La dissolution de la Jeune Garde est une attaque de plus contre le mouvement social, un cadeau de plus pour l’extrême droite.

Ces dernières semaines, un fidèle musulman a été assassiné de 57 coups de couteau dans une mosquée du Gard. Un quarantenaire tunisien a été assassiné par son voisin raciste dans le Var : ce fan de Marine Le Pen, armé jusqu’aux dents, avait menacé son voisin Hichem avant de le tuer. À Alès, un bar fréquenté par des militants de gauche a été pris d’assaut par un commando néo-nazi qui a blessé 20 personnes. À Paris, la projection d’un film par un collectif internationaliste a été attaqué par un groupe d’extrême droite qui a poignardé un syndicaliste. Dans toute la France, des bars militants et lieux de culte musulmans sont vandalisés…
Non seulement cette flambée de violences fascistes n’est pas dénoncée par le gouvernement, mais elle est encouragée dans les mots et dans les actes. Pire, ce même gouvernement travaille activement à détruire ce qu’il reste de résistance à l’extrême droite.
Ce jeudi 12 juin le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, annonce la dissolution du mouvement La Jeune Garde, suite à un décret du Conseil des Ministres. Dans un tweet, il affirme «Ne rien laisser passer». Il a pourtant «laissé passer» un défilé néo-nazi au cœur de Paris le mois dernier. La Jeune Garde, collectif antifasciste fondé en 2018 à Lyon face à la recrudescence des agressions d’extrême droite dans la ville, et auquel appartient le député Insoumis Raphaël Arnault, est accusé de «provoquer à des agissements violents». Une «provocation» est par définition floue et sujette à interprétation. D’ailleurs, s’il fallait punir toutes les défenseurs d’Israël qui «provoquent» à la violence – bien réelle – sur les plateaux télé, il n’y aurait plus grand monde dans le petit écran.
Le 29 avril, à l’Assemblée Nationale, Bruno Retailleau annonçait son intention de dissoudre la Jeune Garde, l’un des principaux collectifs antifascistes de ce pays. «Je veux vous confirmer que dans quelques heures, la procédure contre la Jeune Garde qui doit amener, je l’espère, à cette dissolution, sera engagée» répondait-il au député RN Sébastien Chenu. Ce 12 juin, le ministre vient donc littéralement d’exaucer une demande de l’extrême droite.
Entre l’annonce de dissolution de la Jeune Garde et le décret pris aujourd’hui, Retailleau a été élu à la tête des Républicains, il a reçu le soutien du milliardaire fasciste Stérin, il multiplie les annonces martiales et racistes, et entend bien mener une «union des droites» – c’est-à-dire une grande coalition néofasciste – pour gagner la prochaine présidentielle.
Il y a encore 20 ans, l’antifascisme était une valeur commune non seulement à gauche, mais dans la majorité du spectre politique : ne pas être antifasciste, c’était être fasciste, cela tombait sous le sens. C’est un véritable effondrement moral et politique qui a lieu : désormais, c’est s’opposer à l’extrême droite qui est criminalisé.
La Jeune Garde annonce saisir le Conseil d’État, la plus haute juridiction, pour faire casser la décision de dissolution. Mais cela peut prendre des mois. Et si le décret du gouvernement est validé, cela créera un précédent gravissime : quiconque s’opposera concrètement à l’extrême droite aura une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Il s’agit d’un coup de plus contre l’antifascisme : en 2022, c’est le Groupe Antifasciste Lyon et Environs qui était dissout en Conseil des Ministre. C’était le premier collectif antifa visé par une telle procédure. Selon l’État, le groupe avait «légitimé» des actions «par un discours idéologique dirigé contre la violence et le racisme d’État», s’était réjouit de la dégradation d’un local néo-nazi à Lyon sur sa page Facebook, et aurait publié des «incitations» à des violences. Ce qui était jadis considéré comme de une liberté d’expression fondamentale expose désormais à une répression implacable.
En 2024, le Conseil d’État jugeait cette dissolution «adaptée, nécessaire et proportionnée à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public». Un scandale, qui permet désormais au gouvernement d’attaquer d’autres collectifs plus connus. Sera-t-il bientôt interdit de critiquer l’extrême droite ? Quoiqu’il en soit, à Lyon, il y a toujours autant de fascistes, mais les deux collectifs qui s’y opposaient sont désormais interdit. Le message envoyé est glaçant.
Pour finir, cette dissolution de la Jeune Garde est un renversement historique. Une dissolution est, en principe, une mesure exceptionnelle visant l’extrême droite. Les «dissolutions administratives» apparaissent dans les années 1930 dans un contexte de montée du fascisme dans toute l’Europe. L’extrême droite française ne cache pas son intention de renverser la République, et le 6 février 1934 des Ligues Fascistes attaquent le Parlement. L’émeute fait plusieurs morts.
Pour se «protéger» de cette menace d’extrême droite, la République se dote donc de cet outil qui permet de démanteler un groupe ou une association de façon extrajudiciaire. On le sait désormais, les dissolutions sont totalement inefficaces pour contrer la montée de l’extrême droite, mais elles sont très dangereuses pour nos libertés.
Un siècle plus tard, cette procédure initialement destinée à «lutter contre le fascisme» est appliqué contre l’antifascisme, par un retournement vertigineux. Tout a changé en 2021 quand Darmanin a fait voter la «Loi séparatisme». Cette loi était un recul majeur pour les libertés publiques et une attaque frontale contre les droits associatifs. Elle permet de dissoudre non pas les associations qui «menaceraient la République» ou qui seraient des «milices de combat» comme c’était le cas en 1936, mais tout groupement «incitant à la violence contre les biens et les personnes». Visant d’abord les collectifs musulmans et pro-palestiniens, les dissolutions frappent désormais de plus en plus de groupes militants.
Et demain, des partis d’opposition ou des syndicats ? La droite appelle régulièrement à dissoudre la France Insoumise et le NPA. Et qui nous dit qu’à l’avenir, si la CGT appelle à la grève ou au blocage, elle ne sera pas, à son tour, accusée de «provocations» à la violence ? C’est la possibilité même de s’organiser collectivement et de s’opposer au pouvoir qui est menacée.
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