Vendredi 13 novembre 2015, il y a 10 ans jour pour jour, une date devenue cauchemardesque.

De terribles attentats frappent Paris. Des commandos équipés de ceinture d’explosifs et de fusils d’assaut sillonnent la capitale pour causer le plus de victimes civiles possible. Une équipe roule de terrasse en terrasse, elles sont pleines en cette soirée plutôt douce pour la saison. Les tueurs multiplient les massacres aveugles pendant des dizaines de minutes.
Dans la salle de concert du Bataclan, c’est l’horreur absolue. Des rafales claquent au milieu d’un morceau de hard rock, 90 personnes sont lâchement assassinées par trois tireurs. Lorsque la police intervient, la pièce n’est déjà qu’un enchevêtrement de corps agonisants. Une scène de guerre. Autour du stade de France, un groupe de djihadistes se fait exploser à la fin d’un match. Leurs ceintures, défectueuses, tuent une personne, un chauffeur de bus. Elles auraient pu causer beaucoup plus de victimes.
Au total, 130 personnes sont assassinées en quelques heures. C’est l’effroi. Derrière ces attaques, une multinationale de la terreur : Daesh. Un groupe djihadiste réactionnaire et totalitaire, produit de la guerre en Irak, financé par des pétromonarchies du golf et couvert par des entreprises occidentales comme Lafarge. Ces attentats visaient, selon leurs auteurs, à «venger» des frappes de l’armée française en Syrie. Le 13 novembre, c’est une bascule irréversible dans l’histoire politique française.
ÉTAT D’URGENCE
Le soir même, François Hollande décrète avec une gourmandise mortifère l’État d’urgence sur l’ensemble du territoire national, une première depuis la guerre d’Algérie. Le Régime démocratique est aboli de fait. La France entre dans un régime d’exception durable, qui ne sera jamais vraiment levé. Dès les heures suivantes, 3.579 perquisitions administratives sont lancées dans tout le pays, frappant dans leur grande majorité des musulmans et des musulmanes. Qu’importe si cette vague de descentes policières n’aboutira qu’à l’ouverture de seulement six procédures : l’antiterrorisme est d’abord un spectacle, une mise en scène islamophobe. Des familles voient leurs portes défoncées à l’explosif, des agents cagoulés et armés débarquent dans les chambres d’enfants. La terreur répond à la terreur.
Ces attentats servent depuis 10 ans à justifier toutes les mesures les plus liberticides et dangereuses : armement permanent de tous les policiers, extension du permis de tirer qui a causé la mort de dizaines de personnes depuis 2015, surveillance de masse, reconnaissance faciale… Les assassins du 13 novembre auront gagné au moins de ce point de vue : contribuer à transformer la France en régime autoritaire, à créer une suspicion généralisée.
BOMBARDEMENTS
Quelques heures seulement après les attentats, le président socialiste annonce une vague de bombardements en Syrie. 10 avions de guerre Mirage décollent d’une base en Jordanie pour aller larguer leurs bombes sur la ville de Raqqa. Une démonstration de force médiatisée : c’est le plus important raid décidé sous Hollande, qui se félicite d’un «bombardement massif». L’opération est une vengeance d’État qui n’a aucun objectif militaire et qui s’exerce en dehors de tout cadre légal.
Trois ans plus tard, l’ONG Amnesty International rend un rapport qui écrit que la coalition composée des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne «a utilisé de nombreuses munitions explosives imprécises dans des zones peuplées de civils. La coalition a tué des centaines de civils pour finalement laisser partir les combattants de l’État islamique». Au moins 1600 civils ont été tués en quelques années sous les bombes occidentales. La Syrie est aujourd’hui un champ de ruine dévasté, et les «terroristes» d’hier sont désormais au pouvoir, reçus en grande pompe dans les palais occidentaux.
