«Sortir la France du narcotrafic» : un nouveau projet de loi liberticide


Un projet de loi entre surveillance de masse, fuite en avant liberticide et répression raciste


Des agents de la DEA aux USA : c'est ce type de police ultra-violente dont s'inspire Retailleau pour lutter contre le narcotrafic.

Le haut commissariat aux droits humains de l’ONU, dans un communiqué paru en décembre 2024, rappelait que la soi-disant «guerre contre la drogue» avait détruit un nombre de vies incalculable : «La criminalisation et la prohibition ont échoué à réduire l’usage de produits stupéfiants et échoué à réduire le crime lié à la drogue» et appelait instamment à dépénaliser l’usage de la drogue. Mais nos brillants gouvernants, dans leur fuite en avant d’extrême droite, ont décidé de faire exactement l’inverse : faire la guerre au narcotrafic.

Mardi 28 janvier les Sénateurs examinaient une proposition de loi : «sortir la France du piège du narcotrafic». Un titre sensationnaliste et affolant, choisi pour faire peur et instiller l’image d’une France qui serait aux mains d’un Pablo Escobar et des cartels de drogue. Ce projet de loi, porté par les sénateurs Jérôme Durain (PS) et Muriel Jourda (LR), est une longue liste de mesures liberticides. Fervents défenseurs de cette loi, Gérald Darmanin et Bruno Retailleau rivalisaient mardi de superlatifs pour la soutenir. Ce combo de ministres d’extrême-droite à la Justice et à l’Intérieur ne pouvaient qu’être ravi.

Une surenchère malhonnête

“Menace existentielle”, “sursaut national”, “combat vital”, ils s’en sont donnés à cœur joie. Il faut dire que plusieurs de ces mesures sont directement inspirées de leurs propres idées. Gérald Darmanin avait annoncé il y a peu la création d’une “narcoprison”. Une espèce de super-prison pour super-criminels trafiquants de drogue. Alors que la France est régulièrement pointée du doigt pour ses graves violations des droits humains dans des prisons surpeuplées, pour Darmanin, le fantasme d’une espèce de Guantanamo à la française pour les dealers est une priorité.

En novembre 2024, Bruno Retailleau délirait à l’Assemblée après une “rixe de 400 à 600 personnes” alors qu’ils étaient en réalité 10 fois moins, et martelait “on a le choix entre une mobilisation générale ou la Mexicanisation de notre pays car je vous assure que les narcoracailles n’ont plus aucune limite”. Un parallèle délirant, sachant que plus de 30.000 personnes sont tuées et 100.000 disparaissent chaque année au Mexique. Aujourd’hui, toujours dans son lexique militaire, il parle d’un “texte de combat”. Un combat contre quoi, le trafic de drogues ou les libertés publiques et les étrangers ?

Le projet de loi prévoit notamment la création d’un nouveau parquet national anticriminalité (Pnaco) et la consolidation de l’Ofast (office national antistupéfiants) afin d’en faire «une DEA à la française» – la «Drug Enforcement Administration», brigade anti- drogue aux USA – pour lutter contre une prétendue mexicanisation. Toujours cette fascination morbide pour les États-Unis et leur violence. Faut-il rappeler à nos obsédés de l’ordre et de la sécurité qu’aux USA, la police a beau être encore plus armée et violente qu’en France, la criminalité y est infiniment supérieure ? Et que malgré la répression, les USA font face à un crise des opioïdes absolument incontrôlable, qui tue 100.000 personnes par an, soit deux fois plus que tous les soldats US tués au Vietnam, chaque année !

L’observatoire des libertés et du numérique a de son côté tiré la sonnette d’alarme sur cette loi qui, “au prétexte d’une reprise en main d’une problématique sociétale pourtant loin d’être nouvelle et appelant d’autres solutions que le tout répressif, vise à introduire et renforcer des mesures dangereuses pour les libertés et dérogatoires au droit commun. Si nous ne sommes plus étonnés de l’affaiblissement progressif des libertés publiques au nom des discours sécuritaires, une attaque à ce point décomplexée des principes fondateurs d’une justice démocratique témoigne de la profonde perte de repères et de valeurs des actuels responsables publics”.

