Dissolutionite aiguë : la défense collective visée par une dissolution


Mercredi 3 avril, le Conseil des ministres a prononcé la dissolution de la Défense Collective, surnommée Defco, collectif rennais qui lutte contre la répression et vient en aide aux personnes inquiétées par la justice.


Dans une interview au Journal du Dimanche, Gérald Darmanin avait expliqué il y a plusieurs mois que ses services avaient «identifié un mouvement nommé Defco qui appelle au soulèvement» et annonçait son intention de «lancer sa dissolution». C’est chose faite. C’est une attaque contre le mouvement social, une de plus. «Appeler au soulèvement», ce qui était autrefois considéré comme relevant de la liberté d’expression la plus élémentaire, est donc désormais une faute qui expose à une procédure d’exception hautement liberticide.

Car une dissolution est, en principe, une mesure exceptionnelle : elle permet de démanteler un groupe ou une association de façon extrajudiciaire, sur décision du Premier Ministre. Les «dissolutions administratives» apparaissent dans les années 1930, dans un contexte de montée du fascisme dans toute l’Europe. Alors qu’Hitler est au pouvoir en Allemagne et Mussolini en Italie, l’extrême droite française ne cache pas son intention de renverser la République. Le 6 février 1934, des Ligues Fascistes attaquent le Parlement. L’émeute fait plusieurs morts. Quelques jours plus tard, une manifestation antifasciste a lieu, elle aussi réprimée, avec à nouveau des morts.

En 1936, la gauche arrive au pouvoir avec la victoire du Front Populaire. C’est ainsi que sont utilisées les premières dissolutions administratives : elles ont pour but de «protéger la République» contre les menaces des «milices armées» d’extrême droite. Les Ligues sont donc dissoutes. Mais très rapidement, la mesure est utilisée bien au delà de la menace fasciste : des collectifs anticolonialistes, algériens notamment, sont à leur tour dissous dès 1937. Puis ces procédures frapperont des collectifs indépendantistes basques, bretons, kanaks, des associations kurdes, mais aussi des groupes d’extrême droite. Elles resteront cependant rares et exceptionnelles.

Près d’un siècle plus tard, tout change en 2021 quand Darmanin fait voter la «Loi séparatisme». Cette loi est un recul majeur pour les libertés publiques et une attaque frontale contre les droits associatifs. Elle permet de dissoudre non pas les associations qui «menaceraient la République» ou qui seraient des «milices de combat», mais tout groupement «incitant à la violence contre les biens et les personnes». Ce qui ne veut rien dire : appeler à une manifestation est-elle une incitation ? Dénoncer les violences policières, est-ce une incitation ? En réalité, la «Loi séparatisme» étend massivement la possibilité de dissoudre toute association dérangeant le gouvernement.

Cette mesure a immédiatement frappé plusieurs collectifs musulmans, notamment le CCIF – comité contre l’islamophobie en France – ou encore du CRI – comité contre le racisme et l’islamophobie. Le décret de dissolution expliquait qu’un représentant de cette association aurait «proféré des propos incitant les jeunes des quartiers populaires à se rebeller» lors d’une «manifestation publique visant à dénoncer la partialité des forces de l’ordre, de la municipalité et des magistrats présentés comme islamophobe».

Dénoncer le racisme, l’islamophobie ou appeler à la rébellion justifie dès lors la dissolution administrative d’une association. Loin, très loin de la menace de coup d’État fasciste de 1934. La procédure est devenue une arme pour mettre au pas les ennemis intérieurs, notamment les minorités et les contestataires. Une épée de Damoclès au-dessus de tout collectif dérangeant.

Le nombre de dissolutions a donc explosé ces dernières années : Macron a dissout plus d’associations et de groupements que tous ses prédécesseurs depuis le début de la 5ème République. Des collectifs de défense de la Palestine ont été ciblés, mais aussi des collectifs antifascistes – comme la GALE à Lyon, pour de prétendues «provocations» sur internet, donc un délit d’opinion –, des associations anticapitalistes comme le Bloc Lorrain ou encore notre média en 2022, qui s’appelait alors Nantes Révoltée.

Face à la mobilisation, le gouvernement a parfois dû reculer. Cela a été le cas pour Nantes Révoltée, qui avait reçu un soutien populaire massif. Mais d’autres groupes ont été bel et bien dissous et sont menacés de poursuites et d’arrestations en cas de «reconstitution de ligue dissoute».

L’été dernier, une offensive inédite a même eu lieu avec la tentative de dissoudre Les Soulèvements de la Terre : pour la première fois, les autorités utilisaient cette procédure d’exception contre une coalition écologiste réunissant des centaines de collectifs et des dizaines de milliers de membres. La dissolution a été invalidée par le Conseil d’État, mais c’était une victoire en demie teinte. Les magistrats ont estimé que le décret de dissolution de Darmanin n’était pas assez fourni pour le moment, sous-entendant qu’une autre procédure plus étoffée pourrait être validée… En quelque sorte, un sursis.

Depuis le 7 octobre, le gouvernement et des députés de droite ont menacé de dissolutions de nombreux collectifs de soutien à la Palestine, mais aussi la France Insoumise, le NPA, et même tenté d’intimider les associations féministes de couper leurs subventions si elles désobéissaient au narratif officiel à propos de Gaza.

C’est ainsi que la Défense Collective vient de rejoindre la longue liste des associations dissoutes par le pouvoir. «Comme nous l’avions déjà annoncé dans notre communiqué précédent, nous comptons nous battre contre cette décision via tous les recours possibles» explique le collectif.


Un «comité contre la dissolution de la DC» a été créé pour faire face. Et une manifestation aura lieu ce jeudi soir à Rennes, à 18H30, Place Sainte-Anne.


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