Amine Snoussi est journaliste, il a notamment couvert la politique tunisienne pour les médias “Jeune Afrique”, le “Huffington Post” et pour des journaux français. Opposant au régime autoritaire de Kaïs Saïed, il écrit aujourd’hui majoritairement pour des rédactions anglophones. C’est notamment la couverture de la dérive raciste du régime qui va lui valoir d’être forcé à l’exil il y a quelques mois. Ses proches et certaines personnalités politiques lui confirment : «Tant que ce régime est en place, je ne pourrais pas revenir». Il nous éclaire sur la situation dans le pays, alors que les élections présidentielles auront lieu le 6 octobre.

Peux-tu nous faire un état des lieux de la situation politique après la Révolution de 2011 ?
Amine Snoussi : Après la Révolution on a eu un régime parlementaire sur le modèle de l’Allemagne avec une nécessité de créer des alliances. La Constitution avait été écrite par l’Assemblée des représentants du peuple, créée après la révolution. Cette Constitution a répondu à une attente, à savoir ne plus revenir en dictature. Elle a été écrite comme garde-fou d’un équilibre pour éviter le risque d’autoritarisme ou de contre-révolution. Cependant depuis 2011, les gouvernements n’ont pas apporté de réponse sociale. Or, la Révolution était d’abord sociale. C’est la faim qui pousse les gens dans la rue, et c’est le mépris policier et l’injustice policière qui vont allumer la flamme. Pourtant, la police, qui est l’institution la plus corrompue du pays, n’a pas été réformée.
La police était un acteur majeur de la répression de Ben Ali. C’est elle qui contrôlait les rues, qui contrôlait l’accès à la justice, qui surveillait de manière générale la population, les conversations téléphoniques, internet. Et ce système-là n’a pas été réformé. La même police qui tuait, torturait, emprisonnait sous Ben Ali, est la police qui est restée pendant et après la Révolution. Elle s’est juste calmée et politisée dans un sens parce qu’elle devait jouer avec les équilibres partisans et les coalitions gouvernementales. Kaïs Saïed a débarrassé la police de tous ses problèmes, du théâtre de la post-révolution où il fallait donner une impression de respectabilité.
Quand Bouazizi s’immole par le feu à Sidi Bouzid [point de départ des « printemps arabes »], c’est parce que la police vient lui prendre son stand de vente. Bien sûr qu’il n’avait pas d’autorisation pour vendre, mais comme tout le monde ! Sauf qu’il y a ceux qui n’ont pas d’autorisation mais qui glissent un petit billet, et il y a ceux qui n’ont pas les moyens de le faire. Ceux qui n’ont pas les moyens de le faire, on leur prend leur stand.
Et donc en 2019, c’est l’arrivée de Kaïs Saïed au pouvoir. Qu’est-ce qu’il se passe ?
Amine Snoussi : Il a été élu sur un programme de rupture et de lutte contre la corruption. Il avait des liens avec un parti islamiste interdit en Tunisie, une branche salafiste tunisienne interdite pour appels à la violence. Son programme a énormément plu. Le jour de son élection en Tunisie tout le monde klaxonnait dans la rue, c’était une nouvelle étape de la Révolution, c’était euphorique. Sauf que Kaïs Saïed n’avait pas de parti politique, et sans parti politique, sans existence à l’Assemblée des représentants du peuple, il n’avait aucune capacité à gouverner.
Il a essayé à plusieurs reprises de détourner la Constitution pour pouvoir nommer lui-même le premier ministre mais ça a échoué. Très vite, il s’est mis à dos la majorité des partis politiques. Puis, à enfermer ses opposants. Actuellement on en est à une centaine d’opposants politiques en prison. De tous bords politiques : de gauche, des islamistes, des anciens proches de Ben Ali, des syndicalistes. Il y a vraiment tout le système politique tunisien représenté dans les prisons.
