On pense à une parodie, on espère que c’est faux, puis il faut se faire une raison : le concours pour être commissaire dans la police française possède les mêmes critères d’admission qu’un plateau de Cnews.
Le site officiel de la police nationale publie, sur la page consacrée à la fonction de commissaire, les annales des concours, pour que les futurs candidats se fassent une idée de ce qui les attend. L’une des épreuves de 2023 s’intitule : «Questionnaire à réponses courtes portant sur les connaissances générales». Voici les consignes :
«Répondez aux trois questions suivantes. Les qualités rédactionnelles et de synthèse seront prises en compte pour la notation. Un plan matérialisé n’est pas exigé.
Question 1 : La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. (5 points)
Question 2 : Le wokisme. (7 points)
Question 3 : L’amende forfaitaire délictuelle. (8 points)»
Entre deux questions administratives et procédurales, le «wokisme», un concept forgé par la droite des États-Unis à partir du mot «woke», «éveillé» et recyclé pour dénoncer la gauche mais sans jamais le définir, par les chaînes de télévision d’extrême droite en France. Absolument personne en France ne s’est jamais revendiqué «wokiste» et ce concept n’a aucune validité scientifique, mais il figure dans le concours des futurs dirigeants de la police.
Quelles seront les questions des prochaines épreuves ? Contraventions et islamo-gauchisme ? Gardes à vues et éco-terrorisme ?
Les concepteurs du sujet ne savent même pas ce qu’est une «question», puis qu’aucune interrogation n’est posée, seulement une liste de concepts, dont on suppose qu’il faut les définir. Et aucun plan n’est demandé. Autrement dit, une épreuve de français de niveau seconde est plus exigeante.
Le site du ministère rappelle qu’un commissaire, en début de carrière, touche 3.393 € net par mois, et en fin de carrière : 8.340€. 4 fois le salaire d’un enseignant ou d’une infirmière, sans compter les primes et les avantages, très conséquents dans la police.
Sur la même page, une autre épreuve intitulée «Résolution d’un cas pratique» décrit une réunion fictive entre la police et les élus d’une ville en proie à des «violences urbaines». L’apprenti commissaire est invité à rédiger une note à sa cheffe sur «les conditions requises pour la mise en place d’un éventuel couvre-feu». Un sujet dans l’air du temps, puisque l’extrême droite veut imposer des couvre-feux aux mineurs dans de nombreuses villes. Une mesure liberticide jadis utilisée en temps de guerre, mais de plus en plus courante ces dernières années pour mater les banlieues.
«Le niveau baisse» disent souvent les vieux réacs. Ils n’ont pas tort, l’univers mental de nos dirigeants et de leurs chiens de garde est en chute libre. Rappelez-vous que ce sujet sur le «wokisme» est destiné à l’élite de la police, les commissaires, alors imaginez les critères pour les policiers de base…
En 2020, le journal Le Parisien expliquait les inquiétudes des recruteurs de la police : «Les grilles d’évaluation ont été revues à la baisse ces dernières années pour éviter les notes éliminatoires […] Lors de leurs examens, les policiers peuvent désormais oublier une signature ou la date sur un procès-verbal et ne perdre que quelques points. Pourtant, c’est une erreur qui entraîne la nullité d’une procédure […] ceux qui arrivent dans les commissariats franciliens sont généralement dans les derniers de leur promotion» expliquaient-ils.
«Le niveau des moins bons admis n’a fait que baisser au fil des années, soupire un membre du jury. On doit honorer la commande. Il y a encore cinq ou six ans, on n’aurait pas pris en dessous de 9/20, depuis deux ans on descend à 7 ou 8/20. 12 c’est déjà très moyen, alors 7… C’est du niveau collège». Cette baisse vertigineuse due à l’explosion des recrutements dans la police : en effet, la répression étant le seul service public qui dispose de moyens illimités et de postes en surnombre, quand on augmente le nombre de postes mais que la quantité de candidats reste la même, le niveau de recrutement baisse. C’est mathématique.
«Quelquefois on est à la limite du phonétique» expliquait encore un policer. «Une part des stagiaires ne sait pas s’exprimer clairement, appuie un troisième formateur. Ils perdent facilement leurs moyens et deviennent agressifs dans une discussion car ils n’ont pas le langage suffisant pour argumenter».
Nous avons donc en France au premier niveau de la police des hommes armés, ayant tous les droits y compris celui de tuer, qui sont recrutés à 7/20 et vote majoritairement à l’extrême droite, puis au deuxième niveau, les commissaires qui doivent parler du «wokisme» pour être admis, et enfin au sommet de l’édifice policier, les plus cyniques et les plus violents qui sont promus par le Ministre de l’Intérieur pour donner les ordres à tout ce beau monde.
2 réflexions au sujet de « Insolite : le concours de commissaire porte sur le «wokisme» »
Pour info, dans les “questions administratives”, l’amende forfaitaire délictuelle, c’est une sacrée merde, et je ne suis pas sûre que le fait de citer la défenseure des droits à son propos soit bien vu: https://www.vie-publique.fr/en-bref/289613-amende-forfaitaire-delictuelle-que-dit-la-defenseure-des-droits
Le principal problème à mon avis est que ces trois questions portent sur des sujets extrêmement polémiques, il est donc très difficile pour un-e candidat-e de ne pas révéler ses opinions en y répondant.
Le ratio de salaires est plutôt de moins d’un pour trois (un prof commence à 1400, je crois, et les profs retraités touchent 2500 euros)
Et les enseignants aussi sont recrutés à 7/20 (certes, sur des épreuves plus difficiles)
Très bon moyen de filtrer pour ne garder Que les droitardés… Si tu réfléchis trop: hop ça dégage façon 2 + 2 = 5, super technique pour tester le niveau de soumission…