Le groupe ETA fait voler la voiture du successeur de Franco au-dessus d’un immeuble : un fasciste sur orbite
C’était il y a 49 ans et un jour. Madrid, 20 décembre 1973 : l’amiral Carrero Blanco, chef du gouvernement dictatorial espagnol, se déplace dans la capitale. Une explosion a lieu sous le véhicule, d’une telle puissance qu’il s’envole sur six étages, passe au-dessus d’un immeuble et atterrit sur un balcon de l’autre côté du bâtiment. Une charge de dynamite avait été placée sous la route par le groupe indépendantiste basque ETA, en pointe dans le combat contre la dictature militaire franquiste.
Contrairement à Hitler et Mussolini, la dictature espagnole s’est maintenue après la seconde guerre mondiale. Le Général Franco avait écrasé, au prix de centaines de milliers de morts, la République espagnole à partir de 1936. Le coup d’État avait été soutenu par le Troisième Reich et les fascistes italiens, alors que la gauche espagnole avait été abandonnée par les démocraties européennes. La gauche espagnole avait payé le prix du sang, avant de devoir se replier, laissant le pays aux mains de militaires d’extrême droite. Pire, quand la seconde guerre mondiale prend fin, les républicains en exil qui ont participé à la Résistance en France sont persuadés que Franco va tomber, comme Hitler et Mussolini. Mais les puissances occidentales laissent le vieux dictateur en place : c’est le début de la guerre froide, et il vaut mieux Franco qu’une agitation sociale à l’Ouest de l’Europe. Le cauchemar continue pour le peuple d’Espagne.
Mais dans les années 1970, la dictature commence à se fissurer. Il y a des grèves, des manifestations, des actions de résistance… Franco réprime férocement. Des anarchistes et communistes sont arrêtés, torturés, et même exécutés par une technique particulièrement barbare, hérité du Moyen-Age : le «garrot», un écrasement progressif de la gorge. Le Pays Basque, territoire insoumis, est sous état d’urgence : l’armée patrouille, terrorise, tue. Le dictateur est vieux, mourant, mais il a désigné son successeur : le militaire Carrero Blanco.
C’est dans ce contexte que l’organisation d’extrême gauche et indépendantiste basque ETA – Euskadi Ta Askatasuna pour «Pays basque et liberté» – décide d’en finir avec l’héritier politique de Franco. 4 jeunes louent un sous-sol de la rue Coello à Madrid, par où passe régulièrement Carrero Blanco, sur le trajet entre le domicile du militaire et l’église qu’il fréquente. L’équipe creuse un tunnel de 8 mètres de long sous la route, prépare une charge explosive, et relie le tout par un dispositif. L’opération baptisée «Ogre», d’abord reportée, est mise en œuvre le 20 décembre. Les hommes qui pressent le détonateur sont déguisés en travailleurs de la compagnie d’électricité. La voiture de l’amiral passe sur la zone «idéale» prévue par l’équipe, un contact électrique fait sauter la voiture.
Dans les jours qui suivent, la gauche institutionnelle se «désolidarise» de cette action de résistance spectaculaire, et parle d’une «provocation», puis d’un geste «irresponsable». La désolidarisation est une vieille tradition à gauche. Pourtant, la mort de Carrero Blanco a des conséquences décisives : la dictature est privée d’héritier politique et une partie de la population se réjouit de la disparition d’un dignitaire du régime sanguinaire. Deux ans plus tard, Franco meurt, et c’est la transition vers un régime «démocratique». Le Franquisme disparaît, mais la répression de l’Etat espagnol contre les basques et les catalans continue…
Le slogan «Et hop… plus haut que Carrero !» devient populaire de l’autre côté des Pyrénées pour ironiser sur la mort du fasciste, mais aussi dans certaines manifestations en France. Signe que l’histoire n’est pas encore réglée : la justice espagnole a condamné en 2017 une jeune femme qui avait tweeté ce slogan antifasciste. Une partie de la droite espagnole et de ses forces de l’ordre n’a pas tourné la page.