“Mains rouges” sur le Mur des Justes : les vandales sont des néo-nazis d’Europe de l’Est


La médiatisation du dénouement de cette affaire est inversement proportionnelle au scandale qu’elle avait provoqué.


Le Mémorial des Justes recouvert de pochoirs de mains rouges

C’était un choc national en mai dernier, avec une polémique pendant plusieurs jours. À l’époque, 35 pochoirs représentant des mains rouges avaient été peintes sur le Mur des Justes, à l’extérieur du Mémorial de la Shoah à Paris. Une dégradation à l’endroit où se trouvent les noms des 3900 hommes et femmes qui ont contribué à sauver des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Un vandalisme mémoriel contre les héros et héroïnes qui ont désobéi, au péril de leur vie, pour en sauver d’autres menacées par la barbarie nazie et antisémite.

Ces «mains rouges» arrivaient dans un timing plus que troublant. Quelques jours plus tôt, les défenseurs d’Israël avaient lancé une campagne d’intox délirante. Souvenez vous : à cette époque, des étudiant-es se mobilisaient pour la Palestine dans toute la France, notamment sur les campus de Science Po, et subissaient une forte répression. Ainsi, vendredi 27 avril, les jeunes de Science Po avaient été brutalement expulsé-es par la police et étaient sorti-es du bâtiment en levant des mains rouges en l’air.

Le geste dénonçait évidemment les crimes de guerre à Gaza. Il renvoie à l’expression «avoir du sang sur les mains». Les mains rouges sont brandies depuis des décennies, dans le monde entier, pour dénoncer les bourreaux, les dictateurs, les criminels de guerre. Par extension, la main couverte de peinture rouge est un symbole mondialement connu dans les manifestations contre les guerres ou les régimes autoritaires.

Mais en cette fin du mois d’avril, une opération concertée de diffamation s’était mise en marche. L’État israélien, sur son compte Twitter officiel, avait dénoncé le port d’un pins avec une main rouge par des personnalités du monde du cinéma en soutien à Gaza lors de la cérémonie des Oscars. En France, c’est le porte-parole de l’armée israélienne Julien Bahloul, régulièrement invité sur BFM, qui l’avait reprise. La polémique avait tout d’une théorie absurde : se couvrir les mains de peinture rouge serait une référence à un événement survenu en octobre 2000 en Cisjordanie, lors duquel deux soldats israéliens avaient été tués, et leurs assassins avaient eu les mains tâchées de sang.

Selon cette logique, les mains rouges n’auraient rien à voir avec le massacre en cours à Gaza, ce serait un hommage à un meurtre remontant à 24 ans, un geste subliminal antisémite et terroriste. Avec cette théorie complotiste, il s’agissait de criminaliser un geste symbolique, après avoir diffamé méthodiquement le mouvement qui s’oppose au génocide à Gaza.

C’est donc dans ce contexte que sont apparus les fameux pochoirs de mains rouges sur le mémorial de la Shoah. Ces dégradations ont permis aux supporters d’Israël de faire le lien entre les luttes pro-palestiniennes et la Shoah, d’assimiler un symbole de paix aux nazisme. Du pain béni. Quel aurait été l’intérêt des mouvement pour la Palestine de s’en prendre à ce mémorial ? Aucun. Et qui serait assez stupide pour coller aussi parfaitement au narratif pro-israélien ?

Les médias se sont évidemment rués sur cet acte de vandalisme. Cnews faisait par exemple un lien direct entre «le blocus de Sciences Po Paris», le «lynchage de soldats israéliens en 2000» et «les dégradations sur le Mur des Justes, qui jouxte le Mémorial de la Shoah». Une belle opération de propagande, une de plus.

Plusieurs mois ont passé. Sans surprise, l’enquête n’a pas mené à la Palestine, mais à trois hommes originaires de Bulgarie. Et, sans surprise, il s’agit de militants d’extrême droite.

La presse, en ce mois d’aout, explique très sobrement que ces individus «gravitent dans des cercles d’extrême droite», appartiennent à des «clubs d’ultras de football» et surtout que l’un d’entre eux «s’affiche avec un tatouage nazi sur la poitrine». Évidemment. Qui d’autres que des fascistes pourrait s’en prendre à un mémorial d’un crime contre l’humanité commis par des nazis ? Qui d’autres voudrait dégrader un hommage aux Justes, humanistes et résistant-es ?

Une lutte légitime réprimée, une opération de propagande israélienne et des nazis d’Europe de l’Est qui viennent terminer le travail. L’enchaînement est bluffant.

L’un des tagueurs bulgares a contacté l’AFP avant son procès. Il affirme «ne pas avoir eu connaissance de la symbolique antisémite de ces mains et les avoir réalisées ivre, sans connaître ce bâtiment». Le «trentenaire au crane rasé le jure : “J’était avec un ami à Paris pour voir la tour Eiffel. J’avais bu beaucoup d’alcool. Quand je me suis réveillé le lendemain, j’ai réalisé quelle bêtise j’avais commise et j’ai pris la fuite”». Plus c’est gros, plus ça passe.

Et évidemment, aucune enquête dans les médias, aucun traitement sérieux, aucune recherche sur ces néo-nazis et leurs commanditaires. Ces informations capitales occupent une poignée de lignes dans quelques titres de presse.

Fin octobre 2023, des centaines d’étoiles de David de couleur bleue, parfaitement exécutées sur de nombreux murs de la capitale, avaient provoqué un drame national. Tous les médias français parlaient d’un «retour des années 30», d’une symbolique nazie, sans se poser aucune question. Pourtant, l’étoile de David n’est pas antisémite en soi, la couleur évoquait même le drapeau israélien.

Darmanin avait accusé «l’islamisme» et «l’ultra-gauche», désignés comme responsable de «l’antisémitisme en France». Mais quelques jours plus tard, on apprenait que ces tags avaient en fait été réalisés par un couple Moldave à la demande d’un homme d’affaire pro-Israël. Celui-ci disait vouloir «soutenir les juifs européens» en lien, selon lui, avec un groupe français pro-israélien, le «bouclier de David».

Mains rouges bulgares, étoiles de David moldaves : s’agissait-il à chaque fois d’actes d’extrême droite ou, comme on peut le supposer, d’opération orchestrées en haut lieu, depuis la Russie, pour créer la tension en France ?

Dans ces deux cas, ce sont les médias et le gouvernement français qui ont créé ces paniques morales. S’il n’y avait pas d’emballement médiatique ni de relais des mensonges israéliens, ces deux opérations n’auraient pas eu lieu d’être. Les supposés commanditaires russes n’ont eu besoin que de quelques pochoirs et d’une poignée de paumés pour utiliser les failles créées par nos médias. Et cela a fonctionné. Nos dirigeants sont entièrement responsables.

Pour finir concernant cette lamentable histoire de mains rouges : contrairement à ce qui est répété, la dénonciation du génocide à Gaza ne s’oppose pas à la dénonciation de la Shoah. Elles sont complémentaires. La souffrance palestinienne n’est pas concurrente de la souffrance du peuple juif, au contraire. C’est précisément parce que, après la barbarie nazie, l’humanité épouvantée s’est écriée «plus jamais ça» et s’est promise qu’il ne fallait jamais oublier, que les discours fascistes en Israël aujourd’hui et les pratiques génocidaires qui rappellent les heures noires doivent être combattus avec force.


Source (le tatouage nazi évoqué comme un minuscule détail de l’affaire) : Le Parisien

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