En 2021 il déclare qu’il y a un danger imminent sur la nation. Ce danger, c’est le Parlement, et de ce fait il envoie l’armée le fermer. C’est sûrement mon côté social démocrate, mais moi j’étais très attaché au Parlement. Ça a beau être symbolique, la création d’une institution appelée Assemblée des représentants du peuple lors de la Révolution c’était euphorique. C’était la première fois qu’on avait une quelconque forme de débat politique en Tunisie. On passait des soirées à regarder ce qu’il se passait au Parlement, les disputes, les embrouilles, c’était vraiment inédit.
Aujourd’hui, les deux seules instances qui gouvernent ce sont le président de la République et le ministère de l’intérieur. Certains de ses discours depuis le coup d’État sont mêmes réalisés depuis le ministère de l’intérieur. Il s’est beaucoup appuyé sur la réunion des forces sécuritaires. Il réunissait les cadres du ministère de l’intérieur, les cadres de l’armée et de la défense dans le palais présidentiel pour faire des discours sur les complots qui régissent le pays. C’est le retour de l’État policier qui n’est jamais vraiment parti mais qui a dû se cacher pendant un temps. La police est revenue à ses méthodes, parce que Kaïs Saïed a envoyé tous les signaux positifs du retour à la dictature.
Tu peux nous en dire plus sur ce retour à la dictature ?
Amine Snoussi : La dictature est une machine qui s’est construite sous deux présidents, Bourguiba et Ben Ali, qui ont créé un ministère de l’intérieur sur mesure pour le culte de la personnalité, pour le pouvoir absolu du président, pour la surveillance généralisée de la population.
Se débarrasser de toutes les digues, de tous les contre-pouvoirs qui existaient, les opposants politiques, la presse, le parlement, les ONG, ça a envoyé à la police et au ministère de l’intérieur le signal de “on reprend les bonnes habitudes”. Dire qu’on va lutter contre la corruption en dissolvant le Parlement ça n’a aucun sens. La principale source de corruption, c’est la police. La police n’est pas juste corrompue, la police régit la corruption. C’est elle qui organise la corruption des fonctionnaires, qui tolère celle des milieux d’affaires.
L’époque Ben Ali a vraiment construit ça : les cadres du ministère de l’intérieur l’avaient sollicité pour avoir des revalorisations salariales. Il leur a dit : “Je ne peux pas vous augmenter, je vous donne la rue, débrouillez-vous. Si vous voulez que la police puisse faire des contrôles abusifs, prendre des liasses de billets, moi je ne regarde pas”. C’est comme ça que s’est organisée la corruption. Tout le reste n’est qu’accessoire. Si tu dis que tu vas lutter contre la corruption en arrêtant le leader du mouvement islamiste, ça ne changera strictement rien.
Donc la police est extrêmement puissante en Tunisie, et haïe. Qui est-ce qui choisit de devenir policier ?
Amine Snoussi : Être policier, c’est un choix qui se fait plutôt dans les quartiers populaires, dans les zones pauvres, parce qu’on vit la répression et l’injustice policière. Il y a un excellent livre sur la ségrégation spatiale de Olfa Lamloum, une chercheuse tunisienne, qui explique que l’une des raisons pour lesquelles les Tunisiens après la Révolution avaient l’impression que la pauvreté avait augmenté, alors qu’elle n’avait pas augmenté, c’est parce qu’avant dans les quartiers bourgeois on ne voyait pas les pauvres.
Les pauvres n’existaient pas. C’est parce que les pauvres étaient cantonnés à des quartiers. Il y avait des contrôles policiers à la sortie des quartiers, à chaque entrée de quartier bourgeois. Avec toujours la même question : qu’est-ce que tu viens faire ici ? Ils regardent ta carte d’identité, et s’ils voient que ton adresse est dans un quartier populaire, ils te demandent ce que tu viens faire là. Les pauvres n’avaient pas le droit d’exister en-dehors de leur quartier. Et ça, c’est régi par la police.
Dans ces régions pauvres, être policier c’est se venger de la répression qu’on a vécu enfant. Mais il y a une telle haine de la police que c’est un choix que peu de personnes font. C’est quelque chose qui est vu comme éliminatoire pour beaucoup de cercles sociaux. Culturellement, être flic ça t’éloigne forcément de tout ton quartier parce qu’on ne te fait pas confiance. On a un terme en arabe qui s’appelle sabbeba, ce sont des personnes dont on soupçonne que ce sont des indics de flics. Donc tu ne t’assoies pas au café avec eux, tu ne montes pas dans leur taxi.
