Attaque dans un lycée à Nantes : un crime éco-fasciste ?


Le tueur admirait Hitler et a envoyé un manifeste contre «l’écocide» et la «mondialisation»


Des militaires armés de fusils d'assaut derrière du rubalise protègent un lycée où a eu lieu une tuerie à Nantes.

Effroi dans un lycée privé nantais ce jeudi 24 avril. Justin P., un élève en classe de seconde, âgé de 15 ans, habillé en noir et cagoulé, a poignardé quatre de ses camarades dans le lycée Notre-Dame-de-Toutes-Aides, situé à l’est de Nantes.

Une lycéenne qui connaissait l’agresseur est décédée, trois autres sont blessés dont un grièvement. L’adolescent, maîtrisé par le personnel, a demandé à un policier de lui «tirer une balle dans la tête» lors de son interpellation. Il a depuis été hospitalisé en unité psychiatrique. Le mode opératoire ressemble aux tueries de masse dans les établissements scolaires des USA, les armes à feu en moins : nihilisme et pulsion de mort, souffrance psychologique, attaque contre d’autres élèves, volonté de mourir dans l’opération…

Alors que le sang versé était encore chaud, des charognards d’extrême droite se sont précipité sur l’événement pour tenter d’en tirer profit. Jean Messiha, proche d’Eric Zemmour, tweetait que «la jeune ordure qui a poignardé plusieurs personnes à Nantes» serait «un jeune radicalisé d’extrême-gauche» et ajoutait : «extrême-gauche et racaille islamisée, même combat contre la France». Gauthier Bouchet, responsable du RN en Loire-Atlantique, pointait «l’idéologie antispéciste dont Nantes est un foyer». Bruno Retailleau, qui s’est rendu sur place, a déclaré : «On lutte pour qu’on ne déconstruise pas les repères et la hiérarchie». «Extrême-gauche», antispécisme et «déconstruction» seraient ainsi responsables de ce drame. Ce n’est pas du tout ce que disent les élèves.

Le tueur était un admirateur d’Hitler, selon plusieurs témoignages. Au micro de Clément Lanot, une lycéenne dit : «À plusieurs moments il a eu des propos nazis». Dans le Figaro, un de ses camarades de classe déclare «Il était réservé. Il partageait des idées bizarres, des idées nazies […] Il avait un ou deux amis mais n’était pas normal, ça se voyait dans sa façon de parler». D’autres le décrivent comme «fragile, dépressif». Sur TéléNantes, un autre élève emploie les mêmes mots : «Il était bizarre, il évoquait des idées nazies». Dans Ouest-France, un dernier dit : « Il nous envoyait des vidéos de suicide ».

Justin P. a envoyé, juste avant son attaque, un long texte de 13 pages, une sorte de manifeste politique. Ici aussi le mode opératoire évoque celui de tueries de masse commises dans le monde anglo-saxon, notamment par l’extrême droite. Dans ce document, il dénonce pêle-mêle «l’écocide», la «mondialisation», la perte de valeurs spirituelles et la «déconnexion totale du vivant». Sur la forme, le texte est parfaitement rédigé, structuré, détaillé, sans aucune faute et avec des concepts philosophiques. Il est hautement improbable qu’un jeune en classe de seconde ait pu l’écrire seul ou sans l’aide d’une Intelligence Artificielle.

Mais c’est le fond qui importe : tout laisse à penser qu’il s’agit d’idées éco-fascistes. Un courant méconnu, qui gagne du terrain ces dernières années. En effet, l’écologie n’est pas réservé à la gauche, et il existe depuis plus d’un siècle une extrême droite radicale qui prône elle aussi une forme d’écologie, mais à la sauce fasciste. Il s’agit d’une écologie anti-humaniste et misanthrope, contre les idées des Lumières et le progrès, essentialisant la nature, célébrant les «traditions» contre la «modernité», et souvent teintée de racisme.

