Fuite en avant autoritaire et répression en Belgique


Chez nos voisins belges aussi, la classe dirigeante se radicalise et la situation se tend. Tour d’horizon d’une situation où l’étau se ressert.


Des policiers en tenue anti-émeute prêts pour la répression et l'autoritarisme en Belgique.

Un arsenal répressif qui se durcit

Depuis le début de l’année, c’est la coalition «Arizona», qui ratisse du centre à l’extrême droite en passant par la droite nationaliste et libérale, qui gouverne en Belgique. Outre les offensives anti-sociales qui ont déclenché des manifestations d’une rare ampleur en début d’année (une nouvelle grande manifestation est d’ailleurs prévue le 14 octobre prochain à Bruxelles), cette coalition gouvernementale a également amorcé une politique liberticide et répressive.

Fin juillet, Bernard Quintin, ministre de la sécurité et de l’intérieur du parti Mouvement Réformateur, soutenu par le premier ministre Bart De Wever du parti N-VA («Nouvelle Alliance Flamande») dans une alliance des droites conservatrices, a proposé un avant-projet de loi qui a été adopté. Il s’agit de faciliter la répression de toute organisation «encourageant la violence», particulièrement les mobilisations contre le génocide qui se déroule en Palestine, comme l’organisation Samidoun. L’objectif de cette loi est de permettre l’interdiction ou la dissolution de toute organisation suspectée de participation directe ou de soutien (logistique, matériel ou financier) à «des actes de violences, de sabotage, d’attentats terroristes ou de crimes contre l’humanité».

Nos voisin-nes belges suivent ainsi «l’exemple» français, dont le Code de la sécurité intérieure s’était enrichi dès 1936 d’un article permettant la dissolution administrative d’associations ou d’organisations incitant à la haine, à la violence et au terrorisme. Paradoxalement, c’était le gouvernement du Front Populaire de l’époque qui avait fait adopter cet article dans l’objectif de lutter contre les milices d’extrême-droite qui menaçaient alors…

En 2015, dans le contexte des attentats et de l’état d’urgence, le champ d’application de cet article s’étend considérablement, jusqu’à intégrer le droit commun en 2021 avec la loi dite «loi séparatisme», ouvrant ainsi la porte aux dérives autoritaires que l’on connaît depuis : tout groupement «provoquant à des violences contre des personnes ou des biens» peut être dissoute. La définition est volontairement floue, et peut désormais frapper n’importe quel collectif d’opposition au pouvoir.

C’est ainsi que, début 2023, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin avait annoncé la dissolution de notre média – annonce restée sans suite… Plus récemment, au printemps dernier, ce sont les organisations Urgence Palestine et Jeune Garde qui ont fait les frais de ce dispositif coercitif de la part du premier flic de France, Bruno Retailleau.

En Belgique, ce projet de loi doit encore passer par le Conseil d’État (dont l’avis n’est pas contraignant) puis être voté au Parlement. Il fait suite à la publication du rapport annuel 2024 de l’OCAM (Organe de Coordination pour l’Analyse de la Menace), censé évalué la «menace terroriste et extrémiste» en Belgique. Lors de l’annonce de ce projet de loi, Bart De Wever avait explicitement mentionné des organisations tels que Stop Arming Israel et le groupe écologiste Code Rouge, dont nous avions documentés certaines actions particulièrement inspirantes…

Mais que dit ce rapport de l’OCAM ? Ce dernier précise dès son édito que «les milieux extrémistes de gauche se sont montrés plus actifs en 2024, principalement suite à la guerre à Gaza, provoquant des incidents mineurs, mais sans actes de violence à proprement parler». Un peu plus loin, il est mentionné que «le nombre de menace émanant de l’extrémisme de gauche est resté très faible en 2024». On commence à prendre peur dans le (court) paragraphe qui décrit la menace émanant de l’extrémisme de gauche : «Des infiltrations de certaines manifestations étudiantes ont également eu lieu, ainsi que des incidents mineurs tels que des tags et autres actes de vandalisme»…

Le simple fait que des graffitis soient qualifiés de «menace d’extrémisme de gauche» prête à sourire, mais pour les réactionnaires tels que Bart De Wever, l’ampleur réelle de la «menace» importe peu : l’objectif est évidemment d’instrumentaliser ce rapport pour poursuivre sa dérive autoritaire à l’encontre des mouvements opposés à sa politique réactionnaire et xénophobe, quitte à s’appuyer sur des occupations d’entreprises et quelques graffitis pour modifier la loi en renforçant l’appareil répressif.