À l’époque Ben Ali y avait beaucoup de flics en civil qui faisaient parfois d’autres métiers juste pour avoir des infos. Ils étaient très vite identifiés et exclus socialement. Donc non, malgré les avantages, ce n’est pas un métier qui attire beaucoup de gens. La haine est trop forte. C’est une confrontation quotidienne à l’injustice. Il n’y a aucune forme d’anticipation possible de ce que va dire ou faire le flic. Il peut t’arrêter pour un contrôle parce que tu sors de ton quartier, comme il peut te suivre jusque chez toi juste pour vérifier que tu n’as pas de la contrebande, te faire chier au maximum, pour qu’ensuite il te force à deux options : soit tu lui donnes un billet, soit tu finis en taule.
Où en est la situation politique à l’approche des élections du 6 octobre ?
Amine Snoussi : Elles n’ont aucune crédibilité, il y a des manifestations régulières pour la première fois depuis très longtemps. On remarque même des critiques dans la presse, ce qui est rare. Le syndicat des travailleurs menace d’une grève générale. Et en même temps, Kaïs Saïed essaye de repousser les limites. Il a déjà éliminé pas mal de candidats en les mettant en prison. Les grands leaders politiques du pays n’étaient même pas capables d’être candidats parce qu’ils étaient en prison. Même les candidats qu’il a éliminés dernièrement c’était accessoire, ils ne représentaient pas tant une menace que ça.
Les candidats déclarés sont donc le président lui-même, Ayachi Zammel, député vraiment inconnu qui a très vite été emprisonné et Zouhair Maghzaoui, qui est un soutien critique. Maghzaoui a soutenu le coup d’État de 2021, il n’incarne pas du tout une rupture avec le régime autoritaire. Il dit juste que ce n’est pas bien d’arrêter les opposants politiques. Mais sinon il veut continuer avec la Constitution ultra présidentielle de Saïed et ne compte pas annuler le décret anti-presse.
À l’époque de Ben Ali c’était la même chose. Il y avait des élections, Il les remportait à 90%. Dans la dernière semaine de campagne, les candidats qui se présentaient face à Ben Ali appelaient à voter pour lui. Un simulacre d’élections donc. Et c’est un peu ce phénomène qui est de retour. C’est un phénomène d’élections juste pour renforcer la légitimité du régime autoritaire, donner une sorte de crédibilité à l’internationale. On n’est pas représenté.
Au lendemain des élections est-ce que la frustration va mobiliser une grande opposition, ou est-ce que ça va juste être la consécration du régime autoritaire et la répression va prendre un nouveau tournant ? Je ne saurais pas répondre honnêtement. Les deux sont parfaitement possibles.
Quelles sont les alternatives ? Est-ce qu’il y en a ? Même si ça ne vient pas des autres candidats.
Amine Snoussi : J’ai autant d’espoir que de peur. J’ai espoir que ce soit la rue, et ça ne peut être que la rue. C’est la rue qui a amené la Révolution et c’est la rue qui peut nous débarrasser du régime autoritaire. Aucun parti ou candidat politique n’incarne quoique ce soit qui mobilise les classes populaires, les travailleurs dans le public ou dans le privé. Mais il n’y a pas encore cette colère-là, cette colère sociale qui peut s’emparer de la rue et qui peut démonter un régime autoritaire.
Par contre, moi j’ai très peur de l’après Kaïs Saïed. J’ai très peur de cette Constitution qu’il a écrite sur-mesure et qui donne énormément de pouvoirs au président. J’ai très peur d’à quel point l’autocensure et la censure journalistique s’est installée, à quel point il n’y a plus de digue, plus d’unicité en Tunisie. Ça s’est déjà vu ailleurs, quand la situation est comme telle on peut se retrouver avec un coup d’État militaire, comme il y a eu en Égypte après 4 ans de relative démocratie.
