Toutes les deux semaines, Contre Attaque ouvre ses colonnes aux camarades internationalistes de Ronahî, Centre de Jeunesse pour les Relations Publiques, qui travaille à «promouvoir les échanges entre les mouvements de jeunesse au Kurdistan et les mouvements de jeunesse démocratiques, anticapitalistes, féministes et écologiques dans le monde entier», pour nous éclairer sur la situation au Kurdistan. Voici le deuxième épisode.

Nous sommes en plein été au Kurdistan du sud, plus précisément sur les pentes des monts Zagros, au cœur de la Mésopotamie. Partout, les montagnes brûlent. Les forêts sont en feu, les champs sont réduits en cendres, la fumée occupe le ciel et les nouveaux foyers d’incendie ne cessent de se déclencher. Pourtant, rien de naturel dans ces feux estivaux. Nous sommes le 1er juillet 2024, et en seulement 6 mois, le Kurdistan du Sud a été bombardé plus de 1.000 fois par l’armée de l’État turc. En quelques heures, Tahir a vu des décennies de travail agricole réduites en cendres : «Nous sommes bloqués de tous les côtés… Nous avons perdu nos terres à proximité du village et des vergers… Nous avons tout perdu dans l’incendie…». La nuit dernière, un obus incendiaire est venu s’écraser à quelques mètres d’une des habitations.
Au-delà du Rojava, la lutte pour la libération du Kurdistan fait rage au nord, à l’est et au sud. Sous le contrôle d’une administration kurde davantage intéressée par les enjeux de pouvoir clanique et l’argent que par l’intérêt général de la population, le Kurdistan du Sud a été le théâtre au cours de l’été 2024 d’une opération militaire totale menée par la Turquie pour en finir avec son ennemi numéro 1 : la guérilla du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan).
Le Kurdistan du Sud se trouve dans le nord de l’Irak actuel. Depuis plusieurs décennies, cette région jouit d’un statut de territoire semi-autonome au sein de l’administration irakienne, sous le nom de «Gouvernement régional du Kurdistan». Au niveau international, c’est la seule partie du Kurdistan reconnue officiellement. Historiquement, deux partis se disputent le contrôle du territoire : le PDK (Parti Démocratique du Kurdistan) et l’UPK (Union Patriotique du Kurdistan). Le PDK est organisé autour de la famille Barzani, un puissant clan kurde qui détient toujours le contrôle du gouvernement régional. En parallèle, les combattant·es du HPG et des YJA-Star (forces de guérilla du PKK, les HPG sont la force mixte et les YJA-Star la force composée entièrement de femmes) contrôlent de larges territoires montagneux de la région. Les quartiers généraux du PKK se trouvent au mont Qandil, à quelques dizaines de kilomètres de la ville de Souleimaniye.
La présence du PKK dans la région remonte au début des années 1980, quand le parti, guidé par Abdullah Öcalan, a préparé le déclenchement d’une guérilla de libération nationale qui a débuté le 15 août 1984. Le Kurdistan du Sud servait de base arrière pour la guerre menée dans le nord du pays, sur le territoire occupé par la Turquie. Connaissant un renouveau idéologique au tournant des années 2000, le mouvement porté par le PKK cherche aujourd’hui à développer le ‘confédéralisme démocratique’ comme système permettant de résoudre la question kurde tout autant que les problématiques traversant le Moyen-Orient dans son ensemble.
Dans ce projet ambitieux, toutes les forces en présence ne sont pas alliées. Priorisant leurs intérêts familiaux et leur soif de pouvoir, le PDK n’hésite pas à collaborer activement avec la Turquie pour lutter contre la guérilla du PKK. Fruit de cette collaboration, des dizaines de bases militaires ont été construites par l’armée turque sur les territoires de la guérilla ces dernières années. Régulièrement, le président turc Erdogan déclare qu’il en aura fini avec la présence des combattant·es en quelques mois à peine. Pourtant, les différentes opérations s’enchaînent année après année sans pour le moment atteindre de résultat significatif.
