Pour les libertés à Paris : “convoi exceptionnel”


Samedi 12 février : reportage sur les Champ-Élysées


«Le convoi est immense!» s’enthousiasme un Gilet Jaune de Nantes, ému, vendredi 11 février. Il se trouve dans la longue file de véhicules partie de l’Ouest pour rallier Paris. Le cortège s’étend déjà sur plus de 20 kilomètres. Et il ne s’agit que d’un des nombreux convois de la liberté qui convergent vers la capitale. Des milliers de personnes, de façon auto-organisée, sans structure, sans leaders ni moyens, affluent contre les mesures autoritaires du gouvernement, mais aussi contre la hausse du prix de l’essence, pour l’accès à la culture et à la santé, pour une meilleure répartition des richesses…

Lors des haltes le long de l’autoroute, il y a de la musique, des sourires, on partage de la nourriture. Une convivialité qui ressemble à celle vécue sur les ronds-points occupés de l’automne 2018. D’ailleurs, on retrouve les Gilets Jaunes de la première heure dans les convois. Entre le récit médiatique, qui décrit des hordes de dangereux fascistes, et l’ambiance réelle de cette mobilisation, le gouffre est immense. Qui peut encore croire au récit officiel ? Dans la nuit, le convoi de l’Ouest fera halte à Chartres, avant de partir à l’abordage de la capitale le lendemain.

Samedi 12 février au matin. Le préfet a bouclé Paris. Des blindés sont dans les rues. Pour «empêcher les entraves à la circulation», le pouvoir paralyse les grands axes. Des files de véhicules sont interceptées sur le périphérique. Les amendes pleuvent. La police est partout. Mais peu après midi, un bruit court : un convoi est entré sur les Champs-Élysées. Dès 13h les premières grenades lacrymogènes saturent déjà l’air de la “plus belle avenue du monde”. Des policiers explosent la vitre d’une voiture. Un automobiliste est braqué par une arme à feu. Des véhicules sont emmenés à la fourrière. La tension est palpable. Une colonne de blindés entoure l’Arc de Triomphe. Encore une fois, le dispositif rappelle l’automne insurrectionnel des Gilets Jaunes. Mais ici, contre une manifestation motorisée. Pour la première fois des campings-cars dévoilent un potentiel subversif insoupçonné.

À partir de là, le maintien de l’ordre est aussi violent qu’aberrant. Pendant des heures, la police charge, tire des gaz sans raison après de longs intermèdes de calme. Les agents de la BRAV, agressifs, commettent des tabassages en série, au hasard. Il relâchent ou interpellent selon leur bon vouloir. D’énormes colonnes de policiers remontent l’avenue, attaquent ou lancent quelques grenades puis repartent. Le scénario se répète sans fin. Une politique de terreur.

Il y a ces touristes anglais avec deux enfants en larme, le visage brûlé. Ce jeune frappé au sol par des policiers après avoir été désigné par des agents en civil. Des terrasses et des automobiles gazées. Une dame âgée, cliente d’un restaurant guindé, soignée par des manifestants. Une jambe fracturée en deux lors d’une interpellation. Un homme le visage en sang. L’ambiance est oppressante et, en même temps, il y a un grand calme du côté des manifestant-es. Une sorte de résistance passive : rester là, tenir, reculer puis reprendre l’avenue. Étrange ambiance.

Quand la nuit tombe, les gaz continuent de saturer l’air. Un morceau du convoi de l’Ouest traverse les Champs sous les acclamations. Un manifestant escalade un fourgon de CRS. Des dizaines de camions de gendarmes activent leurs sirènes en cœur, comme pour recouvrir les slogans. Un homme tombe inanimé et convulse au milieu des policiers qui gazent les témoins. Les lacrymogènes piquent jusque dans le métro. Cette répression, gratuite, va continuer jusqu’à 22h.

Après une après-midi sur place, aucun de nos reporters n’a vu ni entendu un seul slogan d’extrême droite. Il y avait d’ailleurs peu de slogans et de banderoles. «Liberté», «révolution», quelques chants gilets jaunes ou anti-pass, et bien sur des cris contre Macron ou la police. Confus ? Peut-être. Mais qui peut prétendre ne pas l’être dans la période ? Une poignée de militants d’extrême droite ont été chassés en début d’après-midi. Mais il n’y a pas de groupes structurés qui tentent d’imposer leurs idées, comme c’était le cas en 2018.

Sans surprise, la narration de ce gouvernement qui a appliqué pendant 5 ans des politiques racistes et sécuritaires, et qui ose accuser ce convoi d’être “fasciste”, est totalement fausse. Et cette “gauche” qui a renoncé depuis longtemps à agir sur le cours des choses, se contentant de réciter des leçons de morale, amplifie cette narration. Elle n’a rien appris : elle fait exactement comme au début des Gilets Jaunes. Ces gens ont peur de ce qu’ils ne contrôlent pas, après avoir déjà accepté sans broncher les confinements, couvre-feux et Pass technopoliciers : nous n’en attendons plus rien. Les seuls actes fascistes que nous avons constaté ce samedi venaient d’individus cagoulés, portant matraques et uniformes. L’extrême droite était bien dans les rues ce samedi : elle faisait régner la terreur à coup de grenades.

Il y a deux différences de taille avec le mouvement des Gilets Jaunes : la foule composite et disparate qui tentait d’investir les Champs Élysées est beaucoup moins offensive qu’en 2018. Quelques barricades, mais pas un seul jet de projectile, presque aucun tag, pas même de riposte face aux assauts de la police. Le maintien de l’ordre a-t-il gagné ? Il a, en tout cas, démontré sa supériorité militaire écrasante. L’autre différence, c’est le nombre. Sur l’avenue, il n’y avait pas assez de monde pour faire masse. Il faut dire que le dispositif était très dissuasif, et que plus de 10 000 personnes manifestaient au même moment pour les mêmes raisons Place d’Italie, à l’autre bout de Paris. Si ce cortège avait atteint l’Arc de Triomphe, alors tout aurait été très différent…

Maintenant que faire ? Une partie du convoi va continuer sa route vers Bruxelles, mais beaucoup de participant-es rentrent chez eux, notamment pour retourner travailler. Ce week-end, des dizaines de milliers de personnes organisées spontanément sur les réseaux sociaux auront adopté un mode de protestation original et à même de surprendre le pouvoir. Mais ces convois sont, pour le moment, contenus par le régime policier et médiatique.

Quoiqu’il arrive, à deux mois des élections, ces convois inquiètent les gouvernants, qui veulent éviter à tout prix que la colère se manifeste de nouveau. L’image des Champs Élysées sous les gaz est de très mauvaise augure pour Macron qui démarre sa campagne. Un prochain rendez-vous est annoncé pour le mois de mars. Mais quel est l’impact d’un tel coup d’éclat s’il ne dure qu’un ou deux jours ? N’est-il pas plus efficace bloquer le plus d’axes possible durablement à Paris et alentours ? Et comment se donner les moyens de tenir ? À suivre.

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