Encore une fuite de carburant : comment le capitalisme empoisonne la population du bassin de Saint-Nazaire
Le long de la Loire, près du port de Saint-Nazaire, la raffinerie de Donges est un immense complexe industriel qui scintille la nuit, occupé par des ouvriers qui se relaient en permanence. Il s’agit de la deuxième plus grande raffinerie du groupe Total en France, après celle de Normandie. Elle dispose d’une capacité de traitement de 11 millions de tonnes de pétrole brut par an et peut en stocker 2,2 millions de mètres cubes.
Ce site classé «Seveso seuil haut» pollue l’air, la terre et le fleuve depuis des années. Dans la nuit de samedi 23 novembre à dimanche 24, un nouvel incident s’est déclaré, le dernier d’une longue liste.
L’entreprise dit avoir détecté une fuite de carburant vers 23h à cause d’une brèche dans un tuyau. 15 mètres cubes de pétrole brut se sont écoulés dans la Loire, soit 15.000 litres. «Une surface de 500 mètres carrés» du fleuve a été polluée, selon la préfecture. Celle-ci ajoute que «des interventions» ont été lancées «pour colmater durablement la fuite» en mobilisant «l’ensemble des services de l’État». Des moyens publics pour réparer les erreurs d’une entreprise privée qui génère de milliards de profits, alors que Total devrait être sévèrement sanctionnée.
La dernière fuite d’une longue série
En effet, d’autres épisodes ont déjà eu lieu. En décembre 2022, 770.000 litres d’essence s’étaient déjà écoulés de la raffinerie. Le produit répandu était du Naptha, un mélange composé de soufre et de benzène, classé comme cancérogène avéré pour l’être humain.
En février 2024, la raffinerie avait été entièrement arrêtée «afin de réaliser des réparations nécessaires consécutives à des corrosions sur une unité et à un bouchage sur une seconde». Une partie du matériel était tellement vieux qu’il était hors d’usage. Visiblement, les travaux contre les risque de «corrosion et fuite» n’ont pas été très efficaces : en septembre 2024, il y a eu une fuite enflammée d’hydrogène sur le site. Un danger pour les ouvriers, la population et l’environnement. Le représentant de la CGT de la raffinerie estimait qu’il y avait «32.000 km de tuyauterie à refaire».
Si l’on remonte plus loin, dès 2018, des «dysfonctionnements répétés» étaient signalés à la raffinerie. Ils avaient provoqué des arrêts d’unités et «la dispersion dans l’atmosphère d’une poudre blanche observée par les riverains». Cette année là, en février, un «pic de pollution au dioxyde de soufre» avait aussi été signalé aux habitants. La pollution avait notamment recouvert les toits et les voitures d’une poussière blanchâtre…
Concernant la grosse pollution de 2022, le délégué syndical de la CGT détaillait auprès du média Révolution Permanente : «Rien que sur cette fuite, on voit une grosse partie du problème. La cuve en question date de 1982, la dernière révision générale de celle-ci date de 2005 ! La maintenance autour du bac n’a pas suivi».
Ces économies de matériels s’accompagnent d’un recours massif à la sous-traitance, donc à l’utilisation de travailleurs précaires et mal formés aux enjeux de sécurité. Toutes les conditions réunies pour des accidents.
Un bassin toxique
Le média d’investigation Splann ! a publié une longue enquête au mois de septembre 2024 sur la pollution à Saint-Nazaire. L’article révélait que l’entreprise avait délibérément caché les résultats d’un rapport mettant en cause la pollution de sa raffinerie : «TotalEnergies a mis au placard une étude cruciale démontrant l’exposition des riverains au benzène, classé cancérogène certain, sous l’œil indifférent de la préfecture».
En 2010 déjà, une étude scientifique soulignait que l’exposition prolongée au benzène dans un milieu professionnel augmentait les risques de leucémie. Mais que valent la vie des travailleurs et des riverains face aux immenses profits de Total ?
D’autant que tout le bassin nazairien est concerné, bien au-delà de Donges et de la raffinerie. Splann ! avait recensé plus de 200 sites potentiellement polluants et 47 substances nocives sur ce seul petit territoire.
