«Nous voulons un pays pour tous les Marocains, un pays pour les malades, les illettrés, les chômeurs et les pauvres, et non une tribune pour des politiciens au ventre plein»
Chaque semaine ou presque semble s’allumer un nouveau foyer de révolte dans le monde. Après l’Indonésie, les Philippines, Madagascar, le Népal ou le Pérou, la Gen Z du Maroc – la génération Z, née entre 1998 et 2012, soit près de 8 millions de Marocains et Marocaines – s’embrase.
La jeunesse du Maroc en première ligne
Les appels ont été lancés au nom de «Gen Z 212» – en référence à l’indicatif téléphonique du pays – un mouvement dont le groupe sur le réseau Discord a été créé le 18 septembre dernier et compte aujourd’hui plus de 125.000 membres. Des manifestations ont eu lieu tous les jours depuis le 27 septembre, rassemblant des centaines de milliers de personnes à Rabat, Casablanca, Tanger, Marrakech, Agadir ou Tétouan.
Les revendications de cette jeunesse révoltée portent en premier lieu sur la santé et l’éducation. En effet, c’est la mort de 8 femmes enceintes suite à des césariennes au mois d’août, dans l’hôpital public Hassan-II d’Agadir, qui a mis le feu aux poudres. Dès le 14 septembre, des centaines de personnes manifestaient devant le centre hospitalier. Le 29 septembre, sur les pancartes, on pouvait lire : «Au moins, le stade de la FIFA aura un kit de premier secours ! Nos hôpitaux, non».
Le collectif postait sur Discord un nouveau communiqué ce mardi 30 septembre : «Nous voulons un pays pour tous les Marocains, un pays pour les malades, les illettrés, les chômeurs et les pauvres, et non une tribune pour des politiciens au ventre plein. Nous avons besoin de responsables au service du peuple, et non de leurs propres intérêts». Le Maroc est une monarchie avec un roi et sa cour vivant dans le luxe absolu pendant que la pauvreté, la corruption et l’illettrisme restent très élevés, notamment dans les campagnes.
Les sommes investies pour le pays dans les événements sportifs à venir ont révolté la jeunesse du pays. Le Maroc accueille en effet la CAN – Coupe d’Afrique des Nations – en décembre, et la Coupe du monde en 2030. L’État a annoncé investir 4,2 milliards d’euros en ce sens, et le 4 septembre était inauguré en grande pompe le stade Prince Moulay Abdellah à Rabat. Omar Khyari, conseiller du président de la FRMF, déclarait même «on va bientôt avoir le plus grand stade du monde à Casablanca, pour la Coupe du monde, il fera 110.000 places».
Ces montants ont mis en lumière le manque d’investissement dans les services publics, santé en tête, et la jeunesse déterminée est descendue dans la rue. Des drapeaux palestiniens ont été brandis en masse également lors des manifestations, en soutien à la Palestine mais aussi en opposition à la normalisation des relations entre le Maroc et Israël.
Dans les stades aussi, la colère se manifeste. Les supporters du Wyad Casablanca ont déployé dimanche soir une banderole sur laquelle on pouvait lire «ni éducation ni médecin, et bon courage aux pauvres (et leurs proches)» et ont chanté leur soutien au mouvement. Certains joueurs se sont également positionnés, tels que Nayef Aguerd, international du Maroc et joueur de l’Olympique de Marseille, qui a posté sur Instagram son soutien : «Il s’agit de revendications tout à fait légitimes, qui reflètent leur amour sincère pour leur pays et leur désir de voir notre nation progresser et prospérer».
Le mouvement se veut apartisan et refuse toute forme de récupération politique. Nabila Mounib, membre du parti socialiste unifié, a notamment été critiquée pour s’être affichée en manifestation. Partout, la jeunesse rejette en bloc les partis politiques institutionnalisés.
Répression policière et gouvernement aux abois
La féroce répression policière ne s’est pas faite attendre. Plus de 200 personnes ont été arrêtées rien qu’à Rabat, mais la jeunesse reste mobilisée. L’avocate Souad Brahma a déclaré à l’AFP qu’une trentaine de personnes passeraient en procès à compter du 7 octobre, mais que les chefs d’inculpation restaient inconnus. Les images de violence policière qui abondent sur internet ont fait monter d’un cran la révolte, comme cette vidéo d’un père arrêté avec sa petite fille, que la police pousse dans un fourgon, enfant dans les bras.
La vidéo d’un jeune percuté volontairement par un fourgon de police à Oujda dans le nord-est du pays a également fait le tour des réseaux sociaux, déclenchant une nouvelle flambée de colère. Il a été emmené à l’hôpital dans un état grave. En réaction aux violences policières, des voitures de police ont été renversées et incendiées. À Inezgane, dans la banlieue d’Agadir, les manifestants et manifestantes ont affronté la police. Les places de Jemaa el Fna et Bab el Had sont à présent quadrillées par les forces de l’ordre. Amnesty International a appelé à “faire preuve d’une retenue maximale et éviter tout recours illégal ou excessif à la force”.
Mardi 30 septembre, le gouvernement d’Aziz Akhannouch se réunissait en urgence afin de gérer la crise, et annonçait promettre de répondre aux manifestants «positivement». Preuve s’il en est que la mobilisation de la rue reste la seule manière pour le peuple de se faire entendre. Abdelilah Benkirane, ancien premier ministre et chef du parti d’opposition de la justice et du développement – conservateur et islamiste – a appelé à mettre fin aux manifestations.
La révolte de la Gen Z est internationale
Comme dans les mouvements de la Gen Z qui sont entrés en confrontation avec les gouvernements du Pérou, d’Indonésie, de Madagascar ou des Philippines, le symbole des pirates de One Piece est partout. Ce drapeau symbolise toutes les revendications de cette génération en lutte contre le vieux monde : la justice sociale, la solidarité, le rejet du capitalisme, l’aspiration à une vie meilleure, à la liberté, au rejet de la corruption. Cette jeunesse, que les plateaux télés remplis de bourgeois radicalisés aiment dépeindre comme abrutie par les écrans et complètement dépolitisée, dément par les actes cette image construite de toute pièce pour démobiliser la jeunesse.
L’horizontalité, la décentralisation et l’auto-organisation sont les mots d’ordre dans tous les pays où cette génération se révolte, inventant ses propres codes. L’utilisation astucieuse des réseaux sociaux, avec lesquels elle a grandi, permet à cette jeunesse de communiquer par elle-même sur ses revendications, de montrer sa solidarité et de tourner en dérision les pouvoirs politiques à coup de mèmes. L’image d’un groupe de jeunes Marocains et Marocaines interpellés tout sourire dans un fourgon de police a fait le tour des réseaux, montrant le rôle prépondérant que jouent les réseaux dans ces révoltes.
Ils permettent également à ces mouvements de s’inspirer les uns les autres, puisque les images des soulèvements en Indonésie, à Madagascar ou au Népal ont été largement diffusées et commentées. Les revendications et les modes d’action se répondent et s’inspirent. Elles véhiculent l’espoir en une victoire possible, comme la chute du gouvernement népalais en quelques jours ou la démission du gouvernement malgache, et véhiculent un esprit internationaliste de la révolte.
D’autres photos du mouvement ici
AIDEZ CONTRE ATTAQUE
Depuis 2012, nous vous offrons une information de qualité, libre et gratuite. Pour continuer ce travail essentiel nous avons besoin de votre aide.