Je pense que la mobilisation doit exister et qu’elle doit être radicale dans sa demande, si on se satisfait de juste un remplacement du président, c’est qu’on a mal fait notre boulot en temps qu’opposant. On doit expliquer que Kaïs Saïed est un problème, qu’il est la source du problème et qu’on doit se débarrasser de tout ce qu’il a mis en place depuis 3 ans. C’est toute la dérive autoritaire, tous les éléments qui ont réinstallé l’autoritarisme dont il faut se débarrasser.
Il est aussi capital d’endiguer la haine raciste qui s’est installée en Tunisie, qui est inédite. Non pas parce qu’il n’y avait pas de racisme avant, mais il est maintenant étatique, organisé par le gouvernement. Le gouvernement déporte des migrants dans le désert. C’est vraiment un système entier qui s’est installé depuis 3 ans, et il doit être dégagé, ce n’est pas seulement le président en tant que tel qui pose problème.
Est-ce que ce discours raciste et négrophobe est l’apanage de peu de gens ou est-ce un discours très répandu ? Est-ce que c’est partagé par la population ?
Amine Snoussi : Il est très répandu à tous les niveaux. En février 2022, si je ne dis pas de bêtises, il y a eu le discours de Kaïs Saïed sur le grand remplacement et après il y a eu des mesures qui ont été prises pour mettre en prison quiconque héberge ou fait travailler un exilé. Il y a eu des mesures dissuasives pour empêcher les exilés d’avoir une existence tout court en Tunisie.
Et attention quand je dis exilés, c’est raciste dans tous les cas, mais cela cible tous les noirs en Tunisie. Il n’y a pas de distinction entre migrants clandestins ou non. Et je dis cela alors que pour moi il n’y a aucune différence entre quelqu’un qui est là par voie légale ou non, mais pour dire que cela était ciblé sur les noirs en général point final. Du coup la société rentre dans une dérive anti-migrants.
Chaque fait divers est décortiqué, un peu comme en France d’ailleurs. Il suffit d’un fait divers qui explose à Sfax, un jeune mec qui est poignardé par semble-t-il une personne noire. Et là c’est des rafles qui sont organisées par la population elle-même et par la police pour mettre des exilés dans des bus et les envoyer dans le désert. Ça s’est répandu et généralisé parce que le président lui-même a convaincu les Tunisiens que la source de leurs problèmes, du chômage et de la misère, c’est les exilés. Avant cela, il avait déjà réussi à convaincre la population que c’était le Parlement, c’était les journalistes, les syndicats, il y avait toujours un coupable désigné. C’était toujours des épisodes courts, mais là c’est l’épisode le plus long, les exilés ce qu’ils subissent en Tunisie depuis 2 ans c’est un enfer.
Ensuite Kaïs Saïed a vu une opportunité politique dans ce traitement des migrants, en négociant un deal avec l’Italie et les Pays-Bas qui deviendra ensuite le deal UE-Tunisie. Il vise à ce que la Tunisie, en échange d’argent, de formation de ses gardes côtes et de ses policiers, lutte contre la migration extérieure et intérieure. Donc on bloque les exilés et les Tunisiens qui tentent de passer la Méditerranée et on bloque l’arrivée d’exilés en Tunisie en échange d’argent. C’est l’externalisation des frontières de l’UE, c’est assez classique, mais ça a été exploité par Saïed comme une opportunité, sa relation avec Meloni est extrêmement importante dans le maintien de son régime.
Est-ce que tu dirais que Saïed entre dans cette grande famille des populistes d’extrême droite comme on en voit émerger un peu partout dans le monde ? (Milei, Meloni, Le Pen, Orban…) ?
Amine Snoussi : Totalement, et c’est bien pour cela qu’ils saluent son action, c’est un exemple couramment utilisé par l’extrême droite. Quand on accuse les militants de Reconquête et du Rassemblement National d’être racistes, ils répondent “ah ouais, les Tunisiens aussi sont racistes ? À jeter les migrants dans le désert “, oui, bien sûr que oui. Plusieurs députés RN ont salué l’action de Kaïs Saïed. Cette relation-là est idéologique, la négrophobie du président et du gouvernement actuel s’inscrit parfaitement dans les objectifs de l’extrême droite européenne. C’est parfait : il accepte de lutter contre la migration extérieure et intérieure. Ça veut dire qu’il empêche les Tunisiens qui crèvent, de tenter leur chance en Europe, il est prêt à les sacrifier sans leur proposer la moindre aide en Tunisie. En plus de ça, il fait le sale boulot de l’Europe pour expulser et fermer l’accès aux réfugiés d’Afrique subsaharienne.