ÉTAT ISLAMIQUE, GUERRE, FASCISME
L’État Islamique n’est pas vraiment une organisation fasciste, mais les filiations entre l’extrême droite et le djihadisme contemporain sont nombreuses : culture de la force brute, de l’autorité, de l’ordre. Les cibles sont les mêmes, il s’agit toujours de s’en prendre aux juifs, à la culture – par les autodafés ou la destruction de vestiges – aux femmes ou aux homosexuels, en s’appuyant sur la violence et la propagande. Celles et ceux qui s’opposent sont éliminés physiquement.
L’horizon politique énoncé par Daesh est de construire un État impérialiste et totalitaire. Le takfirisme est une petite secte sanguinaire dont l’objectif est de provoquer la guerre civile entre «vrais musulmans» et «mécréants», entre purs et impurs. Une tâche à laquelle s’attèlent également fort bien de nombreux dirigeants occidentaux et toute une partie de l’extrême droite lorsqu’ils parlent de «guerre de civilisation». Les deux faces d’une même pièce mortifère.
État Islamique et fascistes portent des idéologies de mort. Dans les années 1930, les franquistes criaient «Viva la muerte !» – «Vive la mort» – et les adeptes de Mussolini reprenaient le slogan «Me ne frego» – «La mort, je m’en fous». En 2012, le tueur Mohammed Merah déclarait «J’aime la mort comme d’autres aiment la vie». La propagande de l’État Islamique promeut systématiquement le martyr et le meurtre comme un horizon désirable.
Le djihadisme et le fascisme sont des produits de la guerre et du système carcéral. Le nazisme s’est forgé sur les cendres de la première guerre mondiale alors que Daesh naît dans l’Irak dévastée par l’armée américaine. Dans les années 1920 Hitler assoit son aura depuis sa cellule de prison alors que les camps de détention américains des années 2000 sont des incubateurs du djihadisme, de même que Coulibaly ou Merah sont fanatisés derrière les barreaux des prisons françaises.
Dans les années 1990, lors de la guerre civile algérienne, les groupes djihadistes vont massacrer en priorité les personnalités de la gauche. En Syrie, la gauche révolutionnaire est décimée à la fois par l’armée de Bachar El Assad et par les groupes islamistes, transformant un grand soulèvement populaire en atroce guerre civile communautaire et religieuse. En octobre 2015, 85 manifestants d’extrême gauche turcs et kurdes sont tués par des kamikazes à Ankara. Plus tôt dans l’année, l’assassin antisémite Coulibaly commet son massacre avec des armes fournies par un néo-nazi : Claude Hermant. Lafarge a collaboré avec Daesh en Syrie, par l’intermédiaire d’un dirigeant de l’entreprise, par ailleurs membre du Front National. Ceux qui décapitent pour un dessin ou une parole sont des fascistes et doivent être traités comme tels.
DÉCHÉANCE DE NATIONALITÉ
La déchéance de nationalité est un vieux fantasme de l’extrême droite : la nationalité est considérée comme un privilège qu’on peut retirer à des individus pour les expulser ou les rendre apatrides.
Sous le régime de Vichy, Pétain retire leur nationalité française à 15.000 personnes, dont 7.000 Juifs. Il étend cette déchéance aux Français se trouvant à l’étranger, pour frapper les résistants partis en Angleterre. Le 16 novembre 2015, François Hollande déclare au Parlement vouloir étendre la déchéance de la nationalité française aux binationaux nés français. Une mesure réclamée depuis longtemps par le Front National.
Plusieurs ministres démissionnent. Le projet est jugé potentiellement inconstitutionnel, et sera finalement abandonné quelques mois plus tard. Hollande a voulu courir derrière l’extrême droite et s’est pris les pieds dans le tapis du racisme.
COP 21
L’état d’urgence permet l’assignation à résidence de toute personne dont il existe «des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics». C’est pratique, la police peut désigner n’importe quel opposant comme «menaçant» et le priver de liberté sans avoir à rendre de comptes. Le Ministère de l’Intérieur va ainsi interner arbitrairement à domicile 404 personnes, parfois pour plusieurs mois, en-dehors de toute procédure.