Quand l’écologie politique émerge au début du XXème siècle, on la trouve des deux côtés du spectre politique. Chez les anarchistes, par exemple le géographe Élisée Reclus, précurseur d’une écologie anticapitaliste et libertaire, et à l’extrême droite.

En Allemagne, les mouvements qui précèdent le nazisme revendiquent la défense de la nature. On les trouve dans le mouvement Volkish – «populaire» au sens ethnique, les mots peuple et race étant les mêmes en langue allemande – lors de la Révolution conservatrice. Ces courants sont la matrice idéologique du nazisme, exaltant les peuples nordiques, aryens et païens, qui seraient naturellement liés à l’Europe, comme étant supérieurs. Au sein du mouvement Volkish, les Wandervogel – «oiseau de passage» – sont des groupes de jeunes qui appellent à fuir le monde des adultes, à s’éloigner des villes et leur modernité pour vivre à la campagne, loin des industries, en faisant de la randonnée, en pratiquant le nudisme…

Officiellement «apolitique», il s’agit d’un mouvement écologiste réactionnaire, nationaliste et largement antisémite, reprenant le folklore germanique. Il sera, plus tard, intégré aux jeunesses hitlériennes. Une fois au pouvoir, Hitler se présentera lui-même comme un défenseur des animaux et de la nature, notamment via l’interdiction de l’abattage casher qualifié de «barbarie juive».

Durant le régime de Vichy, Pétain valorise aussi la campagne et la nature, avec cette citation : «La terre ne ment pas». L’extrême droite met en valeur l’enracinement, les traditions et la ruralité, vues comme positives, contre les «déracinés» des villes modernes industrielles aux mœurs décadentes. Sous-entendus, les juifs, les étrangers, les apatrides…

L’écologie bascule à gauche dans les années 1970, avec la vague hippie, les grandes luttes anticapitalistes qui défendent la nature, les revendications écologistes progressistes, qui s’accompagnent de revendications sur la liberté sexuelle et antimilitaristes notamment.

Mais «l’écologie» fasciste ne disparaît pas. On la trouve au sein de la «Nouvelle droite» dans les années 1980. Il s’agit d’un courant intellectuel réactionnaire et raciste, qui vise à contrer les idées de gauche après Mai 68. Ce mouvement romantise la nature, critique la modernité, et développe une écologie raciale : le peuple européen serait supérieur grâce à son environnement qui a forgé sa puissance. Comme chez les nazis, il y aurait un lien mystique entre les européens blancs et leur terre, un lien brisé par la modernité et la mondialisation qui a mélangé les populations. Cette pseudo-écologie est fondamentalement inégalitaire et patriarcale. Au sein de ce courant, on trouve aussi des misanthropes adeptes de la réduction de population, en particulier celle des pays du Sud.

Plus récemment, l’extrême droite a inventé le concept «d’écologie intégrale» qui s’appliquerait non seulement à la nature mais aux sociétés humaines : le féminisme, le droit à l’IVG, l’homosexualité ou les droits des personnes trans seraient «contre-nature». La biologie est appliquée aux populations, et les migrations sont présentées comme des espèces invasives qui menaceraient les espèces autochtones. Ainsi, ces dernières années, une écologie de droite progresse dans les discours médiatiques et politiques, rejetant la modernité pour glorifier un passé mythifié.

Qu’il en soit l’auteur ou qu’il ait recyclé des propos lus ailleurs, le manifeste de Justin P. s’inscrit dans cette tradition éco-fasciste bien d’avantage qu’à gauche, contrairement à ce qu’affirme l’extrême droite. Enfin cette affaire, comme d’autres avant elle, pose surtout la question de l’insuffisance béante de la prise en charge des souffrances psychologiques en France, alors que celles-ci explosent, notamment chez les jeunes.


Pour aller plus loin : Écofascismes, Antoine Dubiau, Grevis, 2022.

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