du 1er septembre, qui permettra de protéger légalement toutes les personnes qui se mettront en grève durant le mouvement. Dans les autres syndicats, les bases se mobilisent aussi et poussent les directions nationales à se bouger. Au sein de Solidaires, plusieurs syndicats devraient tenir des assemblées exceptionnelles afin de se positionner fin août. Les bruits de couloirs voudraient que des AG au sein même des entreprises pourraient avoir lieu pour reconduire la grève dès le 11 septembre.
Pour rappel, les cinq organisations syndicales représentatives que sont la CGT, la CFDT, FO, la CFE-CGC et la CFTC, mais aussi l’Unsa, la FSU et Solidaires, ont lancé une pétition baptisée «Budget Bayrou, ça suffit !» Elle a récolté plus de 300.000 signatures. Mais chacun l’aura constaté, une pétition ne sert à rien. Cette intersyndicale large aura-t-elle le courage d’appliquer concrètement les mots d’ordre de son texte en ligne ? Les fédérations qui appellent déjà à la grève seront-elles suivies par les autres ? On ne peut que le souhaiter.
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