Série noire dans une prison surpeuplée

Samedi 27 juillet 2024, un homme de 43 ans était retrouvé pendu dans sa cellule du centre de détention de Carquefou, près de Nantes. Il purgeait une peine de trois ans ferme pour des faits de violence. Le quadragénaire signe le 45ème suicide répertorié d’un détenu en France depuis le 1er janvier 2024. En mars, un autre détenu s’était déjà donné la mort dans ce même établissement pénitentiaire. Dans la maison d’arrêt d’Orvault, en périphérie nantaise, deux personnes incarcérées sont décédées depuis le début de l’année, ainsi qu’un jeune de 17 ans en juin dans la prison pour mineurs.
Selon l’OIP, «en prison, on compte en moyenne un décès tous les deux ou trois jours. La plupart du temps par suicide». En 2022, 125 personnes incarcérées sont décédées par suicide dans l’ensemble des prisons françaises. «La France demeure l’un des pays qui présentent le niveau de suicide en prison le plus élevé de l’Europe des Quinze. Les personnes détenues se suicident six fois plus qu’en population générale, à caractéristiques démographiques égales (âge, sexe)».
Surpopulation carcérale
Le ministère de la justice, qui produit les chiffres du nombre d’incarcérations en France, bat de nouveaux records chaque mois. 78.509 personnes étaient emprisonnées au 1er juillet 2024 pour un nombre de places effectives de 61.869, une augmentation de la densité de population carcérale de 5,4% sur un an. Cette surpopulation a des conséquences matérielles directes : plusieurs milliers de détenus sont contraints de dormir sur un simple matelas posé à même le sol.
L’exécutif décide d’entasser les personnes condamnées ou en attente de jugement dans des cellules de quelques m² au mépris de leur santé mentale. Le 2 août 2024, un article de France Bleu révélait le taux d’occupation dantesque de la maison d’arrêt de Nantes : 222%… Soit 936 détenus pour 420 places. À titre de comparaison, le taux de surpopulation globale des prisons françaises est de 126%, ce qui est déjà énorme et totalement illégal. Mais les prisons sont des lieux hors du droit.
Des conditions de vie déplorables
À Carquefou, le centre de détention défie la chronique depuis son ouverture en 2012. Il est connu pour ses conditions de vie désastreuses depuis plus de 10 ans. Un rapport publié l’an passé par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté épinglait encore ce lieu d’enfermement, pourri jusqu’à la moelle. Le 7 juin dernier, le tribunal administratif de Nantes avait enjoint le ministère de la Justice d’agir sous 15 jours pour «faire éliminer les traces de moisissures et les champignons présents sur les murs, les plafonds et les sols des cellules et des parties communes».
Parmi les autres impératifs soulevés par l’ordonnance, les juges appelaient le Garde des Sceaux à occulter les portes vitrées des parloirs pour préserver l’intimité des prisonniers et de leurs proches, et de «faire cesser le caractère systématique des fouilles à corps» des détenus après ces temps d’échange. Au-delà du caractère insalubre du bâtiment, le syndicat des avocats de France et l’association des avocats pour la défense des droits alertent sur le risque d’intoxication à l’amiante, matière cancérogène présente en particulier sur des dalles de sol du centre de détention de Carquefou.
En novembre 2023, un détenu de la maison d’arrêt de Pau saisissait la Justice pour la présence «de cafards et de rats» dans les cellules. Un exemple parmi tant d’autres des conditions de vie exécrables en détention.
Contrôler, surveiller, punir
L’emprisonnement est une forme de torture psychologique pour les personnes privés de liberté. Les instances judiciaires modernes européennes ne meurtrissent plus les corps des condamnés, elles les enferment. En France, le corps du prisonnier n’est plus directement mutilé ou tué – la peine de mort a été abolie en 1981 – il doit être contrôlé et discipliné. Le détenu est exclu et isolé du corps social, dans des conditions indignes et insupportables. Il est broyé mentalement, ce qui pousse certains au suicide. La prison est désormais un espace hybridé avec l’asile d’antan : 25% des détenus souffrent de troubles mentaux et l’administration encourage la consommation d’antidépresseurs et neuroleptiques.
À l’horreur des supplices infligés sous l’Ancien Régime par l’autorité épiscopale et la noblesse a succédé celui de l’enfermement, l’embastillement, le cachot. Derrière un vernis de modernité, d’une répression qui se voudrait plus douce, moins «barbare», les États ont érigé des forteresses et des prisons. En réalité, il ne s’agit pas tant pour le dominant de paraître plus humain que d’exercer une nouvelle forme de pouvoir sur la population. Et c’est bien pour cela que le régime carcéral est aussi maltraitant. Cette figure archaïque et barbare tue dans une indifférence généralisée.
«Une société qui enferme avoue sa peur et son incompétence. D’où son échec» disait Jacques Lesage de la Haye, psychologue, militant anarchiste et anti-carcéral, condamné à 20 de réclusion criminelle pour une série de braquages et de vols, dans son livre Abolition de la Prison.
Notre camp social se doit de penser la question de l’abolitionnisme pénal afin de rendre une autre justice aux antipodes de celle imposée par l’ordre dominant.
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Une réflexion au sujet de « La prison tue : nouveau suicide au centre de détention de Nantes »
Les prisons ne sont pas remplies d’assassins et de violeurs, des gilets jaunes ont pris de la prison ferme et même des gamins pour avoir ramassé une canette de soda au moment des émeutes contre l »assassinat du jeune Nahel. Iels ne se sont pas retrouvé à la prison de la Santé (prison parisienne et la moins insalubre de France) et dans un quartier carcérale protégé comme l’a été le policier assassin de Nahel. D’ailleurs cette justice menée par la bourgeoisie (juges, avocats, ect) envoie très rarement des assassins de flics ou des raclures de ministres en prison, même quand iels ont du sang sur les mains ou sont accusés de viol. La prison n’est qu’un lieu de destruction sociale, de destruction de vies.