
La déferlante de l’Intelligence Artificielle est partout. Les prophètes du numérique annoncent une quasi disparition des emplois humains dans les années à venir, et Amazon licencie déjà des dizaines de milliers de salariés. Le militant libertarien Laurent Alexandre, fondateur du site Doctissimo et militant de l’Intelligence artificielle, sillonne les plateaux pour présenter son livre intitulé… «Ne faites plus d’études» ! Il a même déclaré sur RMC : «La plupart des cursus sont inutiles. Un master de sociologie c’est une tache, il faut l’effacer de son CV».
Un anti-intellectualisme brutal, qui méprise le savoir humain et l’esprit critique. Comme si des algorithmes possédés par des milliardaires de la Silicon Valley pouvaient remplacer des siècles de connaissance du monde social et de discussions sociologiques ou philosophiques. Le rêve des gouvernants d’extrême droite, qui suppriment les sciences sociales dans les universités, serait ainsi réalisé par les ordinateurs.
L’IA déferle sur internet : Donald Trump et Elon Musk l’utilisent pour réaliser de petits clips de propagande. Par exemple, le 26 février, le compte officiel de la présidence des USA publiait une vidéo grotesque montrant Gaza transformée en centre touristique, avec le territoire palestinien façonné à l’image de Trump, qui se prélasse sur une plage, cocktails à la main avec Netanyahou, mangeant du houmous sous une pluie de dollars. En novembre, le compte de Trump diffusait une vidéo du président dans un avion, larguant des déjections sur les manifestations d’opposition. Ces pratiques infusent partout : on voit désormais régulièrement des vidéos militantes ou des visuels d’appel à manifestation entièrement générées par IA. Il est en effet tentant d’obtenir sa vidéo sans avoir à faire le moindre montage, ou de sortir son affiche ou son tract en trois clics. Rien ne semble en mesure d’arrêter ce rouleau compresseur.
Mais c’est cette statistique étonnante qui interpelle le plus. L’agence californienne Graphite constatait dès novembre 2024 que le nombre d’articles «générés par l’IA et publiés sur le web dépasse celui des articles rédigés par des humains». Cette croissance «coïncide avec le lancement de ChatGPT en novembre 2022. Après seulement 12 mois, ces articles représentaient près de la moitié (39%) des articles publiés». Ils sont aujourd’hui plus de 50%. Depuis près d’un an, plus de la moitié du contenu en ligne ne serait donc pas créé par des humains, et d’ici 2026 certaines projections parlent de 90%. La nature même d’internet est en train de changer.
Ces chiffres peuvent toutefois être nuancés. Il faut des contenus humains pour «nourrir» la machine artificielle, qui utilise les contenus existants pour «apprendre et générer» les siens. Sans dessins ni photos prises par des humains, sans livres ni connaissances humaines, l’IA ne peut rien produire. La machine répète, reproduit, reconfigure, en passant par le filtre d’un algorithme. De même, une grande partie du contenu en ligne est généré par des robots et regardé par des robots, qui créent ainsi de «l’engagement» et des «vues» artificielles. Il y a même des fermes de robots chargées de liker ou de commenter des contenus pour le compte d’entreprises, d’États ou de partis politiques.
C’est dans les médias que cet usage de l’IA doit nous inquiéter. En France, les syndicats de journalistes dénoncent déjà fortement l’irruption d’articles générés par des machines dans la presse. Mais ils crient dans le désert. Dès la fin 2023, le syndicat de journalistes SNJ critiquait un «protocole d’accord» entre l’ONG Reporters sans frontières (RSF) et l’Alliance de la presse d’information générale (APIG), le syndicat patronal qui regroupe «les éditeurs de presse écrite quotidienne nationale, régionale, et de la presse hebdomadaire régionale» à propos de l’IA. Il s’agissait de valider une «expérimentation de très grande envergure» de l’IA dans la presse.
Début 2025, le SNJ s’indignait à nouveau : «L’IA pille nos contenus, menace nos métiers et ruine notre crédibilité». Et utilisait l’exemple d’un concours organisé par le journal local «L’Est Républicain». Des jeunes polytechniciens étaient invités à animer un concours avec les journaux L’Équipe, la Voix du Nord ou Ouest France, pour les former à utiliser l’IA et «montrer tout le potentiel de l’outil lorsqu’il est utilisé dans un projet destiné aux lecteurs et l’aide qu’il peut apporter aux journalistes».
Les équipes devaient utiliser l’IA pour rédiger des contenus de faits divers. Elles devaient «se servir de son potentiel pour développer une narration originale, développer une histoire ou expliquer un thème. Les différents outils d’IA (ChatGPT, Eleven Labs, Notebook LM) ont été utiles et ont permis de créer des courts textes».
À l’arrivée, des «erreurs factuelles et anachronismes à la pelle» explique le SNJ. Même les images d’illustration générées par IA ne correspondaient pas. Par exemple, pour illustrer un article sur des anarchistes du siècle dernier, l’IA avait généré une image de black bloc. L’outil n’est pas encore totalement au point, mais il progresse vite, et il deviendra bientôt difficile de discerner des images artificielles de celles tirées de la réalité, avec tous les risques que cela comporte. Si l’on peut douter de n’importe quelle photo historique, parce que l’IA est capable de générer des archives hyper-réalistes d’une guerre ou d’un fait passé, alors rien ne peut plus être prouvé, et tous les crimes contre l’humanité peuvent être remis en cause par des négationnistes.
Quoiqu’il en soit, puisque la presse repose sur un modèle capitaliste, il est clair que la plupart des titres se reposeront bientôt essentiellement sur des IA plutôt que sur des journalistes pour rédiger la plupart de leurs articles. Les «pigistes», chargés de rédiger de petits articles synthétiques et neutres à la chaîne sur l’actualité, sont menacés.
Chez Contre Attaque, nous faisons le choix de ne jamais utiliser d’IA, même quand cela nous permettrait de gagner du temps ou de réaliser de meilleurs visuels. Nos lecteurs et lectrices attentifs nous signalent parfois des fautes d’orthographe dans nos articles, qui sont aussi un signe que nous ne sommes pas passé par le filtre des algorithmes. Nous préférons quelques coquilles à des textes formatés.
Pour autant, il va être de plus en plus dur de survivre dans un paysage médiatique dominé par des empires aux mains de milliardaires fascistes, et au milieu d’une jungle de contenus foisonnants générés en quelques seconde sans contrôle ni vérification. Alors pour faire vivre un média sans subvention, sans pub et sans IA : soutenez Contre Attaque !
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