Des centaines de milliers de personnes boivent de l’eau non potable en France


Contamination des réseaux d’eau français au chlorure de vinyle monomère : étude d’un scandale sanitaire d’État


Un robinet qui goutte : il en sort une eau probablement contaminée au CVM.

L’étude du lanceur d’alerte Gaspard Lemaire, chercheur en sciences politiques, a été révélée ce jeudi 16 janvier. Grâce à un minutieux travail d’analyse de données des ARS – Agences Régionales de Santé – qui n’avaient jamais été rendues publiques, il révèle une triple responsabilité : celle des industriels, qui ont consciemment utilisé un matériau dangereux. Celle de l’Union Européenne ensuite, qui n’a légiféré que trop tardivement. Celle de l’État français enfin, la plus grande, puisque l’État a en même temps failli à son devoir de garantir une eau propre à la consommation, et menti sur la dangerosité du CVM.

Le chlorure de vinyle monomère (CVM) est une substance toxique classée comme «cancérogène certain» pour l’homme depuis 1987. Cette substance a été massivement utilisée dans les années 60 et 70 pour les canalisations publiques en PVC, afin de remplacer les tuyaux en plomb. Or, les industriels en charge de la fabrication savaient dès le début que ce composé était dangereux, sa toxicité ayant été prouvée dès les années 30 et les études s’étant accumulées depuis, en Europe mais surtout aux États-Unis.

Il est notamment responsable de plusieurs formes de cancer du foie. Les résultats des différentes études épidémiologiques ont été sciemment cachés par les industriels, afin de pouvoir continuer à utiliser ce matériau bon marché, au détriment de la santé de leurs salarié-es et des usager-es. En Europe, c’est la firme de chimie BAFS, du groupe IG Farben, qui était chargée de la production. IG Farben, qui était également le fournisseur de Zyklon B pour les chambres à gaz nazies…

Dès les années 70, le composant est interdit dans l’Union Européenne pour la confection de nombreux produits. Mais rien n’est fait pour protéger les populations de la contamination de l’eau du robinet. Il faudra attendre 1998 pour qu’une directive européenne fixe la limite à ne pas dépasser à 0,5 microgramme par litre (µg/l) de CVM. En 2003, cette limite apparaît (enfin) en droit français, et en 2007 un arrêté prévoit la mise en place de relevés et d’analyses. Mais les premières analyses n’auront lieu qu’en… 2011 ! Les pouvoirs publics se défendent en prétendant que cette lenteur serait due à des raisons techniques de difficultés de calcul des taux de CVM. Pourtant, les Etats-Unis y sont arrivés dès 1975…

La direction générale de la santé mentionne dans un rapport de 2020 une non conformité de 3% des prélèvements sur les 120.000 effectués depuis 2012. Les données, lacunaires, font état de 140.000 kilomètres de canalisations touchées (soit près de 2 millions de personnes buvant de l’eau contaminée), mais on estime que le chiffre serait plus proche de 340.000 kilomètres sur les 900.000 que compte le pays au total, soit plus d’un tiers du réseau.

Les départements les plus touchés sont l’Orne et la Dordogne. La commune la plus durement contaminée, Val-de-Louyre-et-Caudeau en Dordogne, a un seuil 1.400 fois supérieur au seuil légal, mais l’enquête indique qu’il s’agit certainement de chiffres largement sous-estimés. Un véritable scandale sanitaire, soigneusement caché par les pouvoirs publics.

En 2018, le ministère produit une note d’une hypocrisie criminelle, indiquant que “dans le cas d’une consommation quotidienne d’une eau du robinet renfermant des taux de CVM, le risque de cancer est théorique”. Alors que le risque est confirmé depuis 1987 ! Il se base également sur l’absence de lien avéré avec les cancers du foie à cause du manque d’études sur le sujet. Mais qui a choisi de ne pas faire d’étude ? Qui a attendu 2011 avant de réaliser des prélèvements, de plus très partiels et insuffisants ? C’est la politique de l’autruche : l’État choisit de ne pas savoir.

Les petites communes rurales situées en bout de réseau sont les plus touchées à cause de la stagnation de l’eau. Or, depuis 2020 – soit 50 ans après les premières alertes concernant la pollution de l’eau au CVM – la compétence de la gestion revient aux communes. Ainsi, l’État se désengage complètement, laissant aux communes disposant de budgets déjà largement dépecés par les logiques néolibérales une charge financière qu’elles sont incapables d’assumer. En effet, le seul moyen d’enrayer la contamination est de changer les tuyaux. Coût total de l’opération au niveau national : entre 12 et 30 milliards d’euros. Des aides d’État sont prévues, mais largement insuffisantes.

Le scandale sanitaire du CVM est loin d’être un cas isolé et rejoint la longue liste des polluants qui saccagent notre santé et l’environnement. Pesticides, tritium, PFAS, polluants éternels… Avec, à chaque fois, la complicité des pouvoirs publics.

Par exemple le 12 janvier 2022, dans la revue scientifique spécialisée Environmental Science and Pollution, une étude basée sur près de 7.000 échantillons d’urines de français révélait que 99,8% de la population était intoxiquée par le glyphosate, un herbicide toxique. La même année, l’État avait organisé un petit tour de passe passe : l’eau de millions de personnes en France était magiquement redevenue «conforme aux normes de qualité» après le relèvement des seuils réglementaires. Si on augmente le niveau acceptable de pesticides dans l’eau, tout redevient buvable.

En 2023, la Commission Européenne annonçait la prolongation de l’autorisation du glyphosate pour 10 années supplémentaires. Et ce ne sont que quelques exemples. On sait que l’effet «cocktail» joue dans l’explosion des cancers que nous connaissons : CVM, glyphosates, microparticules de plastique, autres pesticides… tout cela se cumule et multiplie les risques de maladie, sans qu’on puisse accuser un produit en particulier.

En ce qui concerne le chlorure de vinyle monomère, un recours contre l’État pour “négligences fautives” a été lancé par des personnes touchées par la contamination. Une plate-forme numérique a également été créée pour lancer d’autres recours juridiques.


Sources :

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