Une illustration supplémentaire suite à une action de blocage en mars 2024 devant la société OIP (Optique et Instruments de Précision), une filiale de ELBIT Systems Ltd, l’entreprise clé dans la fourniture d’arme au régime génocidaire israélien. Un procès est actuellement en cours et doit durer jusqu’au mois de février 2026 : sept activistes accusé-es d’avoir participé au blocage risquent de lourdes condamnations financières, les dommages et intérêts pouvant s’élever à plusieurs dizaines de milliers d’euros… pour le simple fait d’avoir bloqué une entreprise pendant quelques heures et de rappeler que la machine génocidaire israélienne est alimentée par des industries qui se trouvent sur le sol européen.

Samidoun et les mouvements de soutien à la Palestine : des cibles privilégiées

Dernier exemple en date de cette dérive : le cas de Mohammed Khatib, coordinateur européen de Samidoun, un réseau de solidarité internationale dont l’objectif est de lutter pour la libération des prisonnier-es politiques palestinien-nes et de soutenir la résistance palestinienne. Samidoun est dans le viseur du gouvernement belge depuis un moment, qui aimerait bien dissoudre cette organisation, beaucoup trop véhémente à son goût.

De fait, Mohammed participe activement à la mobilisation de soutien à la Palestine depuis 2 ans, en participant et en coordonnant des événements, en prenant la parole publiquement et en se réunissant inlassablement chaque soir sur la Place de la Bourse à Bruxelles pour rappeler la tragédie qui se joue à Gaza et en Cisjordanie, et ce malgré les pressions, les intimidations et les violences policières. Il avait d’ailleurs été interpelé en avril dernier à l’issue d’un de ces rassemblements, et détenu pendant une nuit entière sans pouvoir s’entretenir avec son avocat.

Voilà plus d’un an, Nicole De Moor du parti CD&V (démocrate-chrétien), qui était alors la secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, avait fait pression sur le Commissariat Général aux Réfugiés et Apatrides (CGRA) pour demander une révision du statut de réfugié de Mohammed Khatib, une première en Belgique. Puis, c’est Theo Francken, fasciste notoire et actuel ministre de la Défense et du commerce extérieur, qui avait appelé à ce que chaque membre de Samidoun soit déchu de son statut de réfugié.

Après de long mois d’attente, c’est au début du mois d’août que Mohammed Khatib apprenait que son statut de réfugié lui avait été retiré ! Il a depuis fait appel de cette décision et patiente anxieusement jusqu’au verdict…

Le gouvernement belge accuse Mohammed Khatib de faire l’apologie du terrorisme (un délit pénal en Belgique) alors même que ce dernier n’a jamais été jugé pour cette infraction. Cette affaire illustre la motivation réelle du gouvernement belge, en particulier de certain-es ministres, à faire taire les voix de la résistance palestinienne face au génocide en cours à Gaza et à la colonisation à marche forcée en Cisjordanie, et ce sans même s’appuyer sur une décision de justice censée garantir les droits des personnes. Cela crée un précédent qui donne le ton de la politique répressive : chaque personne réfugiée en Belgique qui s’exprime publiquement est désormais à risque de perdre son statut de réfugiée, et donc de se retrouver sans statut légal dans son pays d’accueil.

On peut également se demander si le gouvernement belge a pour intention de prononcer la dissolution des Nations Unies. On le rappelle, l’ONU a adopté plusieurs résolutions dès les années 1970 et 80 rappelant le droit des peuples colonisés à «lutter par tous les moyens, y compris la lutte armée», contre les régimes colonisateurs qui les asservissent et les exploitent…

La Belgique, à l’instar de beaucoup de pays européens dirigés par des gouvernements à tendance conservatrice et nationaliste, continue ainsi d’accroître et de diversifier son arsenal répressif contre les mouvements d’opposition en criminalisant les militant-es et les organisations qui soutiennent et organisent la résistance. Cette répression, qui s’abat aujourd’hui sur les militant-es de la cause palestinienne, nous concernera toutes et tous demain.5

AIDEZ CONTRE ATTAQUE

Depuis 2012, nous vous offrons une information de qualité, libre et gratuite. Pour continuer ce travail essentiel nous avons besoin de votre aide.

Faites un don à Contre Attaque, chaque euro compte.