Fiche S : la fabrique de l’ennemi intérieur

La scène a eu lieu samedi 25 février, au salon de l’agriculture. Macron s’est offert un show médiatique de plusieurs heures entre les bovins et les fromages, pour régurgiter face aux caméras tout son mépris du mouvement social en cours et tous ses mensonges pour reculer l’âge de la retraite. Un storytelling assez pathétique, puisque Macron était seul. Seul, entouré d’une nuée de micros et de journalistes, ainsi que d’un essaim de super-flics en costards. Il fallait au moins ce cordon pour le confiner des visiteurs lambda, qui étaient nombreux à le détester.

Malgré sa sécurité, de nombreuses personnes ont interpellé ce convoi présidentiel, sur les retraites ou l’écologie. Une scène a marqué la journée : un jeune militant du collectif Dernière Rénovation, Jérémy, a essayé de s’approcher en criant : «Le plan de rénovation thermique, M. le président !».

Une provocation insoutenable à l’égard du roi. Simplement parler d’isolation des logements pour économiser de l’énergie a suscité un déchaînement de violence de la part de la garde rapprochée de Macron. «Il n’a pas eu le temps de dire autre chose. Ils lui ont sauté dessus» raconte un témoin. Il raconte qu’un agent des GSPR, le «Groupe de sécurité de la présidence de la République» a «commencé à s’avancer, il est devenu rouge, on sentait la haine». Le flic s’est déchaîné, a attrapé le jeune écolo par les cheveux avant de l’étrangler et de le faire disparaître dans la foule. L’attitude du milicien a même choqué les journalistes les plus soumis.

Qu’est-ce que c’est, le GSPR ? À la base, le GSP – Groupe spécial de Protection – est créé en 1943 par le régime de Vichy, pour protéger le chef du gouvernement pétainiste, Pierre Laval. Après guerre, c’est une milice qui assure la sécurité du général de Gaulle, avec des services officiels et des mafieux du SAC, le Service d’Action Civique, les barbouzes du général connus pour leur violence. Sous Mitterand, le GSPR sert à protéger la fille cachée du président. Bref, des super-flics bien payés qui sont une garde prétorienne du cercle rapproché du président et éloignent le bas peuple.

Depuis deux jours, pour justifier la violence du salon de l’agriculture, plusieurs médias répètent que le jeune écolo violenté est «fiché S». Une info bien évidemment transmise aux médias par les autorités, pour salir la victime. L’extrême droite et les militants macronistes relaient partout ces articles, pour dire que le jeune écolo l’avait bien mérité. Et que s’il était «fiché S», c’est qu’il représentait un grand danger.

Nous y voilà. Ce fichage est une fabrique de l’ennemi intérieur. Il est légitime de cogner et de réprimer préventivement les personnes fichées par la police politique. On peut même les réprimer préventivement, puisqu’ils sont fichés. Pourquoi Jérémy était-il fiché ? Parce qu’il avait participé au blocage d’une étape du tour de France 2022 et avait été condamné à 500 euros d’amende avec sursis. Peu importe, dans les esprits, être «fiché S», c’est presque être terroriste, lié au djihadisme. C’est le même glissement idéologique que le mot «écoterroriste» utilisé pour qualifié les mobilisations contre les mégabassines, visant à défendre l’eau.

La fiche S, pour «sûreté de l’État», est un sous-fichier du Fichier des personnes recherchées. La catégorie S sert à surveiller les personnes susceptibles de représenter «un trouble à l’ordre public ou une atteinte à la sûreté de l’État» mais «sur lesquels ne repose aucune incrimination pénale».

Sur les milliers de fichés S en France, la plupart n’ont jamais été condamnés. Un «trouble à l’ordre public», cela peut juste être un manifestant régulier, une personne qui s’engage pour l’écologie ou contre le racisme… Quiconque dérange les autorités peut être rangé dans ce fichier par un agent des renseignements.

En revanche, le retraité raciste qui a assassiné par balle trois Kurdes en plein Paris avant Noël n’était quant à lui ni «fiché» ni même «connu des services de police» selon Darmanin. Alors même qu’il tenait des propos racistes et qu’il sortait de prison pour une tentative d’assassinat sur des migrants.

Cette opération révèle de bout en bout toute l’ignominie du système en place. De la violence débridée des barbouzes de l’Élysée au fichage politique de militant-es, jusqu’aux médias dominants qui justifient une agression et font le service après vente du pouvoir sur la base de fiches de renseignement.

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