L’affaire «Waffenkraft» : révélatrice de l’implication des forces de l’ordre dans le terrorisme d’extrême droite
Du 19 au 30 juin 2023 à Paris se tiendra le procès en Assises de quatre néo-nazis, dont un gendarme, qui avaient prémédité des attentats sur le sol français. C’est la première fois qu’un dossier de terrorisme d’extrême droite sera jugé en Cour d’assises… mais à huis-clos. Un des accusés avait 17 ans au moment des faits ce qui permet à la justice de lui faire bénéficier d’une juridiction pour mineurs.
Politis révèle le profil du gendarme de 22 ans à l’initiative de cette cellule terroriste néo-nazie appelée Waffenkraft, «puissance de feu» en allemand. Après 6 mois dans l’armée de terre en 2015, celui-ci rejoint la gendarmerie de l’air en 2016. Les publications Facebook racistes, homophobes, islamophobes du militaire n’inquiètent pas sa hiérarchie, qui renouvelle son contrat.
À la manière d’Anders Breitvik, terroriste d’extrême droite qui tua 77 personnes en Norvège en 2011, le gendarme révélait ses projets terroristes dans un manifeste nommé «Tactiques et opération de guérilla». Il y décrivait des techniques et des méthodes d’actions telles que des attaques en véhicule, à l’arme blanche, des fusillades, explosions de bombes ou encore attentat suicide, afin que l’attaque soit la plus meurtrière possible. «Une attaque réussie, c’est 50 morts», écrivait-il.
C’est par le biais de forums néo-nazis qu’il constitue un groupe avec lequel mener ses projets terroristes, se revendiquant du «White jihad», d’un «nationalisme plus violent que celui d’Hitler» explique t-il dans un second manifeste intitulé «Reconquista Europa – opération croisée – communiqué de guerre». Le document est illustré du symbole nazi du soleil noir. Entraînements militaires filmés, ponctués de salut nazis, préparation d’explosifs, le groupe s’entraîne et dispose de nombreuses armes. Les communautés juives, musulmanes et les «traîtres marxistes communistes» sont les cibles principales de la cellule. Les cibles sont précises, les attaques préméditées : différentes mosquées, des événements du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), des meetings de Jean-Luc Mélenchon ou encore le concert de Médine au Bataclan. Le rappeur et le candidat de la France Insoumise n’ont jamais été prévenus de ces projets, pourtant très aboutis.
Ce n’est qu’en juillet 2018, après que le gendarme ait remis en question l’ordre d’un supérieur, musulman, que sa hiérarchie se réveille timidement en émettant un avis défavorable au renouvellement de son contrat. Quelques semaines plus tard, c’est en commandant des produits chimiques destinés à la fabrication d’explosifs de type TATP – explosif privilégié des jihadistes – que l’entreprise concernée signale cet achat aux autorités. Nous sommes le 28 août 2018, une procédure judiciaire est lancée.
Il a donc fallu du temps et une alerte extérieure à la gendarmerie pour que le comportement de néo-nazis assumés et sur-armés inquiète les autorités. Mais l’affaire est loin d’être terminée. Placé en garde-à-vue et soumis à une perquisition, la police découvre un laboratoire de fabrication d’explosifs ainsi que de nombreuses armes – kalachnikovs, pistolet semi-automatique… Le gendarme admet tout naturellement avoir essayé de fabriquer une bombe. La justice, dans un déni total et dans une démarche de minimisation de la violence de l’extrême-droite, ne retient à son encontre que des faits de détention illégale d’arme et ne juge pas nécessaire de le maintenir en détention en attente de son procès.
À titre de comparaison, des militants anticapitalistes suspectés d’avoir «envisagé» de passer à «l’action violente», sans aucun élément matériel ni projet concret, avaient été arrêtés par les services anti-terroristes en décembre 2020, et était restés jusqu’à 1 an en détention préventive, sans procès.
Le gendarme sur-armé, entraîné militairement, prêt à poser des explosifs pour tuer le plus de personnes possibles… est donc libre de ses mouvements. Le parquet de Grenoble n’en avise même pas le parquet anti-terroriste. Comme l’explique une source proche du dossier, «être nazi n’est pas, par définition, terroriste» dans l’imaginaire collectif des juges, qui ne s’inquiètent que de la «violence» de la gauche contre des vitrines et des poubelles. La justice n’a aucun problème de conscience à envoyer chaque jour en détention provisoire, sans preuve ni procès, des personnes sans papiers pour des vols à hauteur de quelques euros ou encore des manifestant-es pour avoir alimenté un feu de poubelle… mais se refuse d’empêcher un gendarme nazi de préparer des crimes de masse.
