Comment les sondeurs fabriquent les élections ?

Frédéric Dabi, président de l'Ifop, un des nombreux instituts de sondage qui manipulent l'opinion. À côté, deux graphiques représentent la surévaluation de Le Pen et la sous-évaluation de Mélenchon aux élections présidentielles.

Les médias des milliardaires et les instituts de sondage sont déjà en campagne pour faire gagner le RN aux prochaines élections. Sur Europe 1, le 30 mars, la radio titrait sur une enquête de l’institut de sondage Ifop pour le Journal du Dimanche, créditant Marine Le Pen «à un niveau très élevé, avec des scores à la présidentielle qui rappellent ceux de Mitterrand, qui avait fait 34,5%». Celui qui commentait ce chiffre, c’était Frédéric Dabi, le directeur de l’institut.

Il ajoutait, de façon pas neutre du tout : «Ne pas avoir la France du travail, c’est perdre la présidentielle d’une certaine manière. Cette France est chez Marine Le Pen.» Ici, Frédéric Dabi donnait son avis – favorable au RN – et pas des faits : le parti d’extrême droite a toujours pris position contre la hausse du SMIC, contre les droits des travailleurs, et pour les mesures néolibérales. Mais il ne faudrait surtout pas le dire à l’antenne, ça risquerait d’informer la population.

Surévaluer le RN, sous évaluer la gauche

Après avoir écouté Europe 1, on se dit qu’avec le RN à presque 35% deux ans avant les présidentielles, c’est joué d’avance. Le prochain gouvernement sera d’extrême droite. Enfin ça, c’est ce que veulent nous faire croire les médias. Rappelez-vous l’été dernier, après la dissolution de l’Assemblée : la totalité du champ médiatique et des sondeurs nous annonçaient avec certitude une majorité absolue pour le RN. Vous connaissez la suite.

En fait, quand on regarde les résultats des sondages sur le temps long, ils montrent une manipulation délibérée et systématique des chiffres pour faire gagner l’extrême droite tout en désavantageant la gauche. Avant la présidentielle de 2017, Le Pen était donnée jusqu’à 29% par l’IFOP, elle a fini 8 points en dessous dans les urnes ! Avant l’élection de 2022, elle était mesurée à 28%, elle a fini à 22.

À l’inverse, le vote Mélenchon est massivement sous évalué. Mesuré à 12% en 2017, il avait fini à presque 20% dans la réalité, frôlant le second tour. Même chose en 2022 : mesuré à moins de 10%, il réalisait 22% des voix. Aucun autre candidat n’est à ce point diminué par les sondeurs : plus de 10 points d’écart, un score réel divisé par deux par les sondeurs.

Une simple erreur ? Non, ces sondages ont un impact énorme sur les résultats réels. En 2017 comme en 2022, beaucoup d’électeurs de gauche n’ont pas voté Mélenchon en se disant que, «de toute façon, il n’a aucune chance d’atteindre le second tour», en se basant sur les sondages. Ils ont ainsi reporté leurs voix sur de petits candidats qui avaient le mérite de mieux représenter leurs opinions. Si Mélenchon avait été mesuré à son niveau réel, il serait facilement passé au second tour, devant Le Pen donc, et face à Macron. Cela aurait bouleversé tout le champ électoral, et tout le débat public. Quand bien même il n’aurait peut-être pas gagné, le climat social et les rapports de force politiques auraient été totalement différents.

Inversement, Marine Le Pen étant mesurée très au-dessus de son niveau réel, cela permet aux médias d’inviter massivement des intervenants d’extrême droite en prétextant que le RN est «le premier parti de France» et que, sa candidate étant en tête, il est logique de lui donner plus la parole que les autres courants. C’est un effet performatif : plus ont répète que RN est haut, plus on le fait monter.

Qui manipule ces sondages ?

À la tête de l’Ifop, on trouve donc Frédéric Dabi. Dans un portrait publié en 2022, le journal L’Opinion expliquait que ce dernier «carbure à une dizaine de passages télés ou radios par semaine». Plus intéressant, l’article racontait qu’il allait «mettre le nez dans les enquêtes d’opinion de l’Ifop, dont il assure lui-même le redressement, une méthode consistant à modifier les résultats bruts du sondage pour mieux prendre en compte tous les critères».

«Redressement», «modification»… Les chiffres sont donc délibérément truqués, et tout le monde le sait. Voyons comment Frédéric Dabi «améliore» les sondages de son institut. En février 2022, il expliquait à la télévision que Mélenchon aurait du mal à dépasser 13%, mais que le RN allait cartonner. C’était dans la dernière ligne droite de la présidentielle.

