Valentina, militante italienne, décrypte la nouvelle offensive autoritaire du gouvernement Meloni


Valentina est une militante italienne d’Extinction Rebellion à Bologne depuis 5 ans. Elle a accepté de répondre à nos questions sur le projet de loi «DDL 1660» du gouvernement d’extrême droite italien.


Valentina se bat contre le gouvernement de Giorgia Meloni aux côtés d'Extinction Rebellion.

Il s’agit d’une loi sécuritaire qui franchit un nouveau cap dans l’autoritarisme et la répression. Elle est qualifiée d’«attaque la plus importante et la plus dangereuse contre la liberté de contestation dans l’histoire républicaine» par des associations de défense des droits.

Parmi les articles de cette loi, on retrouve l’instauration d’un «délit de résistance pénitentiaire» afin de mater les révoltes dans les lieux d’enfermement, l’interdiction d’achats de carte SIM à des étrangers sans titre de séjour, l’autorisation d’incarcération de femmes enceintes ou de mères avec des bébés de moins d’un an, la création d’un «terrorisme de parole» se rapprochant du délit d’apologie du terrorisme en France, les lois anti-squat sont durcies, l’armement policier est élargi… En l’écoutant, les parallèles avec les différentes lois autoritaires votées par Sarkozy, Hollande et Macron sont troublants.

On a également pu échanger avec Valentina sur la violence de la police italienne, et notamment celle qu’elle a vécu dans sa chair lors de ses actions. Elle accepte de parler sous sa véritable identité, parce qu’elle a porté plainte contre la police et a choisi de le faire publiquement, en parlant à la presse.

Peux-tu commencer par expliquer ce qu’est le projet de loi DDL 1660 ?

DDL 1660 est un décret de sécurité. À l’heure actuelle il s’agit d’un projet de loi, il n’a pas encore été approuvé. Il a été voté à la chambre des députés et est maintenant en discussion au Sénat. On sait déjà que ce sera approuvé en mars. En Italie, chaque gouvernement nouvellement installé présente ce genre de projet de loi sécuritaire. Et dans ces projets de loi, ils mettent un peu tout et n’importe quoi. Il y a plein de thématiques différentes : terrorisme, manifestations, activisme, immigration… C’est assez compliqué de trouver un fil rouge, un lien entre les différents articles. Le seul lien, c’est la répression, l’autoritarisme, que le gouvernement a décidé de mettre dans nos vies.

Le projet de loi prévoit 14 nouvelles infractions pénales et 9 facteurs aggravants. Il y a par exemple un article anti-squat. Tellement de gens n’ont pas de toit en Italie. Le projet de loi prévoit jusqu’à 7 ans de prison pour cette infraction, alors qu’il suffit d’un mois de retard de loyer pour être considéré comme squatteur. Le fait de bloquer une route ou un train de manière pacifique sans matériel était jusqu’à aujourd’hui une infraction administrative. Le projet de loi prévoit de le transformer en infraction pénale, avec une peine de prison maximale fixée à 2 ans. Simplement pour avoir obstrué la circulation.

Il y a un facteur aggravant pour les manifestations contre les grands projets d’infrastructures stratégiques. C’est clairement dirigé contre le mouvement No Tav [contre le projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin]. Parce que ce genre de manifestations a beaucoup d’écho dans la presse et devient très connu, ce qui ne les arrange pas. Toutes ces lois sont là pour réprimer toute voix dissidente. Ça se retrouve dans le nom des articles : article contre No Tav, article contre les activistes écologistes, article contre les squatteurs…

Y a-t-il des discussions entre les différents groupes de personnes touchées par ces nouvelles lois – antifascistes, écologistes, collectifs de soutien aux migrants… – pour organiser la lutte ?

Oui, on a organisé beaucoup de manifestations contre ce projet de loi. Il va y en avoir une ici à Bologne le 18 janvier. On essaye de rester uni-es, même si en Italie, la gauche est très désunie… On a peur, mais ça fait longtemps qu’on a peur. Depuis l’arrivée au pouvoir de Meloni, on peut sentir le fascisme. On a peur de revenir à cette période sombre. On peut réellement sentir que les choses sont en train de changer.

Ici à Bologne, c’est une ville historiquement à gauche. Depuis la seconde guerre mondiale, il n’y a eu qu’un seul maire de droite. C’est une ville avec un fort héritage communiste. Et là depuis un an, on a l’impression que le gouvernement est en train de faire de Bologne une ville test de ce qu’ils veulent faire de l’Italie. Ils ont commencé à mettre en place des “zones rouges”. Ce sont des zones de Bologne dans lesquelles les personnes identifiées comme “dangereuses” ne peuvent pas se rendre.

Je suis d’ailleurs l’une de ces personnes. Je suis considérée comme dangereuse. J’ai reçu un acte officiel de la police qui me déclare dangereuse pour la société. Par exemple, à Milan lors du nouvel an, le centre-ville a aussi été mis en “zone rouge” et les gens “dangereux” étaient interdits de s’y rendre pour faire la fête.

Tu peux nous montrer ce papier ? Qu’est-ce qu’il dit ?

Oui je l’ai ici. Il stipule que j’ai été informée que la police a assez d’éléments pour prouver à un juge que je suis potentiellement dangereuse. Et ils m’invitent à “bien me comporter”… Et je sais qu’à cause de ce papier, si j’essaye d’aller à l’étranger à la frontière ça va me poser problème. Avec ce document, la prochaine fois que je participe à une action d’Extinction Rebellion, même pacifique, je risque gros. Ils peuvent me mettre en prison, me mettre une infraction criminelle sur le dos.