Au printemps 2024, quelque chose a changé. L’Irak et la Turquie ont signé un accord, et l’Irak a déclaré dans la foulée le PKK «organisation illégale», donnant ainsi carte blanche à la Turquie pour lutter militairement contre une organisation qui n’était pas considérée comme ennemie par l’État irakien jusqu’à présent. Ce pacte se fonde sur un intérêt commun : les deux pays portent un projet économique commun, de route qui part du sud de l’Irak jusqu’au nord de la Turquie et traverse les territoires contrôlés par la guérilla. Pour concrétiser ce projet qui relierait directement Bagdad à Ankara, une seule solution : en finir avec la présence du PKK, quel qu’en soit le prix. La dynamique reproduit celle connue au Nagorno-Karabakh par les communautés arméniennes chassées par l’armée azerbaïdjanaise en septembre 2023, mais aussi celle sous-jacente à la guerre menée contre les populations de Gaza et du Liban par l’armée israélienne et l’OTAN.
C’est ainsi qu’une nouvelle offensive a commencé en juin dernier : des milliers de soldats et des centaines de tanks ont alors franchi la frontière turque pour se rendre dans la région semi-autonome du Kurdistan. Mis en confiance par le récent accord, l’armée turque n’a pas hésité à investir des territoires civils : des convois militaires ont traversé les villes de la province de Duhok, des ballons aux couleurs du drapeau turc ont été distribués aux enfants à la sortie d’une école et de nombreux points de contrôle ont été mis en place en collaboration entre les services secrets turcs et le PDK : les agences MIT et Parastin. Même le réseau téléphonique est modifié et les usagers reçoivent des messages leur indiquant qu’ils se trouvent maintenant en Turquie.
La guerre qui est alors menée est des plus intenses : les bombardements aériens, qui ne se sont jamais vraiment arrêtés sur ce territoire, s’intensifient très fortement et dépassent rapidement le nombre de 1000 depuis le début de l’année 2024, transformant des milliers d’hectares de nature en terrible fournaise et vidant des villages entier de sa population. Parallèlement, des centaines d’arbres sont abattus par l’armée turque, ses mercenaires et ses collaborateurs locaux, dans l’espoir de priver les combattant·es de refuges.
Le KCK, organisation parapluie dont l’objectif est le développement du confédéralisme démocratique sur l’ensemble du Kurdistan, déclare le 3 juillet que plus de 300 miliciens issus des rangs de ISIS [l’État Islamique] ont été envoyés par l’armée turque pour prendre part aux combats contre les positions de la guérilla : «Les liens entre les gangs fascistes d’ISIS et l’État turc colonialiste et occupant sont bien documentés. L’État fasciste turc a toujours ouvertement soutenu et hébergé les gangs d’ISIS. Aujourd’hui, l’État turc occupant déploie des gangs d’ISIS dans le sud du Kurdistan».
Nombreuses sont les voix s’élevant pour dénoncer non seulement une occupation militaire, mais aussi une claire tentative d’annexion, s’inscrivant dans une ambition assumée de reconstruction de l’Empire ottoman. Au sein de la société kurde, une crainte est partagée : revivre les terribles événements des années 1990, où plus de 4.000 villages avaient été incendiés au Kurdistan du nord par une armée turque aveuglée par son seul objectif, l’anéantissement total du mouvement de libération kurde. Une peur légitime : rien que depuis 2020, 162 villages au Kurdistan du sud ont été évacués, conséquences des différentes opérations militaires turques. En effet, les incursions turques ont un impact non seulement sur les positions de la guérilla, mais aussi directement sur la population civile. Au cours de l’été 2024, ce sont trois journalistes kurdes, un homme et deux femmes, qui ont été assassinés par des drones militaires turcs. Murad Mirza Ibrahim se trouvait au sein du territoire Ezîdî de Şengal. Tandis que Gulistan Tara et Hêro Bahadîn étaient à plusieurs centaines de kilomètres de la frontière turque et des zones de combats.
