La République des lobbys


Des députés volent au secours de la corrida, pourtant rejetée par 81% des français


Imaginons une tradition locale : un chaton est envoyé au milieu d’un cercle de spectateurs. On lui enfonce de petites lames dans le dos pour l’épuiser pendant de longues minutes, en l’attirant avec des croquettes. Épuisé, couvert de sang, transpercé de toutes parts, le félin fatigue, titube, crache du sang. Un couteau de cuisine vient lui transpercer la colonne vertébrale. Le chaton tremble, agonise, et meurt. Les spectateurs applaudissent et acclament la mise à mort.

Il ne s’agit pas de chatons mais de petits taureaux. Cette pratique se nomme corrida. Elle est présentée comme une «tradition» intouchable dans une petite partie du sud de la France, essentiellement dans la région de Nîmes. Si vous trouvez que la comparaison avec un chaton est un peu exagérée, remplacez le par un cheval ou même par un éléphant. Le principe est le même : la mise en spectacle de la torture et de la mise à mort d’un herbivore qui n’a aucune chance. Car ce spectacle qui consiste à «opposer» la puissance du taureau à l’habileté du torero est pipé : les bovins sont enfermés, désorientés, parfois déshydratés avant le combat par des laxatifs, leurs sabots incisés…

La corrida apparaît au Moyen-Âge en Espagne, mais n’existe sous la forme que nous connaissons aujourd’hui qu’à partir du 18ème siècle chez nos voisins. C’est à ce moment là que la pratique est codifiée : l’affrontement de face, avec un drap rouge, conclu par l’estocade. Les premières corridas n’apparaissent en France qu’en 1853 apportées par l’impératrice Eugénie, qui vient d’Espagne. Elle ne se développe vraiment qu’à la fin du 19ème siècle. Une «tradition française», vraiment ? Elle ne date que de la Révolution Industrielle ! Dans ce cas, les pratiques de minorités religieuses implantées en France depuis plusieurs siècles, notamment celles de la communauté musulmane, sont donc aussi des traditions françaises. Voilà qui ne va pas faire plaisir aux racistes.

Au 21ème siècle, la corrida est de plus en plus indéfendable. D’ailleurs, 81% des français s’opposent à cette pratique selon un sondage. Alors pourquoi ça continue ? Parce que de nombreux élus font bloc pour la défendre. Lors d’une manifestation pour la corrida, le député d’extrême droite Yoann Gillet et le député Macroniste Patrick Vignal étaient derrière la même banderole à hurler la Marseillaise. Ces deux députés ont même bu des coups avec les toreros avant d’échanger ensemble des blagues devant les caméras. Fascistes et macronistes restent de bons copains. À l’Assemblée, le RN fait bloc pour bloquer le projet d’interdiction de la corrida porté par la NUPES. Le RN dispose de l’appui de la droite et d’une partie du camp Macron. Ce petit monde est même rejoint par l’incontournable Fabien Roussel, le communiste préféré des médias des milliardaires. Il a annoncé de mercredi 23 novembre qu’il votera contre le projet de loi lors des débats prévus le lendemain.

Le PCF sentait déjà le cadavre et l’urine depuis longtemps, mais avec Roussel, le Parti s’est aligné sur toutes les thématiques les plus réactionnaires. Le candidat a manifesté avec les policiers d’extrême droite pour dénoncer la justice, flatté les grandes fortunes qu’il qualifie de «gens intelligents», défendu l’industrie nucléaire et organisé un storytelling autour de la consommation de viande. Roussel soutient maintenant la corrida, pourtant massivement rejetée.

Que se passe-t-il en République française ? Les politiques travaillent pour des minorités de notables organisés. Ils se soumettent aux désirs de lobbys. Le lobby taurin est implanté dans le sud de la France et dispose de réseaux jusqu’au cœur du pouvoir. Le lobby des chasseurs, dispersé dans toute la France rurale, a passé un pacte avec Macron. Depuis, il a tous les droits alors que 4 français sur 5 s’opposent à la chasse. Et que dire des lobbys des patrons et des policiers, MEDEF et syndicats ? Ils sont littéralement dans les ministères et décident des lois.

Un lobby manque à l’appel : celui du peuple. L’écrasante majorité des français s’opposent à la casse des retraites, défend l’hôpital public, demande un meilleur partage des richesses. Pourtant, cette majorité se fait constamment piétiner. La raison ? Elle ne pèse pas dans le rapport de force. Le lobby du peuple, c’est la grève, le blocage et l’émeute.

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