Un scrutin extrêmement serré entre Lula et Bolsonaro, une extrême droite puissante et menaçante, une gauche timide et sur la défensive
«Nous disons au monde : le Brésil est de retour !» C’était la déclaration de Lula à São Paulo, dimanche 30 octobre au soir. Luis Ignacio Lula Da Silva, 77 ans, est victorieux de justesse dans les urnes face à l’extrême droite de Bolsonaro. Une formule un peu creuse, des appels à la paix et à l’unité, après des années terrifiantes pour le pays, et beaucoup d’incertitudes. Lula ancien ouvrier qui a perdu un doigt à l’usine, syndicaliste, opposant emprisonné durant la dictature militaire, est de nouveau président du Brésil, après avoir effectué deux mandats entre 2003 et 2011.
Le Brésil est un pays de la démesure. Un territoire immense, grand comme 17 fois la France, deux fois plus vaste que l’Union Européenne. Une nation de 212 millions d’habitants, riche de ressources et couvert par l’Amazonie, la plus grande forêt tropicale du monde. C’est aussi un pays de milices et de milliardaires, de favelas et de quartiers riches protégés par des militaires. Un pays de grands propriétaires terriens qui détruisent la forêt pour développer l’agriculture intensive. Le pays le plus métissé du monde, mais qui est gouverné depuis 4 ans par un fasciste.
Ce dimanche, Bolsonaro est le premier président de l’histoire du Brésil à ne pas être réélu. Lula est le premier président de l’histoire du Brésil à être réélu pour un troisième mandat. C’est aussi l’élection la plus serrée depuis la chute de la dictature. Lula ne comptabilise que 50,8% des suffrages. Son adversaire fasciste perd donc d’un fil, après une abjecte campagne.
Durant son mandat Bolsonaro, l’ancien militaire nostalgique de la dictature, a détruit tous les équilibres fragiles du Brésil. Il a, par exemple, littéralement supprimé les retraites et les minimas sociaux. Au Brésil, la moitié de la population est désormais en insécurité alimentaire et la mendicité explose. Il a démantelé l’inspection du travail, provoquant le retour de formes d’esclavagisme et l’exploitation d’enfants. Cassé les maigres protections de l’environnement. Détruit le système de santé. 700.000 personnes sont mortes du Covid. Bolsonaro a militarisé massivement la société, en autorisant largement le port d’arme, s’alignant sur le modèle États-Unien. Un chiffre vertigineux : 6.400 personnes tuées par la police brésilienne en 2020. Plus de 20 crimes d’État par jour, des massacres lors d’opérations spéciales des «troupes de choc» dans les favelas. Enfin, Bolsonaro a arrosé d’argent les églises évangélistes, qui organisent de grands shows religieux en diffusant des messages politiques réactionnaires.
Quel est le bilan de Lula ? Celui d’un président social-démocrate. Durant ses deux mandats, il a massivement réduit la grande pauvreté, diminué la déforestation de l’Amazonie, instauré des quotas pour les noirs et métisses dans les universités, favorisé l’alphabétisation. Mais il n’a pas mis fin à la répression incontrôlable, ni au racisme structurel, et encore moins au capitalisme triomphant.
En 2002, Lula a même écrit une lettre pour rassurer les marchés financiers sur le fait qu’il ne représentait aucune menace, avant son élection. En 2022, il a publié une rassurante « lettre aux évangéliques», religion de fanatiques pro-Bolsonaro qui voient la gauche comme le diable incarné. Il a choisi un vice président très religieux, proche de la droite et lié à l’Opus Dei, afin de séduire l’électorat conservateur, et négocié avec des centristes néolibéraux pour fabriquer un programme plus que timide. Son objectif affiché : «revenir à la normale». Pas question de parler de lutte des classes, de partage des terres, d’anticapitalisme.
Le scrutin est extrêmement serré car il est teinté de religion. Les évangélistes représentent désormais près d’un tiers de la population brésilienne, plus du double qu’il y a 20 ans. Ils seront bientôt majoritaires. Et les pasteurs, dans de grands shows populaires, appellent à soutenir Bolsonaro, nouveau messie, face à l’antéchrist Lula. Dimanche soir, les partisans de Bolsonaro faisaient des prières collectives à Brasilia.
Si Bolsonaro a perdu l’élection, Lula ne l’a pas gagnée. 14 des 27 États du Brésil seront gouvernés par des opposants à Lula, dont ceux de Rio, Sao Paulo et Brasilia. Le clan Bolsonaro dispose de trois fois plus de députés au parlement qu’auparavant. Lula sera confronté à un Congrès hostile, à une situation économique incertaine et à un pays violent et ultrapolarisé.
Plus grave encore, Bolsonaro ne lâchera pas le pouvoir facilement. Dimanche, la police militaire a bloqué des bus venant des quartiers pauvres pour les empêcher de voter. Dans les États de gauche du Nordeste, des violations flagrantes du scrutin se sont multipliées. Des policiers ont intimidé la population pour qu’elle soutienne le président fasciste. Une cellule néonazie armée a été démantelée il y a quelques jours dans l’Etat d’Espirito Santo. Une députée Bolsonariste a sorti une arme et tiré en l’air en pleine rue face à un partisan de Lula la veille de l’élection.
Ce lundi dans les Etats du sud, massivement pro-Bolsonaro, des routes sont bloquées. Dans le Mato Grosso également, des camionneurs ferment une autoroute pour protester contre la victoire de Lula.
Pour l’instant, le clan Bolsonaro, qui dispose d’appuis militaires, reste silencieux et ne reconnaît pas publiquement la défaite. Ce qui est inquiétant. La passation de pouvoir n’aura lieu que le 1er janvier, il reste deux mois. Nul ne sait ce qui peut advenir d’ici là, ni quelles seront les marges de manœuvres de Lula.