Face à cette situation d’agression militaire totale, les forces de guérilla du PKK ont su se ré-inventer. À l’occasion du nouvel an kurde cette année, un des commandants des HPG déclare la mise au point d’une nouvelle arme permettant d’abattre les drones turcs. Des dizaines de vidéos sont publiés montrant des drones militaires s’écrasant au sol, rendus complètement inoffensifs. En parallèle la guérilla développe ses propres drones de combat, permettant l’attaque aérienne des camps militaires turcs déployés au Kurdistan du sud. Les combattants ont aussi développé au cœur des montagnes des réseaux de tunnels sur des kilomètres, leur permettant de résister aux attaques de drones et bombardements incessants.
Fin octobre auront lieu les élections générales du «gouvernement régional du Kurdistan», administration jusqu’à aujourd’hui contrôlée par le PDK. Longuement repoussé pour diverses raisons, ces élections pourraient amener des changements importants dans une région touchés par la guerre, l’occupation et la collaboration.
Malgré cette situation très difficile la solidarité internationale continue de se construire et de se renforcer. Plusieurs délégations venus de l’Europe se sont rendues au cour de l’été au Kurdistan du sud. Visitant le camp de réfugié de Mexmûr et l’administration autonome de Şengal, participant au commémoration des 10 ans du génocide Ezîdî [Yézidi], ils et elles ont été témoins de la construction par le peuple kurde de son autonomie et auto-défense. Il y a quelques jours, lors d’une présentation publique, un des délégué conclura ainsi :
«Le Mouvement de libération du Kurdistan ne considère pas sa lutte uniquement pour les Kurdes ou le Kurdistan, il la relie à l’ensemble de l’histoire de l’humanité. Par conséquent, plus la lutte révolutionnaire au Kurdistan sera forte, plus les luttes révolutionnaires dans le monde seront fortes. Plus nous lutterons ici, plus la révolution au Kurdistan sera forte. Nous pensons donc que la solidarité internationaliste et la lutte commune sont essentielles.»
Ronahî – Centre de Jeunesse pour les Relations Publiques.
Nous sommes un collectif de jeunes du Kurdistan, du Moyen-Orient et d’Europe et nous souhaitons renforcer les liens entre les mouvements de jeunesses au Kurdistan et les mouvements anti-capitalistes, féministes, écologistes partout autour du monde. Pour cela nous nous concentrons sur 3 aires d’activités : travail d’information, formation politique, création de réseaux. Pour en savoir plus, n’hésitez pas à nous contacter !
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Pour retrouver le premier épisode de cette série :
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2 réflexions au sujet de « Des nouvelles du Kurdistan et de la révolution en cours : #02, un été dans les flammes »
Pas de capitalisme sans colonialisme.
L’ordre du monde est un monstre animé par la grande bourgeoisie, il détruit l’humanité, le monde du vivant en generale et rend la planète invivable pour les profits et les intérêts de la bourgeoisie. De Moscou à Ankara, de Bagdad à Washington, de Paris à Gaza, d’Europe en Afrique du Rojava au Chiapas et partout dans le monde un freinage économique d’urgence s’impose, l’ensemble des flux logistiques doivent être arrêtés. Sans une redistribution des cartes et l’écrasement du capitalisme , les tyrans sanguinaires, les miliiardaires, les grands bourgeois cossus et les dictateurs assassins, continuons (pour leurs propres intérêts) à envoyer L’humanité et le monde du vivant vers un cap qui les emmènent au péril de leur existence.
Un des aspect souvent méconus des problèmes du Kurdistan est les problèmes de trafics de pétrole , souvent organisé par des clans et à déstination de la Turquie , de l’Azerbaidjan et d’Israël.
Ça s’est bien vu lors de la déstabilisation de la Syrie post 2006 avec les HTS et autre Al-Nosra qui ont génocidé les Yézidi pour mieux envoyer le pétrole local par camions citernes en Turquie … et ce n’est qu’un des maints exemples en la matière , le cas des relations incestueuses des « familles » de Kirkouk en Irak avec Israel est aussi bien connu… à $20 le baril ça donne des guerres trèèèès rentables.