«Insécurité : Nantes pire que Bogota». Le bandeau est affiché sur toute la largeur de l’écran samedi après-midi sur la chaîne du milliardaire d’extrême droite Bolloré. Différents médias réactionnaires, comme le Figaro ou Valeurs Actuelles reprennent l’intox en boucle : la France serait plus dangereuse que le Mexique, il y aurait plus d’insécurité à Paris qu’à Medellín, ville colombienne connue pour ses cartels de drogue. Sur 453 villes, Paris serait à la 350e place et un peu plus bas encore Marseille à la 388e, devant Nantes. Nous vivons donc dans des coupes gorge plus dangereux que les grandes villes de pays en guerre civile ou en plein effondrement économique.
On pourrait se contenter d’en rire, mais ce n’est pas drôle. Au Mexique, depuis le début de la «guerre contre la drogue» lancée par le gouvernement, 275.000 personnes ont été assassinées, 85.006 sont déclarées «disparues» et 1.600.000 sont déplacées. C’est une guerre civile qui ne dit pas son nom, avec des viols, des meurtres, des actes de torture, des exactions commises par l’armée et les cartels. Et un bilan humain comparable à la guerre en Syrie. Au Mexique, le conflit a permis aux autorités de liquider des militants anticapitalistes et écologistes, qui «disparaissent» sans jamais être retrouvés.
Au Brésil, classé selon le Figaro au même niveau que la France, des escadrons de la mort paramilitaires tuent dans les favelas, des groupes de mafieux font régner leur loi dans des zones entières, la police raquette et tue. En 2017, il y avait 64.000 homicides dans le pays, soit plus de sept par heure. En Colombie, le conflit armé qui oppose l’armée aux guérillas a fait des centaines de milliers de morts, avec notamment des massacres commis par des milices d’extrême droite contre les populations indigènes. Non, ce classement débile ne nous fait pas rire. Il n’est pas seulement ridicule, il est indécent.
Quelles sont les sources de ces médias pour décrire la France comme l’un des pays les plus dangereux du monde ? Il s’agit du «classement mondial» réalisé par le site internet «Numbeo». Un site qui recueille les «notes» sur le «ressenti» des visiteurs. N’importe qui peut donc donner son avis sur n’importe quelle ville sans vérification. Et ces notes ne sont ni nombreuses ni représentatives : Paris récolte 842 avis, Bordeaux 105, Toulouse 142 et Nantes 404. Il suffit donc de quelques dizaines de clics pour modifier totalement la «moyenne» d’une ville. Un petit groupe coordonné pourrait classer Genève comme ville la plus dangereuse du monde en quelques heures sur ce site.
Pourtant, ce classement bidon est utilisé depuis des mois par l’extrême droite. En mai, le député du Rassemblement National Bruno Bilde avait utilisé le site pour démontrer que «la France [est] bien représentée dans le top 15 des villes les plus criminogènes et dangereuses d’Europe !». Ce classement ne prouve qu’une chose : que l’extrême droite française est mieux organisée pour manipuler l’opinion à l’aide d’un site internet. Et que les médias français sont des cloaques qui relaient ces manipulations.
L’insécurité ? Parlons-en. Il y a 20 ans, on comptait 1.600 meurtres par an en France, aujourd’hui, on en dénombre deux fois moins. Et le chiffre est stable. Les statistiques évoquent une hausse des vols. Et les agressions sexistes sont mieux dénoncées et recensées. Le trafic de drogue dans les quartiers ? Business mafieux qui arrange l’État. Dépénaliser les drogues douces permettrait de faire retomber les tensions.
Il n’en reste pas moins qu’à Nantes, ville «pire que Bogota», il n’y a jamais eu autant de gens en terrasses de bars ou à traîner dans les rues que cette année. Et s’il y a effectivement des agressions et des groupes désœuvrés, il n’y a pas «d’explosion de l’insécurité». Un quartier comme celui des Olivettes était considéré comme dangereux dans les années 1980, c’est aujourd’hui une zone bourgeoise. Comme le quartier du quai de la Fosse, qui n’a plus ses marins et ses bars mal famés, ou l’ancien quartier populaire qui se trouvait à l’endroit de la Place Bretagne, qui était celui de la criminalité nantaise. Aujourd’hui, ce sont des commerces et des administrations. Globalement, la ville est moins violente qu’il y a 30 ou 50 ans. Par contre, le discours sur l’insécurité occupe une place omniprésente. Des milices se sont même créées à Nantes pour «patrouiller» et réclamer plus de police. Et elles bénéficient régulièrement de tribunes dans la presse locale et les médias d’extrême droite.
La police, déjà en surnombre à Nantes, ne règle rien. Au contraire. Une société idéale, débarrassée des oppressions, commence par imaginer l’autodéfense populaire sans police, en cultivant des réflexes collectifs d’entraide. Par exemple réagir lorsqu’on voit une femme se faire harceler, ou une personne isolée agressée.
Enfin, «l’insécurité» dans une Métropole comme Nantes, Rennes, Bordeaux ou Paris est d’abord sociale. Des milliers d’étudiants ne peuvent pas se loger, ou dans des taudis très chers. Des personnes âgées sont maltraitées dans des EHPAD hors de prix. Le coût de la vie explose. Les jobs sont de plus en plus précaires. Cette insécurité là, qui touche la majorité de la population, ne sera pas traitée par Cnews et Valeurs Actuelles.