Appel aux Nantais et Nantaises pour une réorientation de leur générosité

Donner de soi, donner de son temps, donner de son argent au profit d’une cause, c’est toujours pour une part accomplir un acte qui permet de mettre ses pratiques en conformité avec son sentiment de “devoir-être”. C’est tout bête, mais c’est ainsi que l’on se sent heureux et satisfait de donner et c’est aussi pour ça que souscriptions et cagnottes diverses peuvent connaître de bonnes fortunes.

Par une sorte de hasard, deux appels à souscription ont été ouverts à peu près en même temps à Nantes en cette seconde semaine de mars 2018. L’un en faveur de jeune exilés sans abris expulsés de l’Université de Nantes sur demande de son président. L’autre au profit de l’Arbre aux hérons, «arbre extraordinaire dans un jardin extraordinaire» selon le mot de Johanna Rolland, maire de la ville. Notons que la presse locale, certes avec quelques différences dans le ton et la forme des annonces, a informé ses lecteurs de l’ouverture de ces deux appels à l’aide économique.

Dans le premier cas, il s’agissait, pour les donateurs, de participer autant que faire se peut à la constitution d’un fond d’aide d’urgence destiné à donner à plus d’une centaine de personnes brutalement remises à la rue les moyens d’une survie la plus décente possible. À partir de rien, à partir d’une caisse à peu près vide au départ.

Dans le second cas, l’appel à souscription visait à inviter à participer, à hauteur de quelques pauvres 100.000 euros, au bouclage du budget de 35 millions d’euros prévu pour la construction d’une belle «structure monumentale sur laquelle pourront déambuler et s’amuser 400 personnes».

Venons-en aux résultats différenciés de ces deux collectes constatés le samedi 10 mars :

Depuis mercredi 7 mars, soit en trois jours, la collecte organisée en faveur des migrants à la rue a recueilli 3260 euros. Pour sa part, la souscription pour l’Arbre aux hérons avait intégralement atteint son objectif de 100.000 euros moins de 24 heures après son lancement le mardi 6 mars au matin. À 13h, ce jour là, la totalité de la somme avait déjà été récoltés grâce à 1500 contributeurs ayant chacun versé 70 euros en moyenne – à 14 h, ce samedi 10 mars, on comptait environ 800 contributeurs de plus, soit 2311 en tout, pour un montant moyen resté équivalent).

Ainsi les donateurs de ces deux opérations distinctes ont finalement consacré cette semaine une somme près de 30 fois moins importante à la satisfaction minimale des besoins vitaux de jeunes exilés en danger, y compris des mineurs, qu’à celle de la satisfaction du million de visiteurs annuels attendus qui pourront, à partir de 2022, profiter à Nantes d’une «structure monumentale sur laquelle [ils] pourront déambuler et s’amuser».

Bref, d’un côté 3620 euros pour que plus d’une centaine de personnes puissent manger, dormir, s’abriter, se laver, se soigner… ; de l’autre 100.000 euros pour que 400 personnes puissent quotidiennement “s’amuser” dans un futur proche – mais pas encore advenu (on ne sait jamais !).
De quoi être profondément révolté et dégoûté par la générosité différentiellement exprimée en actes à Nantes cette semaine !

Quelques remarques :

