«Tout le monde savait» : à Nantes, une nouvelle affaire de pédicriminalité


Cinq prêtres et un surveillant mis en cause pour pédocriminalité, les victimes estimées à plusieurs centaines. Au moins 330.000 victimes de pédocriminalité au sein d’institutions catholiques depuis 1950.


Au collège-lycée Saint Stanislas de Nantes, des viols dénoncés sur les murs.

L’affaire Bétharram n’est que l’arbre qui cache la forêt. Les révélations s’enchaînent, les établissements incriminés s’accumulent, la liste des victimes grossit, et les pouvoirs publics s’en lavent les mains. En France, après la famille et le cercle rapproché, l’Église catholique est le 3ème milieu où surviennent le plus de violences sexuelles sur mineurs.

On apprenait le 29 août dernier une nouvelle affaire de pédocriminalité dans un établissement catholique, celui du collège-lycée Saint-Stanislas de Nantes. Il s’agit de l’un des plus anciens établissements catholiques privés de la ville, qui accueille les rejetons de la bonne bourgeoisie de droite de Nantes et alentours. Le diocèse de Nantes a donné une conférence de presse, appelant à recueillir d’autres témoignages.

Une affaire longtemps passée sous silence

Au moins 10 victimes, dont 9 hommes et une femme, ont témoigné de ces faits. 5 prêtres, aujourd’hui tous décédés, sont incriminés pour des faits datant de 1958 à 1995, ainsi qu’un surveillant. Trois des victimes sont aujourd’hui également décédées. Entre février et juin 2025, les survivant-es ont pu témoigner de ces actes de viols, attouchements et agressions sexuelles, ayant eu lieu à l’internat et lors des camps de vacances. Frédéric Delmazure, directeur diocésain de l’enseignement catholique du département, déclarait à l’AFP que l’affaire Bétharram avait libéré la parole des personnes ayant décidé de sortir du silence.

Comme d’habitude, des tentatives de signalement ont été faites par le passé, mais sont restées lettre morte. En effet, des tags accusant les prêtres de viols avaient à de nombreuses reprises recouverts l’établissement. L’une des victimes, Emmanuel Cocaul, agressé en 1979 alors qu’il était collégien, a livré son témoignage à Ouest-France. Il estime que plusieurs centaines d’enfants ont pu être victimes. «Tout le monde savait ce qui se passait dans l’établissement, mais c’est difficile pour des enfants de parler à leur famille. C’était le règne de la terreur !»

En effet, la parole des enfants reste majoritairement silenciée dans les affaires de pédocriminalité. Signe de la faillite de l’institution judiciaire à traiter ces affaires : moins de 10% des viols sur enfants font l’objet de plainte, 74% des affaires sont classées sans suite. Pire, la moitié de ces affaires sont requalifiées en agressions sexuelles ou en atteintes sexuelles, se basant sur un prétendu «consentement» du ou de la mineure. Insoutenable.

La parole de l’enfant est encore largement décrédibilisée, on attend de lui qu’il puisse témoigner avec précision, alors même qu’il est souvent incapable de penser et comprendre ce qui lui arrive. Selon le pédopsychiatre Luis Alvarez et Nathalie Tomasini, avocate au Barreau de Paris spécialisée dans la défense des victimes de violences intrafamiliales, «les faits, la réalité historique, ce que les pédopsychiatres et psychologues qualifient par le terme de ‘trauma’, échappent à la capacité de penser de l’enfant, entravant considérablement la possibilité d’en faire un récit».

En région Pays-de-la-Loire, au moins 71 victimes et 65 agresseurs ont été identifiés par la commission Sauvé sur les violences sexuelles au sein de l’Église en 2021. L’une de ces victimes, dont les propos ont été rapportés par l’évêque de Nantes Laurent Perceurou, avait résumé ainsi la double violence qu’ont représentés ces viols dans l’institution : «Elle m’a dit qu’elle n’en avait jamais parlé à ses parents, parce qu’ils l’auraient punie, en disant : tu n’as pas le droit de dire cela de monsieur le curé». La parole des enfants ne compte pas, surtout face à une figure d’autorité telle qu’un homme d’Église.

Le caractère systémique des violence sexuelles dans l’Église catholique

En 2021, un rapport de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église) estimait à 330.000 les victimes de violences sexuelles au sein de l’Église. Si ce chiffre concernait les victimes d’établissements musulmans, ces derniers auraient tous été fermés depuis longtemps. L’Église catholique est même le lieu où les sévices sexuels sont les plus fréquents, en-dehors du cercle familial et amical. Cette donnée devrait être en boucle sur les plateaux télé qui parlent toute la journée de l’insécurité en France, surtout avec un Premier ministre lui-même impliqué dans une affaire. Mais il n’en est rien. Le rapport évoque «des logiques d’autorité mue en pouvoir et dévoyée en emprise, ainsi que des situations de vulnérabilité, qui sont renforcées par le contexte ecclésial».

L’étude porte également sur le parcours de vie des agresseurs. 95% d’hommes qui, sans surprise, ont une forte propension à minimiser ou carrément nier les faits. Le nombre d’agresseurs est estimé entre 2900 et 3200. Dans la plupart des cas, chaque agresseur a donc fait de nombreuses victimes, et les victimes ont subi des agressions à répétition.

Le rapport historicise la manière dont les affaires de pédocriminalité ont été traitées (ou non traitées) au cours des dernières décennies. Des années 50 à 70 «dominent chez cette dernière la volonté de se protéger du scandale tout en essayant de ‘sauver’ les agresseurs, ainsi que l’occultation du sort des personnes victimes, invitées à faire silence». À partir des années 70, l’institution tente de porter une réponse en interne. Dans les années 90, il y a une timide prise de conscience de l’existence de ces victimes, mais pas de reconnaissance. Il faut compter le début des années 2010 pour voir apparaître les premières prises en charge juridiques des affaires de pédocriminalité dans l’Église catholique.

L’institution n’a su ni anticiper, ni voir, ni traiter ces violences. Différents éléments sont amenés pour comprendre les mécanismes qui ont pu conduire à un phénomène aussi massif : «l’excessive sacralisation de la personne du prêtre ; la survalorisation du célibat et des charismes chez le prêtre ; le dévoiement de l’obéissance lorsqu’elle confine à l’oblitération de la conscience ; le détournement des Écritures». La «vision excessivement taboue de la sexualité» est également pointée du doigt. Mais comprendre les mécanismes à l’œuvre ne mène à rien, sans la volonté politique de se saisir du sujet.

À l’heure actuelle, les faits de pédocriminalité dans les établissements catholiques sont systématiquement pris en considération de manière individuelle, refusant de prendre en considération le caractère systémique. Nous avons à la tête du gouvernement un homme qui a couvert pendant des décennies les violences commises dans un établissement de sa propre ville.

À Saint-Jean à Pélussin, dans la Loire, une enquête avait révélé pas moins de 30 victimes. En juin 1996, deux professeures avaient écrit directement au ministre de l’Éducation nationale François Bayrou. «Des enfants sont en danger, nous sommes menacées, nous ne pouvons rester dans cet état». Lettre restée sans réponse. La semaine dernière encore, un article de l’Humanité révélait également des violences sexuelles perpétrées à l’établissement privé catholique Moncade, à Orthez, dans les Pyrénées-Atlantiques, des faits datant de 1977 à 1984. Ce ne sont malheureusement que quelques exemples qui ont franchi le mur du silence.

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