Creuser le lit du fascisme


Retour sur la tribune des militaires du 21 avril


Le 21 avril, le torchon d’extrême droite Valeurs Actuelles publiait un appel au putsch d’un millier de militaires, dont certains hauts gradés. Marine Le Pen s’empressait de les applaudir.

Le texte est un mélange d’imbécillité de vague brune bête et méchante et d’une inintelligence exceptionnelle. Partant du soi-disant constat que «la France est en péril» et que «plusieurs dangers mortels la menacent», il critique lamentablement l’antiracisme, l’islamisme, les banlieues, les «casseurs» et le manque de réaction du gouvernement face à ces menaces. Subtilement, il soutient les Gilets Jaunes et fait montre d’une compréhension envers le seul mouvement qui a fait peur au pouvoir cette dernière décennie. Une manière de se rapprocher des classes populaires et de récolter du soutien de ceux qui fustigent aussi le pouvoir en place.

Le texte affirme également un soutien inconditionnel aux forces de l’ordre (ce qui n’a rien d’étonnant puisque les signataires de la tribune en font partie), qui auraient été jetées en pâture contre le mouvement des Gilets Jaunes en proie aux « casseurs infiltrés ». Ce faisant, il espère flatter et récupérer une partie des Gilets Jaunes, en prétendant que la police n’a jamais voulu les réprimer eux, les vrais français, mais qu’ils n’ont fait qu’obéir aux ordres. C’est ce que critiquent vertement ces militaires : la police s’en est prise aux Gilets Jaunes alors qu’elle laisserait les «hordes de banlieues» tout saccager, et les islamistes (comprendre : les musulmans) remplacer les « vrais français » sur leur propre territoire. Et ce serait à cause…de l’antiracisme et de l’indigénisme. Et pire encore, des terrifiants mouvements décoloniaux !

Un tel niveau de confusion pourrait prêter à rire s’il n’était aussi alarmant. En effet, les militaires déclarent tranquillement que si le pouvoir n’agit pas à la hauteur de leurs attentes pour «éradiquer ces dangers», ils seront bien forcés de le faire eux-mêmes…. Un appel au putsch, et ce 60 ans jour pour jour après la tentative de putsch d’Alger par des généraux racistes et coloniaux !

La rhétorique autour de la prétendue « explosion de la violence » dans notre société n’est pas nouvelle. Elle vient de l’extrême droite et des marchands de l’ultrasécurité. Pour pouvoir vendre son matériel de maintien de l’ordre, il fallait bien accréditer l’idée que la société connaissait de plus en plus de violence. Et pour être élu, il fallait soutenir que cette violence venait principalement des jeunes de banlieue issus de l’immigration. Ces présupposés ont été poussés loin avec la théorie de l’ensauvagement, qui ferait croire qu’une guerre civile et raciale serait en préparation.

Or, absolument rien ne prouve que les violences contre les personnes ont augmenté. Par ailleurs, Didier Fassin, dans son ouvrage «la force de l’ordre», démontrait que les violences dans les quartiers périphériques des villes étaient moins fréquentes que dans les centre-villes. En outre, comment pourrait-on savoir que les violences viendraient plus des jeunes issus de l’immigration étant donné qu’il est parfaitement interdit en France de faire des statistiques et des enquêtes sur des caractéristiques ethniques ou sur l’origine des individus ? Mais la droite et l’extrême droite ne sont pas connues pour la pertinence de leur argumentation.

Il faut dire aussi que les généraux qui ont signé la tribune ne viennent pas de nulle part. En effet, plusieurs sont proches de Renaud Camus, fasciste notoire et adepte de la théorie du grand remplacement. Plusieurs ont été candidats sur des listes RN. Certains sont proches de réseaux complotistes. En bref, des généraux d’extrême droite qui signent une tribune d’extrême droite. Et un appel au putsch. Faut-il rappeler que les putsch militaires ne débouchent pas sur une période rose ? En Espagne, c’est par un coup d’État militaire que Franco est arrivé au pouvoir. 40 ans de dictature fasciste. Au Chili, c’est pas un coup d’État militaire que Pinochet a pris le pouvoir. 25 ans de dictature terrible. On pense également à Videla en Argentine, à la dictature des colonels en Grèce…

On a pu se rassurer en se disant qu’après tout, les généraux qui ont pondu cette bouse sont à la retraite, qu’ils n’ont plus de poids politique et qu’il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter.