  • À quoi peuvent bien servir ces 100.000 euros de dons pour le futur parc d’attraction nantais ? Le budget – pharaonique – de 35 millions d’euros, est déjà financé par de l’argent public et des entrepreneurs. La somme de 100.000 euros est donc dérisoire, insignifiante, et même superflue. L’objectif n’est pas économique. Il s’agit simplement d’une opération de communication, comme les élus socialistes adorent les orchestrer. Cet appel aux dons est, pour les promoteurs du projet, une façon de «partager une expérience» – ce sont leurs mots. Dans tout Nantes, de grandes affiches appelant à faire des dons pour l’Arbre au héron ont été placardées aux arrêts de bus. Des vidéos et des graphismes réalisés par des professionnels ont été diffusés sur internet pour promouvoir l’opération. Combien a coûté cette campagne publicitaire ? Au minimum quelques dizaines de milliers d’euros. En bref, les dons serviront à couvrir les frais de campagne de com’… appelant à faire des dons ! Astucieux.
  • Dans une des vidéos promotionnelles diffusées sur le net, Pierre Oréfice, directeur du projet, s’adresse, en anglais, aux futurs donateurs, et parle d’un «grand défi industriel et technologique». À qui s’adresse-t-il ? Visiblement, pas au public nantais. L’objectif est de faire venir des touristes et des cadres d’autres pays. Dans la même vidéo, les concepteurs comparent l’arbre au héron à une «Tour Eiffel du grand ouest» et même, sans rire, aux «jardins suspendus de Babylone». Jolie modestie. Après l’abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, il faut mettre en avant de nouveaux grands projets pour prouver le «dynamisme de la métropole». L’arbre au hérons se retrouve donc survalorisé par les communicants.
  • Le 6 mars au soir, Un millier de participants avaient donné plus de 82.000 euros. Quasiment 100 euros par personne en moyenne. Qui a les moyens de débourser autant d’argent pour une structure en fer et en bois ? Des entreprises ? Des jeunes cadres dynamiques ? Des associations perfusées par les subventions municipales ? Certainement pas les centaines de milliers d’habitants de l’agglomération qui galèrent au quotidien pour se loger et se nourrir, en tout cas.
  • Derrière un projet consensuel, culturel et touristique, il y a en réalité un immense projet d’aménagement urbain de tout l’ouest de Nantes. L’arbre au héron n’est que la figure de proue d’un plan résidentiel et commercial de plusieurs dizaines de milliers mètres carrés dans tout le quartier Chantenay, qui chassera les habitants actuels, et en particulier les plus précaires. Pour faire accepter l’aménagement de la ville, les socialistes fabriquent toujours des attractions culturelles avant d’envoyer les bulldozers.
  • Un peu d’optimisme. Intéressons nous non plus aux donateurs et au volume des sommes collectées mais aux bénéficiaires des contributions versées. En donnant 3620 euros au profit des 110 migrants expulsés des locaux de l’Université de Nantes, les nantais ont en effet accordé en moyenne à chacun d’eux la somme de 33 euros. En revanche, les généreux donateurs de l’Arbre aux Hérons qui ont versé un total de 100.000 euros au profit «d’un million de visiteurs annuels» escomptés n’ont de fait accordé que 10 euros à chacun d’eux. Petits joueurs, ont-ils donc été, finalement !
  • Pour encourager la solidarité nantaise envers les migrants et renforcer la “visibilité mondiale” de Nantes en tant que «Ville d’accueil des migrants du monde» – et en cela admirable -, nous prions tous les nantais généreux qui n’ont pu souscrire au profit de l’Arbre aux hérons avant que la somme de 100.000 euros soit atteinte de bien vouloir réorienter dès à présent leur générosité vers la cagnotte ouverte au profit des migrants et des sans-abri à l’adresse suivante : https://www.colleo.fr/cagnotte/10222/nantes-avec-les-exile-e-s
  • Exigeons que le directeur de l’entreprise «Les machines de l’île» en charge du projet, redistribue toutes les sommes collectées depuis que les 100.000 euros ont été atteints, pour l’accueil des migrants à la rue et des sans-abri en général. Depuis mardi dernier 13h, l’Arbre au hérons bénéficie d’une dotation excédentaire de 57.000 euros dont n’ont absolument pas besoin “Les machines de l’île” dans la mesure où elles n’espéraient récolter que la somme de 100.000 euros.

Gageons que nombreux seront celles et ceux qui comprendront ici qu’il y a sans nul doute plus de profit moral et humain à mettre ses pratiques en conformité avec son sentiment de devoir-être en venant en aide à des personnes vulnérables qu’en le faisant au profit d’un arbre de métal et de bois dont le budget de construction est déjà bouclé !


Mise à jour : plus de quatre années après cet article, le projet d’arbre aux hérons était abandonné. Les exilés, eux, doivent toujours se mobiliser pour une prise en charge décente par les pouvoirs publics.

Faire un don à Contre Attaque pour financer nos articles en accès libre.

Pour ne rien manquer de nos publications, suivez-nous sur nos réseaux