Notre analyse des événements récents sur la côte syrienne – Par Interstices-Fajawat


Contre Attaque ouvre ses colonnes depuis le mois de décembre au collectif internationaliste franco-syrien Interstices-Fajawat, afin de mieux comprendre la situation complexe et mouvante en Syrie suite à la chute de la dictature.


Des factions armées du nouveau régime syrien dans des 4x4

Ce collectif se trouve désormais en Syrie, au plus près des événements. Il nous livre aujourd’hui des précisions et son analyse sur les massacres sectaires commis dans l’Ouest du pays, et dont l’ampleur se révèle chaque jour plus effroyable : près de 1.300 personnes tuées dont un millier de civils. La dictature avait misé son pouvoir sur la mise en concurrence des communautés, la Syrie sort d’une décennie de guerre civile et d’atrocités, les crimes de masse commis ces derniers jours en sont un prolongement terrible.


Il est avéré que durant leur règne, les Assad ont favorisé leur clan et les élites alaouites – une communauté qui représente autour de 10% de la population totale du pays – qui leur étaient loyales. Mais pas seulement, la femme de Bachar El Assad étant par exemple sunnite.

Ce qu’on ne vous dit pas assez, c’est qu’une grande partie de la population alaouite de la côte était aussi pauvre et aussi oppressée que tous les Syriens. Ce qu’on ne vous dit pas non plus, c’est qu’en 2023 un mouvement de révolte contre le régime d’Assad est parti de Latakia – le Mouvement du 10 août – mais qu’il a été rapidement réprimé par les sbires de Assad, avant que la population druze de Suwayda, au Sud de la Syrie, ne prenne le relais dans des manifestations hebdomadaires qui ont duré plus d’un an – voir notre site.

Il est donc absolument faux de dire que les Alaouites et les Druzes étaient loyaux envers Assad.

Quand HTS et ses alliés ont libéré la Syrie du régime d’Assad, leur leader Al-Joulani a réussi à empêcher partiellement les bains de sang. Mais une dictature ne tombe jamais sans épuration et règlements de comptes : depuis la chute d’Assad, des meurtres de civils et des exécutions sommaires ont été comptabilisés toutes les semaines, et en particulier dans la région de Homs. Si ces actes ont été présentés comme des actions individuelles ou des actes de vengeance de groupes non identifiés, on sait que nombre d’entre eux ont été commis par des groupes affiliés à HTS, puis aux Forces de Sécurité du gouvernement transitoire.

Ahmed al-Sharaa (Al-Joulani) a échoué à gagner la confiance des Syriens, notamment en nommant des salafistes étrangers à des postes de responsabilité et en ne prenant aucune mesure sérieuse pour désarmer les combattants étrangers, notamment originaires du Caucase et d’Asie Centrale, qui sont venus en Syrie il y a plusieurs années pour accomplir leur Jihad et non pour libérer les Syriens. Ces groupes sont impliqués dans de nombreux crimes de guerre à l’encontre des communautés Syriennes.

Pour autant, il est faux de penser que seuls les combattants étrangers sont responsables de crimes : la Syrie dans son ensemble n’est pas débarrassée du fanatisme religieux et des haines sectaires.

Plusieurs groupuscules de loyalistes pro-Assad, obligés de se cacher depuis la chute du régime, ont tenté depuis décembre d’ouvrir des fronts contre les forces de sécurité. Il s’agissait clairement d’actes désespérés et suicidaires de criminels et de tortionnaires patentés, piégés en Syrie et qui auraient tôt ou tard été identifiés et arrêtés ou assassinés. Nombre d’entre eux ont été arrêtés depuis décembre.

Cette semaine un de ces groupes, le «Bouclier de la côte», dirigé par le tortionnaire loyaliste Moqdad Fteha, a coordonné une opération d’ampleur contre les forces du nouveau gouvernement, possiblement avec le soutien de la Russie, qui continue de négocier le maintien de ses bases militaires de Tartus et Latakia (Hmeimim). Il est absolument indécent de qualifier ce groupe de «résistance». L’affirmer, c’est reprendre exactement la même rhétorique qu’Assad et le Hezbollah, qui ont justifié pendant une décennie le meurtre de masse des révolutionnaires Syriens et de la population dans son ensemble sous prétexte de lutte contre Israël d’une part et contre le terrorisme islamiste de l’autre.

En réponse, les forces de Sécurité ont lancé une opération militaire sur la côte, entraînant dans leur sillon des dizaines de «volontaires» motivés par leur désir de vengeance et leur sectarisme, ainsi que des factions islamistes motivées par leur intolérance religieuse. Près de 250 combattants ont été tués de chaque côté dans la confrontation, et environ 973 civils ont été froidement exécutés et massacrés à l’occasion d’un couvre-feu et de «perquisitions» effectuées par les «forces de sécurité», majoritairement dans les zones de Jableh, Latakia et Banyas.

Les factions pro-Turques, composées de seigneurs de guerre ayant déjà commis de nombreux vols, crimes et règlements de compte, et menant la guerre contre le Rojava, seraient particulièrement impliquées dans ces massacres. De leur côté, les groupes loyalistes pro-Assad auraient également assassiné près de 200 civils, dont un certains nombres dans des véhicules immatriculées dans d’autres régions de Syrie. Les chiffres précis varient selon les sources que nous estimons crédibles : SOHR, SNHR, Daraj Media, Al Jumhuriyya.

Pour nous, il est clair que Sharaa n’est pas digne de confiance. S’il a pu en partie empêcher stratégiquement les bains de sang début décembre, il aurait pu les empêcher également cette semaine s’il avait fait l’effort de désarmer et d’expulser les combattants salafistes étrangers quand la communauté Alaouite de Jableh le lui avait demandé il y a près de deux mois. Dans une publication datant du 17 janvier, on évoquait les groupes salafistes en question.

Pour faire bonne figure, il promet désormais que chacun sera jugé pour ses crimes et a instauré un comité d’enquête constitué de cinq juges, ainsi qu’un Comité pour la Paix Civile, auquel prendra part l’ancien conseiller de Bashar Al-Assad et membre de l’infâme Parti Social-Nationaliste Syrien Khaled al-Ahmad. Des exécutants ont déjà été arrêtés depuis hier, mais leurs officiers ne semblent pas inquiétés. On pense notamment aux criminels de guerre des divisions Al-Hamzat et Suleyman Shah.

Sharaa prend bien trop de décisions inquiétantes et lourdes de conséquences pour l’avenir de la Syrie alors qu’il est censé céder sa place prochainement. Et son inaction à l’égard des groupes salafistes vient de conduire à l’un des plus gros massacres depuis la chute du régime d’Assad. Les Syriens ne l’oublieront pas. Espérons que la communauté sunnite majoritaire ne se laissera pas aveugler par son désir de revanche et par les discours sectaires qui voudraient faire passer les minorités pour loyales envers Assad.


Source : @megaphonenews


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Une réflexion au sujet de « Notre analyse des événements récents sur la côte syrienne – Par Interstices-Fajawat »

  1. La loi constitutionnelle transitoire est très correcte, reconnaissant l’égalité des citoyens sans distinction de religion, race, sexe, origine.

    Compte tenu des circonstances entre insurrection d’un coté et invasion israélienne de l’autre, ca parait difficile de faire mieux pour le moment.

    Et le régime est musulman (fiqh) dont on verra en pratique mais rien à voir avec la charia des intégristes.

    Bref ca avance tout doucement, encore 5 ans, et ca avancerait plus vite si les occidentaux cessaient les sanctions !

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