Dans un sondage diffusé par son institut à l’époque, Macron était à 25%, Zemmour à 16%, Pécresse à 14,5%, et Mélenchon mesuré à seulement 11,5%. On le sait, Mélenchon a fait deux fois plus, Zemmour deux fois moins, et Pécresse trois fois moins. Le «redressement» vu par Frédéric Dabi consiste à doubler les scores des fascistes et diviser de moitié ceux de la France Insoumise, pour décourager l’électorat de gauche et faire monter artificiellement l’extrême-droite.

Depuis au moins 2019, l’Ifop publie systématiquement des sondages mettant en scène un second tour entre Le Pen et Macron à la présidentielle, sans jamais envisager la présence d’un autre candidat en finale des élections. C’est une façon de conditionner l’opinion au fait qu’il n’y a qu’un seul choix, et aucune alternative à ce duel cauchemardesque.

En 2012 déjà, l’Ifop annonçait Sarkozy réélu devant François Hollande, une erreur de plus. Frédéric Dabi se trompe avec une régularité admirable depuis une décennie, il reste pourtant omniprésent dans les médias.

Frédéric Dabi est quelqu’un d’engagé. Il participait en 2018 à un forum intitulé «J’aime Israël» à Paris, aux côtés de Bernard-Henri Lévy, pour «parler de leur Israël [et] de leurs souvenirs [et] espoirs». Il intervient d’ailleurs régulièrement sur la chaine d’extrême droite Cnews, mais aussi sur les chaines communautaires Radio J ou encore I24, qui diffusent des propos ouvertement génocidaires depuis des mois.

Un institut de sondage militant, au service du pouvoir

Le 2 janvier dernier, dans les studios de Sud Radio, Frédéric Dabi affirmait avec une grande assurance : «Il n’y a quasiment aucun Français qui appelle au départ de Macron». Manque de bol, le même jour un autre institut de sondage, Odoxa, avait osé poser la question et révélait que 61% des Français sont bien favorables à une démission d’Emmanuel Macron.

En 2020, l’Ifop publiait un sondage sur l’interdiction des «crop top» pour les lycéennes. Il s’agit de tenues courtes montrant le nombril. Une étude sans aucun autre intérêt que d’être exploité par les médias réactionnaires pour alimenter une polémique sexiste. En septembre 2023, l’Ifop s’intéressait à nouveau aux vêtements des adolescentes, avec un sondage sur les abayas, les robes longues considérées comme musulmanes. Ici, il s’agissait d’accompagner la dernière opération islamophobe du gouvernement qui interdisait le vêtement dans les lycées.

En mars 2023, l’Ifop faisait campagne pour la fin du RSA, en affirmant que le projet du gouvernement était approuvé par la majorité des français. Un sondage biaisé, puisque cette mesure n’a été ni vraiment débattue, ni présentée à la population de façon honnête. L’Ifop déplorait alors «certaines poches de résistance» notamment «au sein des électorats de Jean-Luc Mélenchon et de Yannick Jadot» et «chez les plus pauvres».

L’Ifop a bien évidemment manipulé l’opinion dès le début de l’attaque israélienne sur Gaza, avec ce sondage paru en octobre 2023 expliquant que «Jean-Luc Mélenchon apparaît comme la personnalité politique qui suscite le moins de confiance pour lutter contre l’antisémitisme». Un élément de langage diffamatoire, utilisé jusqu’à écœurement depuis plus d’un an.

Ce genre de sondage est là encore performatif : à force de répéter que la France Insoumise serait «antisémite», sans jamais rappeler que c’est bien le RN qui a été fondé par des nazis, cette idée infuse dans l’opinion. Les sondeurs ont ensuite beau jeu de dire que leur idéologie est confirmée. Un propos mensonger s’impose ainsi comme une vérité validée par des enquêtes. Encore un cas typique de manipulation de l’opinion.

Un trucage généralisé

Le cas de l’Ifop n’est pas isolé. En 2008, le groupe Bolloré a acheté la totalité de l’institut de sondage CSA, autre grand fournisseur pour les médias. Sur BFM, on trouve Bernard Sananès, un communiquant à la tête de l’institut Elabe, une autre machine à sonder. «De Vincent Bolloré à Stéphane Fouks en passant par Xavier Bertrand ou Manuel Valls», il «connaît le Tout-Paris depuis de longues, très longues années» écrivait le journal Les Échos. L’ami d’enfance de Sananès, Olivier Pardo, n’est autre que l’avocat d’Eric Zemmour.

Ce sondeur était d’ailleurs macroniste avant Macron : il a été responsable de la communication du groupe parlementaire centriste dès les années 1980, puis directeur chez Euro RSCG, entreprise devenue Havas : l’une des plus grandes boites de marketing et de communication du monde, possédée… par Bolloré.

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