Comment la presse d’extrême droite recycle les codes des fascistes et des nazis des années 1930

Une couverture du JDD recycle les campagnes anti-maçonniques du nazisme et du pétainisme tandis que le média Frontières affiche une rune d'Odal, un symbole utilisé par les nazis.

Tout le monde se souvient des jours de polémique acharnée contre la France Insoumise après la publication d’une affiche contre Cyril Hanouna au mois de mars. Suite à la diffusion, puis le retrait au bout de quelques minutes, d’un visuel raté représentant l’animateur d’extrême droite grimaçant, l’intégralité de la classe médiatique avait hurlé à l’antisémitisme et perçu une référence aux affiches des années 1930.

Idem lorsque des étudiant-es pour la Palestine avaient brandi des mains rouges pour dénoncer les violences commises par Israël : les éditocrates y avaient vu un symbole occulte appelant à «tuer des juifs», alors qu’il s’agissait d’illustrer l’expression «avoir du sang sur les mains» pour dénoncer les États criminels. Ce symbole est utilisé depuis des décennies dans la plupart des luttes sociales.

On imagine que cette classe médiatique si sensible, traquant les potentiels sous-entendus même quand ils n’existent pas, s’est insurgée contre le JDD et Frontières qui utilisent des symboles ouvertement fascistes ? Pas du tout ! Car cette traque hypocrite et malsaine ne s’applique visiblement pas à l’extrême droite.

Le JDD recycle les campagnes anti-maçonniques du nazisme et du pétainisme

Impossible de ne pas voir, dans le visuel publié le 15 avril par le Journal du Dimanche, un hommage à l’iconographie des années 1930. Avec le titre «La Franc-maçonnerie à l’œuvre pour faire adopter l’euthanasie», le journal de Bolloré affiche en rouge sang sur fond noir le compas et l’équerre symbolisant la Franc-maçonnerie. Les Francs-maçons sont accusés depuis longtemps par l’extrême droite d’appartenir à «l’anti-France» et de comploter pour imposer des mesures allant contre les «valeurs traditionnelles» : droit à l’IVG, mariage pour tous, tolérance, et désormais le droit à mourir dans la dignité. Dans la réalité, la France-maçonnerie, ce sont des «loges» réunissant essentiellement des notables de province, dont un certain nombre de policiers, qui organisent des dîners et partagent des valeurs de plus en plus à droite.

Il n’en reste pas moins que l’imaginaire anti-maçonnique puise ses racines dans le fascisme. Les Francs-maçons sont assimilés aux juifs, comme «ennemis de l’intérieur». Sur les affiches pétainistes comme celles des nazis, on voit le symbole maçon accompagné de l’étoile de David. Il y a 85 ans, sous le régime de Vichy, des milliers de Francs-maçons étaient arrêtés et déportés.

Le directeur du JDD se nomme Geoffroy Lejeune. C’est un militant d’extrême droite, élevé dans des réseaux catholiques traditionalistes, et imposé par Bolloré à la tête du journal en 2023. Avant, il officiait chez Valeurs Actuelles, où il avait publié une couverture antisémite sur George Soros avec le titre «Le milliardaire qui complote contre la France». Une autre montrait un arc de triomphe avec le drapeau algérien ayant remplacé le tricolore, et le titre «Enquête sur le grand remplacement». Le journal avait aussi été condamné pour des dessins racistes de Danièle Obono, députée Insoumise, publiés dans un dossier intitulé «Obono l’Africaine» et représentant l’élue noire en en esclave enchainée.

«Métèques», juifs, franc-maçons : ce sont les cibles historiques du pétainisme. Charles Maurras parlait d’«États confédérés» qui «complotent contre la France» au siècle dernier. Le JDD est littéralement sur la même ligne.

Pourtant, le JDD ne se gêne pas pour instrumentaliser l’antisémitisme. En septembre 2024, il titrait par exemple : «’Ce ministre est… juif’ : polémique après une déclaration de Jean-Luc Mélenchon sur le ministre Benjamin Haddad». Mélenchon avait déclaré : «Le ministre désigné pour s’occuper de l’Europe est acquis à la politique de M. Netanyahou». Il n’a jamais évoqué la judéité du ministre. Voici résumé le piège mortifère des néofascistes : prolonger l’antisémitisme et le pétainisme historique mais instrumentaliser les juifs au service d’un ordre colonial et pro-israélien

Frontières aime la symbolique SS

Frontières est un média de voyous d’extrême droite. Son patron Erik Tegnér est poursuivi pour agression sexuelle. Son secrétaire général Pierre-René Lavier a été condamné pour avoir tabassé sa compagne. Jordan Florentin, son principal reporter, avait renommé son pass sanitaire au nom d’Adolf Hitler pendant la crise du Covid. En 2023 la plupart de ses salariés ont démissionné en dénonçant des violences. Ce média n’a pas hésité à aller harceler l’Insoumis Louis Boyard sur le pas de sa porte, à dévoiler la fiche de police de Raphaël Arnault – fournie par des agents complices – ou a reprendre des termes pétainiste, en qualifiant LFI de «parti de l’étranger» et «anti-France».

Frontières s’est illustré par un dossier particulièrement abject contre la France Insoumise la semaine dernière, avec une liste et un trombinoscope d’assistants parlementaires de gauche. Puisqu’on parle beaucoup de «cibles dans le dos» : ce sont bien les méthodes de ce média. Harceler, faire des listes, livrer en pâture, comme la presse des années 1930 qui appelait à tuer Léon Blum.

Plus troublant encore, ce média utilise un curieux symbole à la fin de ses vidéos. On y voit, pour conclure ses reportages, une sorte de losange stylisé apparaissant en fondu. Ce symbole est peu connu du grand public mais parfaitement identifiable pour quiconque s’intéresse au fascisme et à l’histoire. Il s’agit d’une rune d’Odal, un symbole viking réutilisé par plusieurs générations de nazis.

La rune d’Odal était le symbole de deux unités de la Waffen SS pendant la seconde guerre mondiale. Elle est aujourd’hui un symbole prisé des néonazis et des suprémacistes blancs. Cette rune d’Odal a été taguée sur une mosquée de Limoges et un mémorial de l’holocauste à Seattle, on la retrouvait tatouée sur la main d’un néo-nazi à Nantes en 2019, lors d’une manifestation homophobe, mais aussi à Annecy en mai 2023 dans un rassemblement d’extrême droite ou encore repérée par le Réseau Angevin antifasciste tatouée sur l’avant-bras d’un néo-nazi de la ville. Elle est moins voyante que la croix gammée, mais signifie la même chose.

La Licra – Ligue contre le racisme et l’antisémitisme – et le Comité international d’Auschwitz, fondé après la Seconde Guerre mondiale par des survivants de la Shoah, classent eux aussi la rune d’Odal parmi les symboles nazis.


En résumé, une affiche dénonçant Hanouna, restée en ligne quelques minutes, aura provoqué une immense tempête médiatique, mais l’usage de symboles du fascisme historique suscite l’indifférence de la presse et des défenseurs d’Israël.


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