Faits divers : la fabrique du fascisme


De Mourmelon à Ychoux


Mourmelon

Au départ, un drame, terrible mais malheureusement trop courant. Nous sommes le 2 juin, dans un petit village de la Marne : Mourmelon. Kévin, 17 ans se promène dans un parc avec sa copine. Il est poignardé. Les circonstances de l’altercation restent floues. Ce crime trouve assez peu d’échos dans un premier temps. Mais l’amie de la victime, seule témoin, dresse auprès des autorités un portrait robot du tueur : «un grand, basané, en treillis militaire, casquette et capuche». L’image du criminel présumé, diffusée par les gendarmes, fait immédiatement le tour du net.

Tous les éléments pour un déchaînement raciste sont alors réunis : un «français de souche», brillant et beau garçon, fils de militaire, tué dans un village rural par un «arabe». Sur internet, toute l’extrême droite se déchaîne. Les commentaires racistes pullulent par milliers sur tous les sites d’information. Des responsables politiques comme Marine Le Pen, Gilbert Collard, et beaucoup d’autres se précipitent sur cette affaire et multiplient les tweets contre l’immigration. Dans le village de Mourmelon, les familles d’origine maghrébine «s’inquiètent des appels « à la ratonnade » et des propos tenus sur place» écrit la presse locale.

Quelques jours plus tard, les enquêteurs eux-mêmes se rendent compte du caractère invraisemblable du récit donné. La jeune femme avait livré un portrait robot et un témoignage entièrement mensongers, préparés à l’avance, pour se couvrir. C’est elle la commanditaire de l’assassinat. C’est cette adolescente, éconduite par la victime, qui avait en réalité préparé la mise à mort, pour se venger d’une déception amoureuse. Le meurtrier ? Un jeune blanc, de 17 ans, passionné par les armes à feu et les reconstitutions d’épisodes guerriers militaires, qui rêvait de rejoindre les rangs de l’armée. L’arme du crime ? «Un couteau des années 40», offert par sa famille. L’emballement raciste reposait sur un énorme mensonge stéréotypé.

Au-delà du caractère dramatique de ce fait divers, il faut s’interroger sur la capacité des médias à façonner des profils de coupables. À contribuer à la banalité du mal. L’adolescente à l’origine de l’assassinat n’est qu’une jeune fille manipulatrice, biberonnée depuis l’enfance aux reportages anxiogènes et à la logorrhée de chaînes comme TF1 ou BFM qui abreuvent des millions de personnes d’images de violences et d’interventions policières «musclées». Le portrait robot, «basané», était ainsi la figure idéale, sortie des fantasmes d’une adolescente raciste vivant dans un village qui a voté à plus de 60% pour le FN aux dernières élections. Les deux tueurs étaient-ils eux-mêmes proches des idées d’extrême droite ? Nous ne le saurons pas, la presse n’ira certainement pas creuser de ce côté. Mais le discours ambiant a mis dans la tête d’une lycéenne qu’on peut tuer quelqu’un et s’en sortir indemne en accusant un arabe. Ce discours est en partie responsable dans cette affaire.

Ychoux

Autre fait divers, bien moins médiatisé. À Ychoux, dans un village du sud-ouest de la France. Le 20 mai, un retraité sort son arme et fait feu sur son voisin avec un pistolet 22 long rifle. Le mobile est aussi banal que terrible : le racisme. Le tireur avait hurlé des insultes xénophobes avant de tirer à 5 reprises sur Saïd, père de famille de 39 ans. Le retraité est aujourd’hui mis en examen pour «tentative d’assassinat aggravée par une motivation à caractère raciste». Après deux opérations risquées, au cours desquelles les médecins n’ont pas réussi à extraire toutes les balles, logées pour certaines près de la moelle épinière, Saïd meurt le 4 juin. Les rares médias qui parlent de ce crime n’évoquent le mobile raciste qu’à demi-mot, du bout des lèvres. C’est pourtant la deuxième fois en quelques jours que des personnes d’origine maghrébine sont visées par des tirs, en France. La dernière fois, c’était une famille, à Saint-Alban-les-Eaux, le 18 mai. Heureusement, sans faire de blessé. Aujourd’hui, le racisme endeuille une famille.

La fabrique du racisme

Il ne s’agit pas de se focaliser ici sur des faits divers, mais de saisir en quoi leur traitement contribue au jeu politique, et façonnent un climat abject dans le pays. Nous avons d’un côté une fausse accusation raciste sur fond de querelle amoureuse, récupérée par l’extrême droite. De l’autre des crimes racistes, avérés, quasiment passés sous silence. Et en fond sonore, des chroniqueurs ouvertement réactionnaires, payés par l’argent public, qui sévissent et distillent leurs idéologies sur les chaînes de télé. Le fascisme a su imposer une hégémonie culturelle. Il est temps de faire exister, dans le paysage médiatique, un autre climat que celui des peurs et des manipulations haineuses.


Sources :

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