Après le bagne en Guyane et les locations de cellules à l’étranger : des EHPAD transformés en prisons

Des personnes  âgées dans un Ehpad : bientôt remplacées par une prison ?

Cette idée pourrait être sortie du Gorafi, d’un épisode de South Park ou d’un discours de Trump sous amphétamine. Transformer les maisons de retraites en prisons pour «lutter contre la surpopulation carcérale». C’est pourtant la déclaration bien réelle de Gérald Darmanin, désormais Ministre de la Justice sur RTL ce lundi 30 juin : «Je suis en train de regarder en ce moment des Ehpad qui sont fermés, que je pourrais modifier pour pouvoir très rapidement y mettre des détenus».

On critique souvent les USA pour la déliquescence de sa classe politique, mais comme souvent les dirigeants français sont bien placés sur le podium de l’abrutissement mondial des élites. Après l’idée d’une prison géante en Guyane façon retour du bagne, puis l’exportation de prisonniers à l’étranger ou encore la proposition de maisons de correction pour enfants à Mayotte, Gérald Darmanin rêve maintenant de transformer des maisons de retraite en Ehpad.

Darmanin plaide pour des prisons «à taille humaine pour ceux qui ne représentent pas de dangerosité pour l’extérieur», en aménageant les maisons de retraites désaffectées. Pourtant, avec l’afflux de personnes âgées, il ne va pas rester beaucoup d’Ehpad vacants. Prochaines propositions : transformer les crèches désertées et les bureaux de poste fermés par le gouvernement en cellules ? Ce serait plus crédible.

Des idées formidables

Le ministre n’en est pas à son coup d’essai. Lors d’un déplacement en Guyane au mois de mai, Darmanin avait offert un scoop au JDD, le journal de Bolloré : créer un quartier de haute sécurité dans une prison en projet dans ce département situé de l’autre côté de l’Atlantique. L’objectif ? «Mettre hors d’état de nuire les profils les plus dangereux du narcotrafic» et «islamistes/radicalisés» condamnés pour terrorisme, au milieu de la forêt amazonienne.

Les habitant-es de ce grand territoire, souvent abandonné-es par le pouvoir métropolitain, ont été ravi-es d’apprendre que la France implante chez eux des mines d’or destructrices de l’environnement et un bagne 2.0. Des projets d’avenir. Les élus locaux rappellent que l’unique prison de Guyane comprend actuellement 1080 détenus pour 616 places, et que le projet en cours a pour but de résorber cette surpopulation plutôt que de faire de la com’.

Mais derrière l’annonce de Darmanin, il s’agissait surtout d’un énorme clin d’œil à l’extrême droite qui passe son temps à fantasmer sur un retour du bagne. On pense à Ciotti qui appelle à un «Guantánamo à la française» ou à Wauquiez, qui veut des camps pour migrants à Saint-Pierre-et-Miquelon. Tout un imaginaire colonial et répressif.

Dès 2022, à Mayotte, Darmanin plaidait pour des «lieux encadrés par des militaires, qui sont des lieux de rééducation, de redressement d’une partie des enfants, des adolescents très jeunes». Là aussi, le retour des bagnes pour enfants avec des soldats pour surveiller, comme au 19ème siècle.

Autre coup de com’ : fin janvier 2025, le garde des sceaux annonçait la création d’une «super prison» pour «super délinquants», où seraient parqués les «100 plus gros narcotrafiquants» dans le Nord de la France. Riche idée à 4 millions d’euros, à rebours total de toutes les études qui ont démontré l’inefficacité de ces enfermements renforcés.

Enfin, en mai, Emmanuel Macron avait appelé à «louer des places de prison à l’étranger». Un projet confirmé par Darmanin ce lundi, qui explique qu’il «est en train d’être appliquée» et que «plusieurs propositions ont été faites» à des pays voisins tels que l’Espagne pour «louer quelques centaines voire milliers de places de prison à la frontière», ou encore à l’Allemagne. En France, les néolibéraux délocalisent tout, même l’emprisonnement. Eux qui parlent de «souveraineté» en sont rendus à sous-traiter leur politique carcérale à l’étranger.

Fuite en avant

Et toutes ces idées absurdes pour quel résultat ? Aucun, sinon une fuite en avant répressive. En 2025, un triste record a été battu : celui du nombre de personnes détenues en France. Au 1er février 2025, les enfermés étaient 81.599. Le seuil des 80.000 a été franchi, et ce nombre ne fait que grossir. Parmi les prisonnier-es, 21.631 ne sont que des prévenu-es, c’est-à-dire des personnes en attente de leur jugement. Les prisons françaises se trouvent à 130,8% de taux d’occupation. Ce taux grimpe même à 200% dans certains établissements, et près de 4.500 personnes se retrouvent à dormir sur le sol.

Chaque année, plusieurs dizaines de personnes détenues se suicident derrière les barreaux – 149 en 2023. Le taux de suicide est 6 fois plus élevé chez les personnes enfermées qu’à l’extérieur, et la France compte l’un des taux les plus élevés d’Europe.

Si l’on s’en tient aux chiffres, la justice est de plus en plus sévère. Entre 2004 et 2016, le nombre de condamnations prononcées à l’encontre de personnes majeures pour des délits a augmenté de 17%. Le volume d’emprisonnement ferme a augmenté de 32%. En 2017, la durée moyenne de peines de prison ferme était de 8,5 mois, elle était en 2022 de 10 mois. Aucun autre pays européen n’a connu un tel durcissement, et ce sans corrélation avec une éventuelle hausse des infractions…

En effet, en France, le nombre d’homicide a presque été divisé par 3 depuis les années 1980. Contrairement à ce que répètent les médias, le pays est beaucoup plus sûr qu’il y a 40 ans, la fameuse époque dont on nous dit constamment que «c’était mieux avant».

Mais face aux propositions lunaires de Darmanin, aucun journaliste n’est capable d’évoquer ces chiffres, ni de rappeler que toutes les études sérieuses montrent que construire des places de prison, ça ne sert qu’à enfermer plus de gens et pas à faire baisser la surpopulation carcérale. L’histoire l’a montré : plus on fabrique de lieux d’enfermement, plus on enferme. C’est ce que montre l’observatoire des prisons : «Plus on construit, plus on enferme, sans aucun rapport avec les courbes de la criminalité et de la démographie». Entre 1990 et 2024, 25.152 nouvelles places ont vu le jour, et le nombre de personnes enfermées a augmenté de 30.477.

De fait, la France s’aligne tranquillement sur les USA, pays qui compte le plus de détenus au monde – 25% de toutes les personnes enfermées dans le monde le sont dans la «première puissance mondiale» – et où un-e prisonnier-e sur trois est noir-e.

À ceux qui invoquent «l’insécurité» pour justifier la taule : la prison ne règle rien. Les USA sont à la fois le pays champion de l’incarcération et celui des fusillades de masse, des taux d’homicides et de violence parmi les plus élevés au monde. Une société ultra-libérale et inégalitaire ne peut pas, par définition, garantir la «sécurité» de ses habitants et habitantes, même en enfermant à tour de bras.

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