La France est-elle devenue un spectacle des Guignols de l’Info dans le monde réel ? C’est la question qu’on peut se poser à la lecture d’un entretien de François Bayrou paru le 23 août dans le journal Le Parisien.

«Mais heuuuu !» : c’était l’expression fétiche, criée avec une voix niaise et un accent béarnais, de la marionnette de François Bayrou aux Guignols de l’Info. À chaque fois, son apparition à la télévision provoquait un fou rire dans le public. Les lecteurs et lectrices de plus de 30 ans se rappellent que l’actuel Premier ministre était une star de l’émission satirique de Canal+ : sa grosse tête aux grandes oreilles et aux yeux rapprochés était l’incarnation du type tiède et stupide. À la longue, le personnage des Guignols était devenu plus connu que le vrai politicien lui-même. Et l’émission avait tellement ridiculisé Bayrou qu’elle avait compromis son ascension politique, car personne ne le prenait au sérieux, même les enfants se moquaient de lui.
Nous sommes en 2025, les Guignols de l’Info ont été supprimés depuis longtemps par Bolloré, et Bayrou dirige le gouvernement français. Alors que la rentrée s’annonce bouillante, il donne une interview pour attaquer le mouvement social prévu le 10 septembre : un entretien en forme de provocation.
Il faut imaginer la scène : les journalistes du Parisien ont été reçus à Matignon par un type qui fait littéralement le guignol. Bayrou a déclaré en rigolant à propos de la colère populaire : «Le pays est devant de grands risques, tiens, nous allons le bloquer ! Comment défendre ça ?» On se marre. Comme si les gens faisaient grève, bloquaient, prenaient des risques face à la répression pour s’amuser. Bayrou est-il au courant que le niveau de pauvreté vient de battre un nouveau record, que la mortalité infantile augmente, que le taux de sans abris explose ? Et qu’il en est largement responsable ?
Le Premier ministre a poursuivi dans le même registre d’humoriste raté : «C’est comme dans le film Astérix et Obélix : mission Cléopâtre : ‘Pas content ! Pas content !’» Le Parisien explique qu’en prononçant cette phrase, Bayrou a même «mimé la scène». Il faut donc imaginer ce politicien ventru dans un somptueux palais lever le point en singeant des manifestants qu’il méprise.
Le journal explique aussi que le chef du gouvernement les a reçus avec un «dessin que l’illustrateur Xavier Gorce lui a dédicacé» sur son bureau. Gorce, dessinateur nullissime qui griffonne des pingouins avec quelques mots de légende à côté, a officié pendant des années au Monde. Pendant les Gilets jaunes, il dessinait ses pingouins avec le gilet fluo et les traitant «d’abrutis» voire de nazis. Il fini par être mis à la retraite après un dessin se moquant des victimes d’inceste.
Depuis, sur Twitter, Xavier Gorce multiplie les post de soutien à Israël, et répète que le peuple palestinien n’existe pas, sur la même ligne que les plus radicaux des génocidaires. Le macronisme aime le dessin de presse quand il est aligné sur son idéologie, le reste du temps, il le censure. Gorce est une incarnation chimiquement pure du pouvoir actuel : boomer incompétent et médiocre, imbu de lui-même, ayant accédé à de hautes fonctions sans aucun mérite, et persuadé d’être dans « le camp de la raison » alors qu’il se vautre dans l’abjection.
Revenons à Bayrou, qui ne nous fait déjà plus rire du tout. Il explique tranquillement au Parisien, à propos des retours qu’il a reçu suite à son annonce budgétaire : «Ce qu’on entend le plus souvent : ‘Des efforts oui, mais pas pour moi, les immigrés, les riches, c’est eux qu’il faut faire payer’». On savait que le macronisme mettait sur le même plan les fascistes et les antifascistes, mais il met désormais un signe égal entre les immigrés, l’une des catégories de population les plus démunies et discriminées, et les riches. Comme si les fortunés étaient eux aussi victimes d’un «racisme» à leur égard. C’est non seulement abject, mais c’est une façon de faire oublier que, d’un côté, le gouvernement Macron multiplie les mesures les plus violentes contre les immigrés et leurs descendants quand, d’un autre, il fait les cadeaux les plus indécents aux possédants.
Bayrou poursuit, dans son monde parallèle : selon lui, «seule l’adhésion des Français peut changer les choses». Quelle adhésion ? Il est déjà le Premier ministre le plus détesté de l’histoire, et comment pourrait-il en être autrement ? Le 15 juillet, dans un discours scandaleux, il avait notamment exigé un «effort» aux personnes gravement malades pour réduire la dette : «Trop de médicaments sont consommés». Il a aussi annoncé la suppression de deux jours fériés, des coups de canif dans les services publics et appelé à travailler plus, pour «économiser» 44 milliards d’euros. Le tout sans toucher à l’argent des ultra-riches et en augmentant le budget de la police et de l’armée. Quelle personne dotée de bon sens pourrait décemment «adhérer» à cela ?
Prenons la suppression de deux jours fériés : celle-ci rapporterait 4,5 milliards d’euros par an à l’État. Selon un rapport de France Stratégie, la suppression de l’Impôt sur la Fortune – ISF – a causé un manque à gagner de 4,5 milliards d’euros. Il faut donc faire travailler tous les français gratuitement deux jours uniquement pour COMPENSER un cadeau indécent fait par Macron aux privilégiés !
De même, l’Observatoire français des conjonctures économique estime, dans un rapport qui vient de paraître, que la dette «n’est pas attribuable à une augmentation plus marquée des dépenses publiques (…), mais plutôt à une diminution significative des recettes publiques». Traduction : la fameuse dette utilisée comme argument pour nous imposer les pires sévices n’est due qu’aux cadeaux fiscaux aux plus riches réalisés ces dernières années.
Bayrou a décidément raté une carrière de clown. Proche de Macron dès le début de son ascension, il a été son éphémère ministre de la justice après l’élection de 2017, et avait annoncé une «grande» réforme de «moralisation»… avant d’être visé par une procédure judiciaire pour abus de confiance, recel d’abus de confiance et escroqueries concernant des soupçons d’emplois fictifs. Un épisode qui aurait fait rire aux Guignols de l’Info. Depuis un an, ce catholique qui prétend défendre les grandes valeurs de la famille est embourbé dans l’indéfendable scandale Bétharram : il a couvert pendant des années un réseau pédocriminel dans sa commune, sous les yeux de sa propre compagne, enseignante dans l’établissement privé où les enfants étaient victimes.
Bayrou c’est un peu la dernière cartouche de Macron. C’est son fidèle toutou qui n’avait jamais réussi à gravir les plus hautes marches, l’éternel second rôle de la politique, qui rêve depuis toujours d’être nommé Premier Ministre. Bayrou, c’est celui qui ne peut rien refuser à Macron. S’il donne cette interview hargneuse, c’est sans doute parce qu’il sait que ses jours sont déjà comptés et qu’il ne passera sans doute pas l’année.
Dans l’interview, il tente finalement de prendre des accents tragiques : «C’est la chute de la falaise ou le chemin pour s’en sortir», plaidant pour «une rentrée à la hauteur de l’Histoire». Sur le coup, il a raison : le seul moyen que cette rentrée marque effectivement l’Histoire, c’est par un grand soulèvement populaire qui fera tomber son gouvernement.
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