Un autre pays d’Amérique Latine bascule dans le camp de l’internationale néofasciste : le Chili renoue avec Pinochet.

Il y a 6 ans, le Chili éblouissait le monde. C’était durant l’automne 2019 : une immense révolte sociale avait failli renverser le régime et inaugurer une nouvelle ère. Un mouvement de protestation contre la hausse du prix des tickets de métro éclatait à Santiago, la capitale chilienne. Le gouvernement réprimait brutalement la contestation, mais cette violence avait provoqué une véritable insurrection : émeutes étudiantes, villes couvertes de barricades, syndicats qui organisaient la grève générale, manifestants par millions dans les rues. Une ambiance révolutionnaire.
6 ans ont passé. Le 14 décembre 2025, c’est un candidat d’extrême droite, fils d’un ancien soldat nazi ayant émigré au Chili, qui vient de gagner les élections présidentielles haut la main. Antonio Kast triomphait ce dimanche dans un quartier riche de Santiago, entouré d’une foule de soutiens, cumulant près de 60% des voix face à son adversaire, une «communiste modérée», qui a reconnu sa défaite le soir même. Le président en place, de centre gauche, s’est empressé de féliciter le gagnant d’extrême droite, et a appelé à «la meilleure transition possible». Kast a de son côté tenu un discours d’apaisement. Mais la catastrophe électorale annoncée a bien eu lieu.
Le nouvel homme fort du pays est un catholique traditionaliste, père de neuf enfants, ennemi des droits des femmes et des étrangers. C’est un nostalgique de la dictature militaire de Pinochet et de son programme autoritaire et ultra-libéral. Il entrera au palais présidentiel le 11 mars 2026, sans coup de feu. Ce palais, surnommé «La moneda», a connu d’autres tragédies : c’est ici qu’en 1973, l’armée avait réalisé un coup d’État contre le gouvernement de gauche de Salvador Allende.
À l’époque Pinochet, soutenu par les USA, avait exterminé les groupes révolutionnaires, interdit les mouvements de gauche, et appliqué un programme capitaliste ultra-violent et autoritaire pendant 17 ans. C’est dans ce palais que Salvador Allende s’était suicidé après avoir tenté, en vain, de partager les richesses et de nationaliser de grands groupes privés. Avec José Antonio Kast, l’histoire bégaie. Pinochet a quitté le pouvoir en 1990. 36 ans plus tard, son héritier va revenir à la tête du pays.
Lors du premier tour des élections, il y a un mois, les résultats étaient déjà désespérés : la candidate de la coalition de gauche au pouvoir, Jeanette Jara, arrivait en tête mais avec un résultat plus bas qu’annoncé : 26% des voix seulement, avec une faible réserve pour le second tour. Face à elle, le champion de l’extrême droite cumulait 24% des votes, et avait derrière lui des candidats de droite et d’extrême droite réalisant de gros scores, ce qui lui ouvrait mécaniquement les portes de la victoire.
Mais comment a-t-on pu basculer d’une situation révolutionnaire à ce recul massif en quelques années ? En 2019, le mouvement avait pourtant arraché de nombreuses concessions, notamment des augmentations de salaires, des protections sociales et un système de santé public qui avaient été détruits durant la dictature de Pinochet. Le mouvement obtenait aussi une réécriture de la Constitution du pays par une Assemblée Constituante. Pour la première fois depuis longtemps, une mobilisation de rue semblait toute proche de se transformer en révolution. Mais le mouvement a vite été canalisé par un processus institutionnel qui a douché les espoirs.
Gabriel Boric, jeune candidat de gauche, était élu en 2022 avec un programme de rupture. Premier échec en septembre 2022 : un référendum rejetait largement le projet de nouvelle Constitution qui proposait de nouveaux droits sociaux et politiques. Une intense campagne des médias de droite et des lobbys néolibéraux, ainsi qu’un gouvernement de gauche trop timoré ont provoqué cet enlisement. La Constitution de Pinochet était donc restée en vigueur. Cette défaite a entraîné de nouvelles émeutes dans les rues, et des manifestations étudiantes fortement réprimées. En prime, l’inflation a explosé au Chili comme dans le reste du monde depuis la guerre en Ukraine.
Surtout, le gouvernement de Gabriel Boric a déçu : il avait promis de grands changements et de barrer la route au fascisme. À la fin de son mandat, c’est le résultat inverse. Alors qu’il était porté par un grand mouvement social, le dirigeant s’est enfermé dans une stratégie «responsable» et institutionnelle, un peu comme le PS en France. Boric a reculé sur les réformes les plus importantes, il s’est aligné sur le programme sécuritaire de la droite, il a déployé l’armée dans le sud du pays contre le peuple Mapuche, et il a même fait passer une loi intitulée Nain-Retamal, qui favorise l’impunité des policiers.
Pour compenser, quelques avancées sociales ont tout de même été obtenues : le temps de travail a été diminué. Mais à chaque progrès, Boric a fait des concessions au patronat, par exemple en flexibilisant le travail. Il a augmenté les retraites, mais a renforcé le système de pensions privées. Un «en même temps» très loin des attentes du soulèvement de 2019.
La campagne électorale a peu parlé de questions sociales, mais a été monopolisée par les discours sur l’insécurité. José Antonio Kast a axé tous ses discours sur la promesse d’expulsions massives, la construction d’un mur à la frontière, une hausse de la puissance de feu de la police et le déploiement de l’armée dans les zones indigènes et les villes considérées comme criminogènes. Il vient d’annoncer un «gouvernement d’urgence». Bref, le modèle trumpiste qui triomphe un peu partout.
Jeannette Jara, militante issue des rangs communistes, aurait pu porter un discours de rupture, et opposer à ce candidat une ligne frontale. Elle a choisi l’option sociale-démocrate : elle s’est alliée avec des partis de centre-gauche et modérés, elle a adopté les accents répressifs de ses ennemis, en déclarant qu’elle n’a «aucun complexe en matière de sécurité» et en proposant un «contrôle migratoire renforcé». En France comme au Chili, quand la gauche aligne ses idées sur celles de la droite et joue la carte de la respectabilité, c’est tout l’échiquier qui se radicalise du côté réactionnaire.
Avec le basculement du Chili à l’extrême droite, des lendemains difficiles s’annoncent pour les pauvres, les opposants, les femmes et les immigrés dans ce pays. Mais c’est surtout un État d’Amérique du Sud de plus qui rejoint le camp de l’internationale néofasciste. Avec Milei en Argentine, le Chili va lui aussi s’aligner sur la politique néocoloniale de Trump, qui ne cache pas son intention de mettre tout le continent sous sa tutelle, et d’attaquer le Venezuela.
La situation du Chili nous rappelle que les révolutions manquées ouvrent la voie aux fascistes, et que les reniements de la gauche promettent les défaites les plus terribles, à Santiago comme à Paris.
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