Dès le 14 novembre, alors que le sang des victimes des attentats n’est pas encore sec, une vague de perquisitions frappe les milieux écologistes et anarchistes. À Ivry, une équipe de policiers entre dans une habitation et menotte les occupants. «Deux flics braquent leur arme sur moi et me disent ‘à genoux !’» raconte l’un d’eux. Ils retournent la maison et assignent à résidence plusieurs habitants. À Rennes, une quinzaine d’agents entre arme au poing dans un appartement en criant aux habitants de s’allonger au sol. «Ils nous ont menottés. J’ai pensé qu’ils allaient nous interpeller, ils ne nous disaient rien […] Ils ont fouillé chez nous, et c’est seulement à la fin qu’ils nous ont parlé des assignations».
Nous sommes quelques jours avant la COP 21, un sommet international sur le climat à Paris. Alors que des mobilisations écologistes massives étaient prévues de longue date pour faire pression sur les gouvernants, l’État français utilise immédiatement et sans complexe l’arsenal antiterroriste contre les opposant·es. Ces procédés seront réutilisés quelques mois plus tard pour réprimer le mouvement contre la Loi Travail.
ASSAUT DE SAINT-DENIS
18 novembre 2015. Toutes les chaînes d’information sont en boucle sur «l’assaut de Saint-Denis». Les policiers d’élite sont en train d’attaquer «l’appartement conspiratif» des terroristes. La mise en scène est héroïque. Sur les plateaux, on parle pendant des heures du chien Diesel, envoyé par les policiers, et tué dans l’assaut. Le ministre de l’Intérieur prétend que ses troupes ont «essuyé le feu pendant de nombreuses heures dans des conditions qu’ils n’avaient jusqu’à présent jamais rencontrées». Tout le monde acclame les forces de l’ordre.
Les enquêteurs dépêchés sur place découvrent un immeuble détruit. Des centaines de munitions ont été tirées. Ils trouvent aussi des morceaux de visage et de colonne vertébrales des terroristes. Mais pas de fusils d’assaut. Ils ne trouveront qu’un pistolet Browning. Des «tirs nourris» ? En réalité, seulement 11 coups de feu ont été attribués par les experts de la police aux djihadistes, contre 1.500 tirs des policiers d’élite. L’essentiel des balles reçues par le groupe d’intervention de la police nationale a été le fait de… ses propres hommes, situés en contrebas, qui ont tiré sur leurs collègues pendant des heures ! Le bouclier est criblé de balles venues des agents. Même le chien Diesel a probablement été tué par ses propres maîtres. La crème de la crème de la police française s’est auto-mitraillée.
La sinistre farce ne fait pas rire les habitant·es. Un voisin de palier âgé de 63 ans a reçu un tir dans le bras avant d’être mis en garde à vue alors qu’il n’avait rien à voir avec les faits. Un homme de nationalité égyptienne habitant dans l’immeuble d’en face reçoit une balle d’un tireur d’élite alors qu’il mettait les bras sur la tête. De nombreux·ses habitant·es racontent leur peur d’avoir été mis en joue, à l’aube, par des hommes cagoulés, et les menaces criées aux gens qui regardaient à leurs fenêtres. Quant aux habitant·es de l’immeuble détruit, ces familles précaires ont vécu pendant de longs mois dans un gymnase et dans des hôtels sans être relogées, méprisées jusqu’au bout.
Après le 13 novembre, l’État français a fait la démonstration de l’étendue de son savoir-faire : vengeance sanglante par bombardements, destruction des libertés publiques, islamophobie de masse, incompétence policière vertigineuse et répression.
En 2015, un cauchemar a commencé, et nous n’en sommes jamais sortis. La mâchoire obscurantiste d’un côté, celle de la répression militarisée de l’autre, qui tentent de broyer les horizons émancipateurs.
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