Tour d’horizon des mesures liberticides

On se met en jambes avec l’article 16, “Régime du déploiement des techniques spéciales d’enquête” qui prévoit une attaque contre le droit de se défendre : le “dossier-coffre”. Ce dernier introduit un certain nombre d’informations auxquelles ni le prévenu, ni son avocat n’auraient accès, notamment “les informations relatives à la date, l’horaire ou le lieu de la mise en œuvre d’une technique spéciale d’enquête, aux caractéristiques de leur fonctionnement, aux méthodes d’exécution de celles-ci et aux modalités de leur installation”.

Dans les faits, cela empêchera par exemple aux personnes de savoir comment et quand elles étaient surveillées, et donc de contester en cas d’abus. Les policiers pourraient déployer des moyens illégaux pendant des enquêtes, sans aucun risque d’être inquiétés puisque l’avocat de la défense ne le saurait pas. Adieu les vices de procédure, liberté totale pour la police.

Le pouvoir des préfets est élargi : ils pourront délivrer des interdictions de territoire aux trafiquants présumés. Si le logement du prévenu se situe dans la zone ? Il en est tout simplement expulsé.

Le projet de loi introduit également la censure des contenus liés aux stupéfiants sur internet. On le sait, une fois que ce type de censure est mise en place, elle ne fait que s’étendre à d’autres sujets. La preuve, elle a initialement été introduite pour le contenu pédocriminel, puis terroriste, et maintenant pour la drogue. À quand la censure d’autres contenus, par exemple anticapitalistes ou écologistes ?

Parmi la longue liste de mesures, on retrouve également l’interdiction du paiement en liquide des voitures de location et l’autorisation des drones dans les prisons.

Comme pour les lois antiterroristes, cette loi narcotrafic a pour but de sortir du droit ordinaire. On le sait, lorsque des lois sont créées pour soi-disant ne viser qu’une partie de la population, elles finissent toujours par être dévoyées pour d’autres – avec l’usage de procédures antiterroristes pour les militant-es écologistes ou pour la Palestine par exemple.

La criminalité organisée, notion introduite en 2004 pour cibler les groupes mafieux est déjà aujourd’hui largement dévoyée. Une enquête pour «association de malfaiteurs» permettait déjà des pouvoirs de surveillance étendues et des procédures d’exception. Aujourd’hui, de nombreuses actions militantes tout à fait banales sont affublées de circonstances aggravantes comme «l’association de malfaiteurs» : par exemple à l’encontre des activistes arrêtés dans l’affaire du cimentier Lafarge de Bouc-Bel-Air en décembre 2022.

Surveillance de masse

Citons à ce sujet l’élargissement des boîtes noires, une technique de renseignement analysant toutes les données et communications récupérées sur internet via des algorithmes. Elles étaient réservées aux enquêtes sur le terrorisme, puis étendues aux ingérences étrangères, et maintenant introduites “pour la détection des connexions susceptibles de révéler des actes de délinquance et à la criminalité organisées”. Le texte prévoit également l’allongement de la durée d’autorisation de surveillance par géolocalisation, ainsi que le retour de l’activation à distance des appareils électroniques pour filmer et écouter les personnes à leur insu.

L’article 12 prévoit que les opérateurs de communication seront obligés de demander une pièce d’identité aux personnes voulant acheter des cartes SIM prépayées, et de garder ces informations pendant 5 ans pour pouvoir les fournir aux autorités. Un amendement impose également aux opérateurs téléphoniques une obligation d’accès aux contenus pour la police, y compris les échanges via des messageries sécurisées. Cette obsession de nos dirigeants, qu’ils réclament depuis des années, permettra l’accès à toutes nos discussions, même celles sur des messagerie chiffrées comme Telegram, Signal et autres. Ce serait la fin pure et simple des échanges privés.

La Quadrature du net indique pourtant que «le chiffrement est une mesure de sécurité, le casser rendrait le monde numérique vulnérable et personne n’y a intérêt». En effet, créer des brèches dans les applications de communication chiffrées permettrait non seulement aux autorités de les surveiller, mais ouvre des possibilités d’espionnage ou de chantage de la part de puissances étrangères ou de groupes criminels.

Fausse lutte contre la drogue, vraie coercition dirigée contre les quartiers populaires

Rappelons-le, ces mesures sont complètement inefficaces pour lutter contre la drogue. Au contraire, puisque la France est l’un des pays avec la législation la plus dure, et l’un des pays où la consommation de cannabis est la plus élevée. En outre, la répression frappe d’abord les consommateurs, pas les trafiquants. Selon Médecins du monde, 80% des interpellations pour infraction liée aux stupéfiants concernent les usagers et non les trafiquants.

