La suite de l’histoire reste à écrire
L’automne dernier, des tracts appelant à «tout bloquer» circulent sur les ronds points, le long des routes, au bord des centres commerciaux. Le 17 novembre 2018, des centaines de milliers de Gilets Jaunes paralysent l’économie du pays. Ce mouvement naissant redonne vie aux ronds points, aux sorties de périphériques, aux parkings de supermarchés : les lieux les plus détestables que la société moderne a produit deviennent festifs, animés, et parfois même attirants.
Cela fait quasiment 7 mois. Des dizaines de manifestations d’une énergie incroyable. Des fêtes de Noël sur les ronds-points. L’Arc de Triomphe envahi et la plus belle avenue du monde couverte de barricades. Un transpalette dans un ministère et un boxeur de gendarmes devenu héros populaire. Des produits sortis de boutiques luxe partagés au cœur de Paris. L’économie au ralenti avant les fêtes. Des péages hors service. Et l’immense panique du pouvoir en décembre : des hélicoptère dans la cours de l’Élysée, prêts à exfiltrer le président. L’explosion des certitudes. Les formes classiques et encadrées des mouvements sociaux passés paraissent si loin.
Ces derniers mois, la militarisation de la police a franchi une série de paliers, pour atteindre un niveau de violence unique en Europe. Une répression à la hauteur de la peur qu’a ressenti le gouvernement. 12.000 arrestations. Des blindés dans les rues. Des centaines de peines de prison. Des centaines de mutilés pour l’exemple. Des blessés par milliers. Des grenades de guerre qui résonnent dans toutes les villes du pays.
Ce sont des dizaines de milliers de familles ou de bandes d’amis, en France, qui sont marquées dans leurs chairs par les violences d’État. Il n’existe pas un groupe de Gilet Jaunes qui ne compte pas de blessés, d’arrêtés, voire d’emprisonnés dans ses rangs. C’est toute une lutte marquée au fer rouge, qui n’oubliera jamais ce que le gouvernement lui a fait subir. Alors évidemment, arrivé au mois de juin 2019, le mouvement est affaibli, fatigué, écrasé.
«L’essoufflement» matraqué chaque week-end par les médias depuis 30 semaines est en train de se produire. Déjà, les chiens de garde aboient qu’il ne s’est rien passé.
Le mouvement des Gilets Jaunes est comme hébété, assommé, sans repère. Il y a des ruptures, des embrouilles, des déprimes, des désillusions. Un sentiment d’impuissance. Une recherche de nouvelles pistes.
Et si le mouvement des Gilets Jaunes n’était que le début d’une lutte prolongée ? Macron n’est qu’à mi-mandat. Il compte attaquer plus fort encore dans les semaines qui viennent : les retraites, la sécurité sociale, et d’autres acquis sociaux. Visiblement, il a déjà oublié la terreur qu’il a ressenti, avec ses amis, en décembre dernier. Il reste à ce président aux mains pleines de sang deux ans et demi à tenir. Macron compte y parvenir par une répression féroce, et un appareil médiatique digne d’un régime autoritaire.
Et maintenant ? Malgré les plaies, les séquelles, et la fin des grandes manifs, il faut faire vivre les innombrables communautés qui se sont créées depuis l’hiver : les rencontres improbables, les complicités nouvelles. Mais aussi investir partout où c’est possible des Maisons du Peuple, comme le font les Gilets Jaunes de Caen, de Marseille, et d’ailleurs. Se ressourcer et prendre le temps de réfléchir, mais aussi d’échanger, pour propager la révolte et faire vivre les paroles du mouvement. Par des banderoles, des affiches, des tracts, des tags, des revues, de l’humour…
Comment parlera-t-on des Gilets Jaunes dans les années qui viennent ? Comme d’une révolte populaire matée dans le sang ? Comme d’une agitation bordélique et éphémère ? Ou comme le début d’un vaste moment révolutionnaire ?