Sauf que des gendarmes ont écrit une réponse qui ne contredit pas les militaires sur le plan des idées. La seule chose que critiquent lesdits gendarmes est l’appel au putsch, mais sinon ils affirment leur complet accord avec le constat dressé par les fascistes. Ils ajoutent même une bonne dose d’antisémitisme en expliquant tranquillement que les Juifs dirigent le monde en sous-main.

Tout récemment, la serpillière Valeurs actuelles s’est empressée de publier une autre tribune de militaires, de militaires en activité cette fois. Ils soutiennent sans réserve la première tribune des militaires. Ils invoquent le Mali, l’Afghanistan et la Centrafrique, où ils affirment combattre l’islamisme. Ils oublient de préciser que des civils ont été tués au Mali tout récemment, par exemple. Est-ce ainsi que l’on combat Daesh ? Non. D’ailleurs, ce ne sont pas des guerres pour combattre Daesh mais bien des guerres impérialistes pour les intérêts des grandes entreprises capitalistes (Areva, Total…). Le bras armé du capitalisme prétend ainsi défendre les Gilets Jaunes dans leur lutte sociale et anticapitaliste mais en réalité c’est tout l’inverse. L’armée est donc ainsi jamais du côté des mouvements sociaux ni des Gilets Jaunes.

Tous ces gendarmes et militaires, bien entendu appuyés par la police, oublient opportunément un certain nombre de faits.

Depuis janvier, plusieurs militaires et policiers ont été mis en examen dans le cadre d’un gros trafic d’armes, qui profitent à l’extrême droite et au trafiquants de drogues. N’oublions pas non plus que c’est un type d’extrême droite, Claude Hermant, qui est impliqué à Lille dans une affaire de trafic d’armes, dont certaines se sont retrouvées entre les mains de Coulibaly. Et ce alors qu’il était indic’ des gendarmes. Alors, quand quelques militaires dénoncent des «accommodements avec la délinquance» de la part de l’État, ça prête à rire.

Affirmer que le gouvernement français est trop laxiste est une méconnaissance totale de la politique pénale. Les prisons sont surchargées. Les violences policières dans les quartiers sont quotidiennes. StreetPress a par exemple publié une enquête de qualité sur les exactions permanentes des policiers du commissariat du 19e arrondissement, qui donne tout simplement envie de vomir. Tabassages, viols, maltraitance… La police a un talent pour se faire haïr, elle n’a pas besoin d’aide pour cela.

Depuis plus de 20 ans, les lois sécuritaires s’enchaînent. Toutes comportent un pan énorme de «lutte contre la délinquance dans les quartiers», en renforçant les pouvoirs de la police, en créant des nouveaux délits exprès pour les jeunes de quartiers, en aggravant les peines, en permettant à la police de contrôler quand elle le décide. Le laxisme n’existe pas en droit pénal en France. À noter au passage que si réellement les violences explosaient, il serait peut-être temps de remettre en question de tout-sécuritaire qui sévit…

Quant à affirmer que l’immigration est un problème, il faut vraiment être complètement racorni pour le penser. Les gouvernements successifs se vantent d’ailleurs de toujours expulser plus que les précédents. Des centaines d’exilé-es meurent dans la Méditerranée chaque année. Les Centre de rétention se sont carcéralisés pour devenir de véritables prisons.

Pour un pays qui s’est servi des habitants de ses colonies comme de la chair à canon, c’est assez incroyable de prétendre ensuite que les immigrés constituent un problème. C’est en outre un véritable crachat à l’encontre des personnes qui fuient les guerres.

Les idées propagées par ces textes sont celles de l’extrême droite, du fascisme. D’ailleurs, les premiers soutiens qui se sont manifestés viennent naturellement de l’extrême droite.

Les dernières défaites sociales, causées notamment par un pouvoir autoritaire, sa police ultra-violente et sa justice expéditive et sévère, creusent le lit du fascisme.


Un soulèvement puissant, spontané et autonome est le meilleur rempart au fascisme.


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