Législation floue, contrôle inexistant… l’usage de la reconnaissance faciale s’est répandu silencieusement
Nous l’expliquions dans notre précédent article : le gouvernement met les moyens pour faire de la propagande pro-police dans les médias. Parmi les sujets de prédilection abordés par les journalistes complices du pouvoir, on trouve «la police n’a pas assez de moyens» et «la justice est trop laxiste». En d’autres termes, il serait trop difficile pour la police de trouver les preuves de la culpabilité des personnes interpellées. Et, même quand la police est absolument certaine de son coup, la justice, trop gentille, relaxerait en permanence les délinquants. En se baladant un peu sur certains sites comme Bastamag, StreetPress, Nantes Révoltée, Cerveaux Non Disponibles, Désarmons-les… on se rend vite compte que cet argument de policiers chouineurs ne tient pas une seule seconde.
Cela n’empêche pas Darmanin d’aller rendre visite au syndicat policier d’extrême droite Alliance lors de son congrès annuel pour «recueillir ses doléances». De concert avec ces pauvres petits agents de police soit-disant privés de tout moyen, le sinistre de l’intérieur affirme que sa police est trop bridée et qu’il est trop complexe d’obtenir des preuves. Et d’expliquer allègrement qu’il n’y a pas assez de caméras, ni de «moyens». Il prépare ainsi le terrain pour la mise en place de tout un tas de dispositifs de surveillance, et notamment celui de la reconnaissance faciale.
Une enquête de StreetPress révèle que la police utilise en fait déjà la reconnaissance faciale, de façon extra-légale. Explications :
Un décret de 2012 autorise bel et bien l’usage de logiciel de reconnaissance faciale pour l’utilisation du fichier TAJ (pour Traitement d’Antécédents Judiciaires). Ce fichier rassemble les personnes mises en cause (condamnées ou seulement suspectes) dans des affaires pénales ainsi que les victimes d’infraction. 19 millions de personnes sont recensées dans ce fichier. Utiliser la reconnaissance faciale est extrêmement simple : dans le TAJ figure une option pour identifier quelqu’un avec une photo. L’agent de police n’a qu’à télécharger dans l’application la photo de la personne qu’il souhaite identifier, et le TAJ lui indique à quelle identité elle correspond. En principe, la technique ne peut être utilisée qu’en cas de constatation d’infraction, de verbalisation ou de placement en garde-à-vue, mais PAS en cas de contrôle d’identité.
Par ailleurs, la loi Informatique et Libertés de 2018 précise que le recours aux données biométriques ne peut avoir lieu qu’en «cas de nécessité absolue».
En fait, la législation est trop peu précise sur la question, ce qui permet aux agents d’y avoir recours sans complexe. En effet, la reconnaissance faciale peut être utilisée en cas de constatation d’infraction, de n’importe quelle infraction. Par exemple, pour une non dispersion après sommation, pour un simple outrage, pour un attroupement…
En outre, le contrôle de la hiérarchie ne s’exerce qu’au bon vouloir des chefs, c’est-à-dire pas souvent. Enfin, les agents de police eux-mêmes ne sont pas au fait des conditions légales d’utilisation de ce logiciel.
En 2019, la police a utilisé la technique de la reconnaissance faciale avec le TAJ 375.000 fois, et dans les 6 premiers mois de 2020, plus de 200.000 fois. Ce qui fait une moyenne de plus de 1000 par jour. C’est colossal.
L’absence quasi totale de cadre législatif autour de cette technique policière fait craindre qu’elle ne soit utilisée au cours de simples contrôles d’identité. Lors de l’expulsion du squat du Marbré, à Montreuil, des militant.es ont signalé l’usage de la reconnaissance faciale. Mais c’est difficile à vérifier étant donné le peu de contrôles existant.
La multitude de fichiers de police existants permet de penser que la reconnaissance faciale pourrait s’imposer dans les mois à venir. Par ailleurs, le développement exponentiel de la vidéosurveillance ouvre une voie lucrative pour les marchands de sécurité. L’invention toujours plus performante de logiciels en tout genre comprend celle des outils de surveillance, et notamment des «caméras intelligentes». La reconnaissance faciale mais également la reconnaissance de silhouette et de démarche, constituent un marché juteux pour les entreprises de sécurité et un atout majeur pour le pouvoir et sa police dans le contrôle de la population.
Contrôle et marché du contrôle, capitalisme et autoritarisme : la Start Up Nation s’enfonce toujours plus loin dans le fascisme et en recycle les vieux ingrédients.
Pour aller plus loin :