Parmi les usines les plus inquiétantes, celle de Yara, qui concurrence largement la raffinerie en terme de dangerosité. Classée elle aussi « Seveso seuil haut », située elle aussi en bord de Loire, Yara est une entreprise qui fabrique les fameux Nitrates d’Ammonium, un produit servant d’engrais pour l’agriculture industrielle. Cette matière est hautement explosive.
C’est un stock de Nitrates d’Ammonium qui a dévasté la ville de Beyrouth en 2020 par exemple. Sauf qu’à Montoir de Bretagne, Yara en stocke des quantité 40 fois plus élevées, dans des conditions de sécurité lamentables.
En juillet 2023 à Yara, 13 tonnes d’acide sulfurique avaient fuit en bord de Loire. La Direction régionale de l’environnement – la DREAL – rapportait une fuite d’environ 7m³ d’acide concentré à 96%, causée par «une rupture nette de la tuyauterie». Deux mois plus tard, un ouvrier intérimaire de 50 ans mourait à Yara, avec des symptômes proches d’une intoxication à l’ammoniac.
Jeudi 8 septembre 2022, une sirène avait retenti dans l’usine chimique Yara. Et déjà, une fuite d’acide sulfurique avait déclenché un «plan d’opération interne». À l’époque, la préfecture affirmait qu’il s’agissait d’une fuite «de faible ampleur». Pourtant Yara est classée comme l’un des 13 pires sites industriels de France, qui «font encore l’objet d’incidents ou de non-conformités récurrentes» selon l’État.
Selon les autorités, en 2020 l’usine a dépassé 410 fois ses seuils d’autorisation de pollution cette année-là, un record. Pourtant, seules des amendes dérisoires avaient été adressées à l’entreprise, qui a décidé d’arrêter la production à Montoir et de licencier 134 salariés sur 171. Pour autant, le site restera tout aussi dangereux, puisque le stockage de Nitrates d’Ammonium va continuer…
Le capitalisme tue
Dans une époque d’empoisonnement généralisé de l’eau, de l’air et de la terre, et alors que les cancers explosent déjà dans la population générale, les taux de cancers sont anormalement élevés à Saint-Nazaire, Trignac, et surtout Montoir.
Selon une étude, le risque de cancer est supérieur de 30% à la moyenne nationale. Il atteint même une surreprésentation de 42% pour les hommes de moins de 65 ans. La catégorie de ceux qui travaillent dans ces usines. Les hommes sur le territoire de l’agglomération nazairienne ont en moyenne une espérance de vie de deux ans et demi de moins par rapport à la moyenne nationale.
Et au delà des cancers, un habitant sur six souffre d’une affection de longue durée. «Outre les cas de cancers répertoriés, il y a toutes sortes de pathologies qui sont plus fréquentes sur ce bassin de vie que sur le reste du territoire français : maladies respiratoires, accidents de la vie courante, maladies cardiovasculaires, troubles du comportement, suicides», expliquait le sous-préfet de Saint-Nazaire à Ouest-France.
Pourtant, Nicolas Durand, directeur général adjoint de l’agence régionale de santé des Pays-de-la-Loire pointait en 2019 le «tabagisme et l’alcool» comme responsable de cette surmortalité, de même que les autorités préfectorales. Comme si les entreprises polluantes présentes en surnombre à l’embouchure de la Loire n’avaient aucun lien avec cette surmortalité. Comme si la population nazairienne était plus alcoolique et fumeuse que la moyenne, et donc responsable de son sort. Une véritable insulte.
Pour ces gens, il ne faudrait surtout pas dénoncer les grands capitalistes qui volent la force de travail, la santé et la qualité de vie de la plèbe.
Contre toutes ces injustices, les habitant-es s’organisent. Le 2 novembre dernier, plus de 200 personnes, dont des paysan-nes du coin, s’étaient rassemblées devant la sous-préfecture de Saint-Nazaire pour exiger plus de transparence de la part du gouvernement sur le site de Yara. Un premier rassemblement avait eu lieu en mai. Et d’autres sont d’ors et déjà envisagés.