À rebours de cette surenchère répressive, certains de nos voisins l’ont bien compris. Le Portugal par exemple était rongé par les drogues dures dans les années 1990 : près de 1% des Portugais et Portugaises étaient accros à l’héroïne et le pays avait le record de morts du SIDA liés à la drogue dans l’Union Européenne. Un fléau sanitaire. En 2000, le gouvernement a choisi de faire tout l’inverse de la répression : toutes les drogues ont été dépénalisées. Oui, toutes, y compris l’héroïne.

Surprenant, mais efficace : deux décennies plus tard, c’est un succès. Lorsqu’une personne consommant de la drogue est contrôlée, on lui propose un suivi médical et social plutôt que de l’enfermer. Aujourd’hui, le Portugal compte deux fois moins d’héroïnomanes qu’en 1999 et, surtout, le taux de décès liés à la drogue a chuté, il est cinq fois plus faible que la moyenne de l’Union Européenne.

Mais en France, on fait le choix de la répression. Cet arsenal liberticide sert en réalité d’outil de contrôle et de répression dirigé contre les populations non blanches des quartiers populaires. L’interdiction du cannabis est un prétexte pour que les policiers puissent contrôler, harceler ou placer en garde à vue pour le moindre gramme de shit la jeunesse précarisée et non blanche. Ce n’est pas tant la question de la drogue qui est en jeu, mais la possibilité de maintenir l’ordre et de forcer les pauvres à rester à leur place.

De plus, la prohibition profite aux mafias. Comme dans les USA d’Al Capone, le fait d’interdire un produit ne le fait pas disparaître, il augmente son prix – quelque chose d’illégal est forcément plus cher, car il est plus difficile de s’en procurer – et enrichit les réseaux du crime organisé. Dépénaliser permettrait au contraire de vendre moins cher des produits dont la qualité serait suivie et contrôlée, et d’empêcher les mafias de prospérer.

Ce projet de loi narcotrafic est soutenu par la droite et l’extrême droite, mais aussi par le PS, le PC et EELV, ce qui en dit long sur le naufrage de la gauche institutionnelle. Il est urgent de sortir de l’illusion que cette soit disant gauche défend nos libertés. Elle est partie prenante du délire sécuritaire.


Le projet de loi sera examiné à l’Assemblée début mars.


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4 réflexions au sujet de « «Sortir la France du narcotrafic» : un nouveau projet de loi liberticide »

  1. La répression contre la criminalité ne changera rien au problème des narcotraficants qui utilisent les même outils que les capitalistes : banques, moyens de transports, armes, informatique, logistique, ect, pour évité que le bateau prenne l’eau le problème ne se règle pas en le vidant avec un seau, mais en le traitant à la source… Le capitalisme. La seule différence entre un narcotraficant et un bourgeois, c’est qu’il y en a un qui pense agir légalement

  2. Ça reste surtout un prétexte pour la surveillance généralisée.
    On le voit avec ce magnifique laboratoire liberticide qu’est l’Australie: depuis plus de 15 ans, ce pays, membre des five-eyes, met en place des lois de surveillance au nom de la lutte contre les terroristes et pédo-nazis (quoi qu’aujourd’hui, être ouvertement nazi n’est pas un délit), avec l’argument moisi: « si vous êtes contre cette loi, alors vous êtes pour les pédocriminels), et, bizarrement, les fitrages/blocages/surveillances ont progressivement glissé sur l’opposition, les religions, les sites sur l’euthanasie, certaines pages wikipédia, etc …

    1. Je suis d’accord avec toi Le Psycopathe Fou, la lutte contre les narcotraficants c’est un prétexte pour fliquer le pays et permettre à ces parasites de bourgeois de légitimer la montée du facsisme. L’ensemble des maux de cette société viennent du capitalisme et les narcotraficants en font tout simplement parties.

  3. Ils ont l’esprit détraqué ,bête et méchant, c’est évident ! mais ce qui est aussi évident c’est qu’ils ont les yeux plus gros que le ventre et le cerveau trop petit.
    Quand on instaure ce type de lois , l’arbitraire devient la règle POUR TOUS même celui qui croit y échapper . L’erreur se faufile partout et on empoisonne la vie par pure incapacité de vivre libre penseur .

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