“Édouard Louis, ou la transformation” : un documentaire révolutionnaire ?


Ce mercredi 29 novembre sortait au cinéma le documentaire “Édouard Louis, ou la transformation”. L’auteur singulier y raconte son parcours et sa transformation : Eddy Bellegueule, gamin prolétaire de la campagne picarde, devient Édouard Louis, auteur à succès dans les salons parisiens.


Si vous cherchez un film d’action : passez votre chemin. Le documentaire de François Caillat est l’exact inverse : un moment de pause, d’introspection et de réflexion, qui recueille les confidences de l’auteur dans des scènes calmes et intimes entrecoupées de scènes de théatre. Le choix artistique paraît cavalier, à contre-courant du cinéma palpitant, avec un rythme lent servant une analyse riche, à l’opposé du mépris de classe.

Ce mépris de classe, cette violence douce de la bourgeoisie qui pousse les dominé-es à rester à leur place, forme le cœur du documentaire. Partout présent dans l’adolescence d’Édouard Louis, le mépris de classe devient ici une réalité que l’auteur se propose d’analyser. Il fait ainsi l’histoire de sa transformation, jusqu’à changer de nom (alors qu’Eddy Bellegueule, c’est tellement rigolo et atypique pour la jeunesse bourgeoise d’Amiens), raconte le poids du secret de son homosexualité dans un monde viriliste et patriarcal, mais aussi le poids du secret de ses origines populaires et de la honte qui le poursuit. 

Le film de François Caillat est ainsi une façon d’interroger les codes sociaux et surtout la violence qu’ils portent en eux. La violence de notre société, qui peut parfois être subtile, douce, sincère, chargée de valeurs et de bonne morale. Elle n’en reste pas moins violente, brutale et dévastatrice chez un enfant. “J’étais créé par l’insulte” : se recréer devient alors une nécessité, et Édouard Louis renverse ce stigmate. Ce qu’il cachait devient ce qui le définit, le cœur de son identité : un transfuge de classe. Tout en sachant d’où il vient : savoir où il veut aller.

Le film raconte aussi un rapport au corps : tout ce qu’il reste quand on est dépossédé de tout. Ce point de vue explique la permanence de rapports masculinistes au sein des classes populaires : on se trouve la domination qu’on peut pour s’extraire de sa condition. Cette idéologie viriliste exacerbée finit par exercer une violence sur ce qui ne correspond pas au masculin idéalisé des classes populaires : la femme, le gay… La violence sexiste est alors ici interprétée comme un produit de la violence de classe, qui vient renforcer la domination patriarcale.

Mais tout n’est pas qu’histoire de domination. Le documentaire interroge aussi la notion de liberté, car notre identité est composée de non-choix, de facteurs qui nous préexistent. La violence de classe trouve ici sa source : la bourgeoisie est violente lorsqu’elle rend les gens “responsables de ce qu’ils sont”. Mais que pouvons-nous choisir librement de ce que nous sommes, de ce que nous faisons ? Choisir, se transformer, c’est déjà être un peu révolutionnaire. Être libre, c’est parvenir à se révolutionner soi-même, à cesser de faire semblant d’obéir aux injonctions.

On retrouve ici la posture d’un Édouard Louis capable de défendre les Gilets Jaunes face aux attaques et au mépris bourgeois des gens qu’il fréquente désormais. Sans se renier, être capable de se transformer. Mais vient le problème de la transmission de cette transformation. Évoquant sa rencontre avec Didier Éribon, Édouard Louis soulève cette question cruciale : affronter le déterminisme social, c’est aussi donner des clés à d’autres personnes pour affronter ces déterminismes. Ainsi, ça n’est pas seulement l’individu qui parvient à être un peu plus libre, c’est toute la société.


Une transformation révolutionnaire ?


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