Pour revenir à ce que tu disais, est-ce que ta volonté de radicalisation de l’opposition est un discours audible au sein de l’opposition ou dans la rue, lors des dernières manifestations par exemple ?
Amine Snoussi : Non, non pas vraiment. En fait il y a une bourgeoisie intellectuelle en Tunisie qui a peur de la rue et qui se dit “le meilleur moyen de stabiliser c’est de se débarrasser de Kaïs Saïed. On fait un comité d’experts qui va réécrire la Constitution et on se débarrasse du décret anti-presse et voilà ça suffira”. C’est un discours que l’on entend aussi dans l’opposition d’ailleurs. Et non, ça ne suffira pas. Parce qu’on a déjà essayé, ça n’a pas marché, cela a juste réinstallé un régime autoritaire. Par conséquent, le meilleur moyen de s’en débarrasser c’est de tout changer en profondeur : le ministère de l’intérieur, le système public et la corruption dans le public dans son entièreté, établir des vraies mesures de justice sociale et changer le narratif qui s’est installé depuis le coup d’État.
Moi j’ai très peur de l’après Saïed parce que je me dis qu’il a tellement créé de populisme au sein de la sphère politique qu’on a un parti nationaliste tunisien qui est ouvertement raciste, ouvertement négrophobe. Si un jour il a un groupe fort au parlement ou s’il arrive à gouverner, et qu’il applique cette Constitution, mais qu’est-ce qu’il peut se passer ?
Est-ce que la société civile tunisienne s’organise ? Est-ce qu’elle a les forces de lutter contre le pouvoir ?
Amine Snoussi : Non, en effet il n’y a plus grand monde. Il y a une temporalité qui les affaiblit parce que c’est tard pour réagir, c’est même très tard.
Quand on faisait les premières manifestations contre Kaïs Saïed on était 100, on était ridicules. Et à l’époque les syndicats, la société civile, ne voulaient pas se mouiller parce qu’ils se disaient que ça allait, que c’était un régime avec lequel ils allaient pouvoir négocier. Ils ont voulu attendre et voir. Ensuite quand les journalistes, les magistrats ont été attaqués, le reste de la corporation se disait “bon, nous on n’est pas attaqué donc on va peut-être rester dans les bonnes grâces du régime.” Après la peur s’est installée, un mélange de peur et d’opportunisme qui a mené à une réaction trop tardive. Là, j’ai l’impression que les syndicats et la société civile se disent que cette élection est l’élection de la dernière chance.
Saïed a déjà tout verrouillé. Les syndicats doivent radicaliser leur discours s’ils veulent espérer être soutenus par une mobilisation populaire et par la rue. Pour l’instant le grand test va être la grève générale du syndicat des travailleurs mais jusqu’à maintenant ce syndicat n’a jamais été dans l’opposition au président. A voir s’il réussit à mobiliser pour cette grève générale, à voir s’il va au bout de cette grève. Il n’y a rien qui dit que le président ne va pas organiser une répression policière de la grève.
Est-ce que tu vois des parallèles en France avec ce qu’il se passe en Tunisie ?
Amine Snoussi : Sur l’extrême droite, oui je vois le parallèle ainsi que sur la léthargie des acteurs. Peut-être que le plus gros parallèle est sur la radicalité, il y a beaucoup trop d’acteurs en France qui croient que lutter contre l’extrême droite c’est adapter son discours. Nous on a essayé, et ça n’a pas fonctionné, ça a juste apporté plus de dictature et d’autoritarisme. Le seul moyen de résister c’est d’entraîner une mobilisation populaire et pour ça il faut radicaliser son discours, il n’y a pas d’autres solutions.
