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Après la Shoah, Hannah Arendt développait le concept de banalité du mal. La capacité d’hommes ordinaires à valider et à appliquer les consignes les plus terribles, à commettre les actes les plus cruels, par exemple exterminer un peuple entier de façon froide et méthodique. En 2025, dans le confort ouaté des plateaux de télévision français, on commente avec gourmandise la perspective d’un nettoyage ethnique d’une ampleur sans précédent depuis la seconde guerre mondiale.
N’importe quel être humain ayant encore un peu de sens commun et d’humanité est horrifié après les annonce de Trump, qui propose d’expulser l’intégralité des survivant-es de Gaza et de bâtir un complexe touristique sur les montagnes de ruines et de cadavres. Mais pas les chaînes de télévision françaises, qui trouvent ça plutôt sympa. Trois nouveaux exemples de la banalité du mal au sein des médias de notre pays.
France Info
Séquence ahurissante le 5 janvier sur la chaîne de service publique. Les présentateurs auraient pu inviter des historiens, des experts en géopolitique ou, soyons audacieux, donner la parole à des palestinien-nes pour démontrer l’horreur des annonces de Trump. Mais non. France Info a décidé d’inviter en direct le président de l’Union des industries de l’hôtellerie. Ce n’est pas une blague.
Un journaliste lui demande : «La bande de Gaza en Riviera, est-ce que ça a du sens pour le professionnel du tourisme que vous êtes ? La bande de Gaza a des atouts on l’a déjà dit…» La question en elle-même est d’une indécence stratosphérique.
Le représentant des hôteliers, pas du tout gêné, répond sur le même ton : «Déjà on peut être satisfait que le président Trump prenne l’exemple de la France, de la riviera, ça permet de rappeler qu’on est la première destination mondiale en terme de tourisme. Donc vous voyez, avant que Gaza devienne peut-être une French Riviera, il va y avoir un peu de travail. Et puis surtout, c’est la sécurité […] l’expression c’est que le touriste veut voyager safe». À l’entendre, on croirait qu’il s’agit d’un simple projet de Club Med’, et pas de la déportation de tout un peuple.
Il n’y a rien à attendre de France Info, qui diffuse avec l’argent public un flux continu d’intox réactionnaires et de propagande génocidaire. En novembre, la directrice de France Info, Agnès Vahramian, partageait carrément une publication pro-Trump sur les réseaux sociaux avec son compte officiel, au moment de la proclamation des résultats électoraux aux USA.
TF1
Lors du JT sur la première chaîne, le plus regardé d’Europe, le présentateur Gilles Bouleau s’interroge très sérieusement : «Est-ce une folie ou une idée révolutionnaire qui pourrait changer le cours de l’histoire ? Donald Trump veut donc que les États-Unis s’emparent de la bande de Gaza […] il souhaite transformer ce territoire surpeuplé en riviera paisible et prospère, mais auparavant il faudrait déplacer toute la population civile vers d’autres pays».
Chaque mot est sidérant. L’expulsion de Gaza après son anéantissement est présenté sous un jour positif : «idée révolutionnaire», pour créer un territoire «paisible et prospère». Essayez de transposer ces phrases à propos d’autres grands crimes contre l’humanité qui ont eu lieu par le passé : glaçant.
La déshumanisation absolue des palestinien-nes est tellement ancrée que le présentateur d’un JT regardé par plus de 5 millions de personnes peut dire des horreurs pareilles sans ciller. Les survivant-es de Gaza valent moins que des objets, moins que rien, ils n’ont aucun droit. C’est du racisme pur.
Les Échos
Opération d’inversion particulièrement perverse dans cet hebdomadaire économique de droite. Dans un article intitulé «Donald Trump veut prendre possession de Gaza à long terme et en éjecter les Palestiniens», ce média explique que le président des USA «a des projets immobiliers pour Gaza» et qu’il «assure que la Jordanie et l’Égypte finiront par accepter d’accueillir des colons palestiniens».
Le mot est lâché. Ce ne sont plus les israéliens qui colonisent, mais les palestiniens. Ce sont les femmes et les hommes chassé-es de leur terre qui sont désormais qualifié-es de « colons ». Le retournement du réel est affolant. Après avoir provoqué une polémique sur les réseaux sociaux, cet article a été discrètement modifié, avec le remplacement du mot «colons» par «réfugiés».
En janvier 2024 déjà, lorsque Netanyahou avait évoqué publiquement pour la première fois son souhait de vider Gaza de ses habitant-es, les médias avaient tout fait pour euphémiser la proposition. Ils avaient tenté de décrire ce projet génocidaire comme s’il était normal. Par exemple, BFM parlait de «l’émigration de palestiniens» et d’un projet «controversé».
France Info, déjà, se demandait même si «l’émigration volontaire de palestiniens» serait «réaliste». Un titre scandaleux : comment parler d’émigration «volontaire» pour un déplacement de population forcé, sous un déluge de bombes, sur une terre dévastée ? Et comment peut-on poser la question du «réalisme» d’une telle opération ? Se demandait-on si les massacres de masse au Rwanda, en Yougoslavie, en Arménie ou en Europe de l’Est étaient «réalistes» ?
Ces médias sont en train de nous habituer à un niveau de violence absolument vertigineux. Quelle est la prochaine étape ? S’ils arrivent à nous présenter l’opération qui s’annonce à Gaza comme un sympathique projet touristique, que sont-ils capables de justifier après ?
Télé Mille Collines
Durant le génocide commis contre les Tutsi au Rwanda en 1994, un média a été l’instrument du crime de masse : la tristement célèbre «Radio télévision libre des Mille Collines». Elle diffusait en permanence, avant le début du génocide, des appels à la violence et répandait des propos et des chansons racistes contre les Tutsi. Après avoir préparé les esprits, elle appelait à «tuer les cafards» durant les massacres et indiquait les endroits où les Tutsi se cachaient.
Plusieurs membres de ce média ont été jugés par le Tribunal Pénal International et condamnés en 2003 pour génocide et incitation au génocide, à des peines de 30 à 35 ans de prison. Une animatrice a été condamnée à perpétuité pour «planification de génocide» et un autre est mort en prison.
Lors du procès de Nuremberg, suite au génocide des juifs par les nazis, Julius Streicher, propagandiste violemment antisémite et ancien directeur d’un grand journal nazi qui appelait sans cesse à la haine contre les juifs, a été exécuté. Par sa propagande haineuse dans la presse, les juges ont considéré qu’il avait activement participé au génocide. Répandre des idées criminelles et justifier de telles pratiques n’est pas innocent ni abstrait. Aujourd’hui pas plus qu’hier.
France Info, TF1, Cnews, BFM, I24 et les autres plate-formes qui cautionnent et tentent de générer du consentement à propos de l’un des pires crimes contre l’humanité du XXIème siècle seront-elles, elles aussi, jugées un jour pour leur complicité ?
Rendront-elles des comptes pour leur contribution à un crime qui restera gravé dans l’histoire ?
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2 réflexions au sujet de « Barbarie médiatique »
Ils sont pas à un génocide prêt et la « justice » (la même qui n’a pas été tondue à la liberation) ne va condamner personne.
Moi j’ai commencé à mettre des stères de côté ^^.
Merci beaucoup, ça fait du bien de faire une petite cure de vérité, de bon sens, d’humanisme, au milieu de ce lavage de cerveau raciste et complètement violent et stupide.
L’histoire jugera les fascistes qui font aujourd’hui le travail de propagande en se donnant des airs ingénus. Insupportable