«Les policiers ont commencé à nous balancer des gaz lacrymogènes alors que nous voulions simplement rendre hommage aux victimes» raconte un jeune Kurde venu se recueillir sur les lieux de l’attentat raciste auprès de Médiapart. C’est le deuxième massacre contre cette communauté commis à Paris depuis 2013. «Comment les Kurdes peuvent-ils encore faire confiance à la justice, à la police et à l’État français ?»
Qui étaient les victimes ?
La première est Emine Kara, dont le nom de combattante était Evin Goyi. Cette militante fut une figure de proue du mouvement de libération des femmes kurdes. Elle fut de celles qui ont lancé le célèbre slogan «Jin, jiyan, azadi», «Femme, vie, liberté» qui résonne aujourd’hui dans les rues d’Iran. Ce slogan est utilisé depuis des années par le mouvement révolutionnaire kurde, en particulier la branche féminine du Parti de la paix et de la démocratie, formation liée au PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan. Emine Kara avait combattu Daesh au Rojava. Réfugiée en France, elle a déposé une demande d’asile politique qui avait été refusée par les autorités.
La deuxième victime est un musicien kurde, Mîr Perwer, jeune artiste auteur de nombreuses chansons et reconnu comme réfugié politique. Il avait été inquiété en Turquie pour ses œuvres.
Le troisième défunt, Abdullah Kizil, est décrit comme «un citoyen kurde ordinaire» qui fréquentait «quotidiennement» le lieu associatif où a eu lieu l’attaque. Incontestablement, les trois personnes tuées sont militantes, reconnues pour leurs engagements auprès de structures sociales et politiques, tuées parce que kurdes et membres d’une communauté qui lutte contre l’impérialisme et pour l’émancipation.
Hasard ?
L’attentat a lieu quelques jours avant une grande manifestation kurde pour commémorer le 10ème anniversaire d’un autre attentat contre une centre kurde à Paris : l’assassinat de trois militantes, Fidan Dogan, Sakile Cansiz et Leyla Soylemez, le 9 janvier 2013, et dont les commanditaires ne sont toujours pas identifiés. Les 4 et 7 janvier, des mobilisations pour le 10e anniversaire de ce triple meurtre sont prévues.
Ce vendredi 23 décembre 2022, une réunion nationale devait se tenir au local du Centre Démocratique Kurde afin de préparer ces événement, des responsables du mouvement étaient attendues. Selon l’Humanité, le tueur aurait été déposé par une voiture et s’est directement rendu devant ce bâtiment pour tirer, puis a visé des commerces tenus par des Kurdes. Il s’était muni de quatre chargeurs rempli avec une arme de poing.
Par miracle, la réunion prévue, qui devait réunir une soixantaine de femmes kurdes, avait été décalée d’une heure, à cause de problèmes de train. Un massacre a donc été évité. Qui a renseigné le tueur ? Qui l’a armé ? Connaissait-il cette réunion ? S’agit-il d’un attentat raciste qui aurait été «guidé» par des personnes bien informées ?
20 jours plus tôt, un responsable kurde avait alerté les services de renseignements français concernant ses craintes pour la sécurité des kurdes de France. Sans conséquence.
Attaques répétées contre les femmes
Il y a 10 ans, le triple féminicide commis à Paris contre d’importantes militantes du mouvement kurde avait ébranlé toute la diaspora. Cette fois-ci, c’est encore une réunion de femme qui était probablement ciblée. Après l’attentat de 2013, l’enquête avait révélé les liens du tueur avec le service de renseignement turc (MIT), mais les investigations n’avaient pas été poussées, le suspect était mort dans une prison turque avant d’être jugé, et les Kurdes dénoncent encore aujourd’hui l’absence d’enquête sérieuse côté français et l’opacité qui entoure l’affaire.
Au Rojava, le Kurdistan Syrien, les unités de femmes combattantes ont été en première ligne des combats et symbolisent la révolution féministe en cours dans cette région. Elles sont particulièrement ciblées par leurs ennemis, fondamentalistes religieux et milices turques.
Des questions
Beaucoup de questions sont en suspens. Le caractère raciste de l’attentat, commis par un individu d’extrême droite qui avait déjà attaqué des réfugiés, ne fait aucune doute. Mais le choix du lieu et de la date, la série de coïncidences qui entoure les tirs laissent planer l’ombre d’autres responsabilités.
Qui a intérêt à terroriser la diaspora et le mouvement kurde organisé ? L’Iran, qui réprime actuellement une contestation dont les kurdes sont les fers de lance ? La Turquie, en guerre contre le Rojava et menant une politique autoritaire et raciste ? Y a-t-il derrière ce crime, une coalition des extrêmes droites, celle des racistes blancs et des barbouzes d’Erdogan, avec la complicité d’agents français ?