Je crois qu’on a échoué car on n’a pas assez cultivé la culture révolutionnaire en 2011, pas écrit de mémoire de la Révolution, pas assez ancré dans l’esprit des gens, l’importance de ce moment politique et on est très vite passé à la réconciliation. On ne s’est pas débarrassé du système pourri qui gangrène la Tunisie et qui a créé les conditions pour l’arrivée de Saïed et un retour du régime autoritaire.
Oui il y a un parallèle en France parce qu’il n’y a pas de radicalité qui s’installe alors que la menace d’extrême droite est là et gouverne déjà en partie.
Tu penses qu’il y a un risque qu’il ne lâche jamais le pouvoir ?
Amine Snoussi : Oui, bien sûr. Si on voit sa personnalité, il a déjà dit qu’il ne donnerait pas la Tunisie à des non patriotes. Et quand on voit l’histoire politique du pays, la révolution et la démocratie sont une période très courte, à la fin tout ce qu’on a connu c’est le colonialisme puis deux régimes autoritaires qui se succèdent, qui sont longs. Ils durent une vingtaine d’années chacun, ont les bonnes grâces de l’Europe et arrangent parfaitement les occidentaux dans leur néocolonialisme, dans leurs rapports d’intérêt avec la Tunisie. Toujours le même fonctionnement : en soutenant un dictateur pour ses intérêts propres, et qui lui accepte de sacrifier les intérêts économique ou stratégique du pays. C’est bien plus avantageux que de négocier avec un Parlement, avec un gouvernement élu ou avec des représentants
AIDEZ CONTRE ATTAQUE
Depuis 2012, nous vous offrons une information de qualité, libre et gratuite. Pour continuer ce travail essentiel nous avons besoin de votre aide.
3 réflexions au sujet de « Entretien avec Amine Snoussi, journaliste tunisien exilé en France avant les élections »
Il ne faut pas vendre des serviteurs de la presse du grand capital et du royaume médiéval du Maroc (jeune Afrique) comme des victimes révolutionnaires, à moins de perdre sa crédibilité. D autre part, cessons de donner des leçons au Sud, car si le vote pouvait changer le sort scellé des peuples, il y a longtemps que la bourgeoisie l aurait interdit.
Là cela nous rappelle franchement Alliot Marie, et son savoir faire de la police française, qu il faut exporter en Tunisie.
Juste honteux.
»Si le vote changeait quoi que ce soit changeait quelque chose, ça ferait longtemps que ca serait interdit » Coluche, puis tout les gens suffisament privilégié pour faire dans la pureté militante..
»Si NE PAS VOTER changeait quoi que ce soit changeait quelque chose, ça ferait longtemps que ca serait interdit » .. Et l’un n’empêche pas (les) autres..
Là en l’occurrence, c’est toi qui donne des leçons au »Sud » ^^
Le Sud n’a aucune leçon à recevoir de la France et de l’Europe, bien au contraire. En France la population n’est pas pas plus inquiète que celà face à la monté de l’autoritarisme et de l’extrême droite et ici comme ailleurs les groupes d’extrême droite surf sur la vague des faits divers pour remplir leur gamelle xénophobe sans qu’il y est de réactions radicales en face. Tout ça vient alimenter des groupuciles neofacsistes partout en France, qui diffusent des informations, organisent des rassemblements sur des places ou devant des lieux de pouvoir, utilisent les médias locaux, radios ect pour diffuser leurs messages de haine, sont protégés par la flicaille et prennent des photos et des vidéos pour les diffuser sur les réseaux sociaux. En face aucune réponse, nous sommes quelques opposant.e.s à venir au contact, iels nous prennent en photo, nous film, juste pour dire que nous ne sommes qu’une poignée d’énergumènes à essayer de perturber leurs rassemblements dans les rues.
Exemple
Une vidéo des « normaux » (groupuscule Neonazie de Rouen) qui circule sur les réseaux sociaux depuis hier après un rassemblement devant le palais de justice de la ville. Cette vidéo est parlante, face à la montée de l’extrême droite pas grand monde , juste deux ou trois énergumènes d’extrême gauche (comme iels disent) .