Nantes, 7 février : tracteurs, ferveur et matraqueurs


« Non aux mégabassines, oui aux mégaretraites » : récit


On s’était donné rendez-vous dans une semaine. Même lieu même heure, même miroir d’eau. Et encore une fois, la foule des grands jours était au rendez-vous à Nantes. Une place noire de monde sous un grand soleil d’hiver. Le souvenir cuisant de la semaine dernière, avec les arrestations préventives et la coupure de cortège, restait présent dans les têtes.

Ce mardi 7 février, la police a d’abord empêché le blocus du lycée Guisth’au et embarqué un lycéen dès l’aube. Vers 10h30, un cordon de CRS encerclait le cortège étudiant qui rejoignait le point de départ : énième intimidation contre la jeunesse. Heureusement, le cortège de tête qui s’était déjà formé est venu au contact. Les forces de l’ordre se sont donc repliées dans les cris de joie.

La jonction donne l’impulsion d’un gros cortège jeune et déter, avec en fond sonore les rythmes diffusés par la zbeulinette. Une plateforme roulante venue de la ZAD qui servait à boire et enjaillait tout le monde, décorée d’une bannière : «Non aux mégabassines, oui aux mégaretraites».

Deux «tracteurs vigilants» sont aussi présents en soutien. À Nantes, la présence paysanne dans les cortèges n’est pas nouvelle, mais cette fois-ci les engins sont en tête de manif et assurent la protection des manifestant-es. Plus tard, un cordon de syndicalistes CGT fera bloc avec la jeunesse, pour montrer au préfet qu’il n’est pas question de laisser faire une nouvelle attaque.

Fumigènes colorés, tracteurs verts, chasubles rouges et Kways noirs. L’image est belle et une certaine ferveur se dégage de la manif. Mais la présence policière reste menaçante : des centaines d’agents, dont les lignes s’étirent sur les flanc du défilé, lourdement armés. Une impression de sureffectif dont même les gradés ne savent pas quoi faire : unités de gendarmes, de CRS, de BAC, piétinent et se superposent tant ils sont nombreux !

Des tags fleurissent, la préfecture est repeinte en jaune et vert, les couleurs de l’équipe du FC Nantes. L’ambiance est bonne, il y a des milliers de personnes à l’avant : une foule aussi compacte qu’hétéroclite. Moment de flottement à Hôtel Dieu. Il faut sortir du périmètre encadré par la police, mais comment ? C’est devant le square Daviais que la tension éclate. À peine la manifestation tente-t-elle de retourner vers le centre ville que les grenades pleuvent. La police est tenue en respect par une ligne de parapluies et de banderoles, sans pour autant être repoussée. Des joueurs de tennis en masque à gaz renvoient les palets de lacrymogène avec dextérité. Les tracteurs sont pris dans des nuages de gaz. Plusieurs personnes sont blessées.

Retour progressif sur le trajet imposé, celui dont personne ne veut : vers l’île de Nantes. Sur le quai de la Fosse, les agences d’intérim repeintes les fois précédentes sont étoilées. Nouveaux échanges en bord de Loire. Arrivé sur l’île, il est évident que personne ne se satisfait d’un petit tour. Mais encore une fois, des lignes de flics s’étirent à perte de vue, de la Loire au boulevard de la prairie aux Ducs. «Un tour c’est bien, deux tours c’est mieux» s’égosille le cortège. Une banderole géante confectionnée par le collectif Black Lines fait une apparition providentielle. Mais le cortège est vite bloqué. Une barricade se forme sur le boulevard, dans les gaz. Des feux sont allumés et des barrières sont assemblées tout le long des lignes de police. Les tracteurs sont toujours là, en musique.

D’autres policiers qui bloquaient le pont arrivent par derrière pour refermer une nasse. Mouvement de foule sous l’éléphant. Nouveaux gaz au cœur de l’attraction touristique locale. L’île de Nantes est un terrain hostile : urbanisme carcéral, rues géométriques, agents à chaque intersection… Les CRS profitent de ce moment de dispersion chaotique pour arrêter les conducteurs de deux tracteurs pour «entrave» et les emmener au poste. Pas question de manifester plus de 2 heures, encore moins en étant visibles et audibles, et surtout pas sans les syndicats. Le droit de manifester, mais seulement entre 11h et 13h encerclé de flics !

Malgré tout, cette troisième mobilisation marque un regain d’énergie, avec une cohabitation de diverses formes de lutte, des paysans aux joueurs de tennis, et l’envie de ne pas se laisser faire. Rendez-vous samedi 11 février, pour une nouvelle déferlante, encore plus déterminée.


Images : James C., Estelle Ruiz

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