J’ai déjà eu des problèmes avec la police, mais là je sais que ça va être bien pire puisque cette loi va leur laisser le champ libre. Déjà, lors d’une manifestation contre le G7 en juillet dernier à Bologne, j’ai été arrêtée avec 20 autres personnes. On m’a forcée à me mettre nue avec d’autres personnes. J’ai porté plainte, et j’ai appris il y a quelques jours que ma plainte avait été classée sans suite, sans enquête.

10 jours plus tard, la même chose est arrivée à des militantes d’Extinction Rebellion à Brescia, dans le nord de l’Italie. La police les a forcées à se mettre nues et faire des squats dans le commissariat. On a des gros problèmes avec la violence de la police en Italie. C’est structurel, ils ont même des ordres pour être violents. On leur dit d’utiliser tous les moyens possibles pour nous empêcher de continuer de lutter. Eux-mêmes sont convaincus de toute façon, ils votent massivement pour l’extrême droite.

Dans quel contexte arrive ce projet de loi ? Y a -t-il déjà eu des changements depuis l’arrivée au pouvoir de Georgia Meloni ?

Oui, clairement c’est de pire en pire. Ils sont en train de normaliser la répression, pour que les gens trouvent ça normal. Ils travaillent sur les sentiments des gens, ils travaillent avec la haine. Ils instrumentalisent les sentiments primitifs, et montent les Italiens les uns contre les autres.

La vie n’est clairement pas simple en Italie pour beaucoup. On a beaucoup de problèmes économiques, on n’est plus un pays riche, enfin peut-être qu’on ne l’a jamais été. Et ce que je ne comprends pas, c’est que les gens ne se battent pas. En France j’ai l’impression que les gens se battent, font des grèves etc. Ici, les gens sont blasés, ont intégré qu’ils étaient impuissants.

Je pense que malheureusement c’est le cas pour beaucoup de pays. D’ailleurs, est-ce qu’en dehors des cercles militants les gens parlent de ce projet de loi et de la répression ? Est-ce que c’est une loi populaire ? Est-ce qu’on en parle dans les médias etc ?

Non les gens n’en parlent pas trop… Dans les cercles militants oui, les gens ont très peur de ce projet de loi. Ce n’est pas une loi cachée, ils en parlent dans les médias. Mais c’est un peu ce que je disais tout à l’heure. En Italie, et je pense partout dans le monde aujourd’hui, les gens sont obsédés par l’idée de la sécurité. Être safe. Le monde est un lieu dangereux, et on est en danger. Les migrants sont dangereux. C’est comme ça qu’ils voient le monde. Et donc avec cette loi le gouvernement parle à ces gens.

Donc j’imagine que pour eux c’est OK, ils imaginent que cette loi va les mettre plus en sécurité. La police sera plus en sécurité. Parce que beaucoup de gens considèrent les policiers comme des héros, risquant leur vie chaque jour à cause de nous, les activistes violents. Par contre par exemple, l’ordre des avocats italiens s’est prononcé ouvertement contre ce projet de loi. Le bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme au niveau européen a également fait part de son inquiétude au Parlement italien. Ils craignent que le DDL 1660 mette en danger les droits de l’homme et la liberté d’expression. Ils ont pointé du doigt les articles les plus problématiques et recommandé de ne pas les publier.

J’ai lu que l’un des articles permettra aux policiers d’avoir des armes sans licence qu’ils pourront porter en-dehors de leur service ?

Oui, c’est l’article 20. Des milices fascistes au final. Et c’est assez cynique, parce que l’une des recommandations du BIDDH est justement de faire attention aux armes à feu. C’est basique en fait, c’est une menace contre le simple droit de vivre. Imaginez des policiers armés se baladant dans les rues comme de simples civils…

Qu’est-ce que cette loi va changer dans les stratégies de lutte ?

Ce qui est sûr, en tout cas au sein d’Extinction Rebellion, c’est qu’on ne va pas arrêter de lutter. On va sûrement essayer d’éviter d’exposer les gens de manière individuelle pour noyer la responsabilité d’une action. On a déjà eu pas mal de procès cette année, et ça nous revient très cher.

On a eu 40 procès en 2024, mais certaines personnes se retrouvent dans plusieurs procès différents. Donc ça prend du temps, de l’argent, de l’énergie. Moi je suis fonctionnaire, et ce n’est pas évident. Je pourrais perdre mon travail. Chacun de nous fait ses propres choix. On croit en ce qu’on fait. Mais il faut être réaliste, c’est de notre vie dont on parle.

J’aimerais ajouter quelque chose. Le problème aujourd’hui c’est qu’à chaque action, on nous charge d’une infraction criminelle. Ensuite l’enquête va durer super longtemps. Arrivé au tribunal, souvent les charges sont abandonnées. Les juges vont dire que c’est notre droit de manifester. Pas toujours, mais ça arrive. Il y a encore une forme d’indépendance de la justice.

Mais la police peut agir de son côté. Le papier que je t’ai montré c’est ça. Et ils peuvent te donner comme un avertissement, te donner une interdiction de territoire temporaire d’un an, deux ans, ou même quatre ans ! Et ça la police peut le faire sans l’approbation de la justice. Ce genre de peine en réalité a été créé pour la mafia ! Pas pour les militants. Mais on va continuer de lutter.

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