Libre après une brève garde-à-vue, le militaire reprend tranquillement ses activités : les entraînements armés, la confection de bombes ainsi qu’une formation de chauffeur poids-lourd dans le but de commettre un attentat avec la même méthode que lors de l’attentat de Nice. Les enquêteurs finissent par saisir et analyser l’ordinateur et téléphone du gendarme : «ils retrouvent les discussions, les 51 vidéos et 321 images d’armes et d’entraînements avec notamment une vidéo du 28 juin qui prouve que (le militaire) avait réussi à fabriquer un engin explosif fonctionnel» révèle Politis. Les domiciles de deux autres membres du groupe sont alors perquisitionnés.
Trois mois d’inertie judiciaire pendant lesquels le groupe aurait largement pu mettre à exécution des attaques meurtrières «pire que le Bataclan» comme l’espérait le gendarme. Il a fallu attendre le 19 décembre 2018 pour que celui-ci soit finalement arrêté alors qu’il rentrait d’une «expédition nocturne» armé d’un couteau de combat et d’un pistolet d’alarme. Il est alors placé en détention provisoire .
Dans un contexte où l’extrême droite, déjà au pouvoir, crache sa haine publiquement à l’Assemblée, dans les médias comme sur les réseaux sociaux ; qu’elle défile en faisant des saluts nazis dans les rues de paris en toute impunité ; qu’elle menace et tente d’incendier la maison d’un élu sans aucune réaction de la classe politique ; cette affaire démontre une fois de plus la totale impunité de l’extrême-droite. La menace terroriste néo-nazie est réelle mais est largement sous-estimée dans les médias. L’État et les médias des milliardaires comme Bolloré, Arnauld, Niel et Drahi, usent pourtant quotidiennement du mot de terrorisme : bloquer des projets écocides relèverait de «l’écoterrorisme», exiger le respect des droits humains fondamentaux est qualifié par le ministre de l’intérieur lui-même de «terrorisme intellectuel»…
Mais fabriquer des bombes, concevoir des attentats meurtriers, s’entraîner au tir, comme le fait l’extrême droite ? Silence et déni… Pourtant le patron de la DGSI reconnaît lui-même que «nombre de démocraties occidentales considèrent que la menace d’ultradroite, suprémaciste, accélérationniste est aujourd’hui la principale menace à laquelle elles sont confrontées». Le député EELV Aurélien Taché relevait ainsi, après avoir auditionné les services de la DGSI, que «sur les dix derniers attentats politiques déjoués en France, sept étaient liés à l’ultradroite».
Les juges ferment les yeux sur la violence d’extrême droite, surtout lorsque les concernés font partie des rangs de la police et de l’armée. Médiapart avait révélé la présence de néo-nazis au sein des forces armées. En 2018, un groupe terroriste baptisé «Action des forces Opérationnelles» était appréhendé avant de commettre des attentats. Il était composé de policiers. Les institutions arment en leur propre sein des fascistes et font mine de ne pas s’en rendre compte.
Ces affaires font écho à un procès passé inaperçu à Nantes, il y a tout juste quelques mois. Un jeune militaire qui détenait illégalement chez lui, rue Crébillon en plein de centre-ville, des armes à feu, des grenades volés à l’armée et commandait du matériel sur le darkweb depuis les États-Unis pour constituer un arsenal en toute discrétion, était jugé en audience correctionnelle. Une audience banale pour les juges qui ne prenaient absolument pas la mesure des risques de l’appartenance du prévenu à l’extrême-droite. Aucune question, ni expertise, sur une potentielle idéologie. La question est totalement hors débat. Les juges étaient tellement bienveillantes avec le militaire qu’elles l’ont laissé sans aucune mesure de contrôle judiciaire après le procès dont la décision ne sera rendu que trois mois après. En décembre 2022, la décision tombe : du sursis et une amende… et toujours aucune information sur les réels projets de ce militaire, qui est resté libre de porter et détenir des armes de guerre malgré une condamnation pénale pour des faits graves… Les centaines de personnes incarcérées pour avoir lutté pour leurs droits, les milliers de personnes interdites de manifester après une arrestation arbitraire ces derniers mois apprécieront.