Ensauvagement de la bourgeoisie : le cas du journal gratuit le La Baule, une tribune fasciste

Les portraits des vieux hommes riches et blancs qui écrivent dans ce torchon

Il s’agit d’un journal mensuel gratuit baptisé «La Baule +», distribué dans la station balnéaire bourgeoise de Loire-Atlantique. Il existe depuis presque 20 ans et il est tiré à 40.000 exemplaires. Une habitante de la côte nous précise qu’il n’est pas seulement diffusé à La Baule, mais qu’il est aussi «très bien distribué sur toute la presqu’île du Pouliguen jusqu’au Croisic». Surtout en été.

Le mensuel reste basé dans le cocon de la haute bourgeoisie, le lieu de vacances des grands patrons, le lieu de vie des retraités aisés et d’une partie de l’élite. À La Baule, la vie est douce : on trouve des hôtels de luxe, un casino, un front de mer et de nombreux espaces où les riches peuvent cultiver leurs réseaux et leur entre-soi. Valérie Pécresse ou le patron du MEDEF y ont d’ailleurs des propriétés. Qui est à la mairie ? Franck Louvrier, un ami proche de Sarkozy.

Le mensuel La Baule + est presque un bulletin municipal, puisqu’il publie un courrier des lecteurs auquel la mairie prend le temps de répondre, et que de nombreux commerces baulois achètent des publicités dans le journal, ce qui permet de le financier. La Baule + est dirigé par un ancien de Valeurs Actuelles et du Figaro, Yannick Urrien. Ce journal est un objet intéressant, car il permet de se plonger dans l’univers mental de la bourgeoisie. En voici un aperçu.

Prenons le numéro de juillet 2023. Au milieu d’articles et de publicités pour les commerces locaux, «l’immobilier haut de gamme», d’annonces sur l’accueil du Fouquet’s dans l’hôtel de luxe Barrière de La Baule, ou encore de diverses publicités pour des galeries d’art, la chirurgie esthétique, les système d’alarmes ou des salons de vente aux enchères, on y trouve une ligne politique affirmée. Et il ne s’agit pas d’une ligne centriste démocrate, comme on pourrait imaginer au sein de la bourgeoisie à l’ancienne. C’est une idéologie néofasciste assumée. Tout au long du journal.

L’extrême droite s’affiche article après article, sans complexe. Une première interview donne la parole à Charles Gave, un financier multimillionnaire et ultra-libéral qui avait sponsorisé la campagne d’Eric Zemmour. Pour lui, la France actuelle «se rapproche de plus en plus de l’Union soviétique». Oui, dans une réalité parallèle, Macron ne fait pas de cadeaux aux entreprises en cassant les retraites et le droit au chômage, mais il s’apprête à collectiviser les richesses. Gave dénonce la «mort des rentiers» et appelle les jeunes (riches) à «quitter la France». Gave rêve d’une réaction façon Thatcher en France. Il finit : «Mon conseil, c’est de ne plus rien avoir qui soit dépendant de l’État». Le discours d’une bourgeoisie qui fait sécession après avoir profité au maximum de l’effort collectif.

Deux pages plus loin, Jean-Philippe Delsol, «avocat et essayiste», évoque la «décivilisation», concept venu de l’idéologue d’extrême droite Renaud Camus et repris par Macron. Pour lui, la «décivilisation » vient de l’intervention de l’État dans les affaires privées. À propos d’un projet de loi sur la vétusté des logements : «c’est un exemple, parmi d’autres, de la régression de nos libertés. Il atteint la propriété qui est l’un des éléments constitutifs de nos libertés». Pour lui, «l’homme naît propriétaire» et il ne faut pas toucher à cette valeur sacrée.

On rentre ensuite dans le sulfureux avec Morad El Hattab, financier qui a été invité dans un grand restaurant de La Baule. Il revient sur son livre «Vladimir Poutine, le nouveau de Gaulle», puis évoque des petites filles françaises «sodomisées» par Jeffrey Epstein, avant de livrer son analyse : «Ce sont des adorateurs de Baal qui veulent déspiritualiser le monde» en lien «avec le Mossad».

Un «billet d’humeur» est offert à un certain Dominique Labarrière, autre vieux blanc riche de droite. Il est triste qu’on ne puisse plus utiliser l’expression «tête blonde» pour désigner les enfants à cause de «la richesse diversitaire des effectifs scolaires». Après ce clin d’œil raciste, il dénonce les spectacles de Drag Queen ou encore les cours d’éducation sexuelle à l’école, qu’il baptise «sodomie sans douleur». Décidément, ça les travaille.

Cerise sur le gâteau de ce numéro de juillet, une interview fait l’éloge du penseur royaliste et contre-révolutionnaire Joseph De Maistre. Une figure réellement anti-républicaine, dont toute la vie a été consacré à la haine de la démocratie et à l’éloge de la réaction, de la religion et du monarchisme. L’homme interviewé déclare : «il y a un vieux chant royaliste de l’Action française : “Les Rois ont fait la France, elle se défait sans Roi”. On peut en faire le constat.»

Dans le numéro du mois de mai, c’était le théoricien de l’extrême droite identitaire Alain de Benoist, fondateur de la Nouvelle Droite et autres formations visant, après Mai 68, à répandre les idées réactionnaires et racistes dans l’opinion, qui apparaissait en pleine page comme “invité du mois”.

En 2022, le média Arrêt sur images relevait déjà dans La Baule + des articles climato-sceptiques, prétendant que la science prouvait l’existence de Dieu ou d’une menace mondiale du wokisme. Rien de bien nouveau : on voit cela à longueur de journée sur Cnews, dans Le Point et autres torchons.

Pourquoi l’exemple de La Baule + est intéressant ? Car il illustre l’évolution idéologique des vieux privilégiés. La bourgeoisie s’est ensauvagée. La Baule, ville la plus aisée du département, a ainsi massivement voté pour l’extrême droite. Zemmour y a fait un score deux fois supérieur à la moyenne nationale, avec 12% des voix, derrière Pécresse, Le Pen et Macron. Au total, près de 80% des habitants de La Baule ont voté pour la droite et l’extrême droite.

La Baule + n’est pas une anomalie, le journal est parfaitement inséré dans le tissu baulois, soutenu par la mairie, distribué partout, même dans les gares… C’est un symptôme de l’abrutissement et de la radicalisation des privilégiés, qui sont prêts à tout pour défendre leurs intérêts, y compris à se tourner vers le fascisme.

Le siège du journal se situe au 1 bis allée du Parc de Mesemena, à La Baule. L’exemplaire de juillet est à consulter ici : https://www.labauleplus.com/lire/2023/juillet2023.pdf

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