Un vaste cortège mené par les exilés en lutte et leurs soutiens. Un grand banquet dans la rue. Une chorale habillée en bleu de travail. Des percussions et des maquettes de maisons. Des couvertures de survie transformées en capes ou en écharpes. Des chants, des danses et des slogans. Des affiches sérigraphiées. Et surtout des centaines de pieds de biches de toutes les tailles, symbolisant la réquisition des logements vides pour héberger les personnes privées de toit.
La manifestation contre toutes les expulsions est belle et dynamique dans les rues de Nantes, le 31 mars. C’est le jour de la fin de la trêve hivernale, signifiant des menaces accrues contre les lieux occupés. Malgré une météo hivernale et un déploiement policier, comme toujours, ridiculement disproportionné et dangereux. Dans le cortège, on croise aussi bien des étudiants en lutte depuis plusieurs semaines à l’université que des habitants de la ZAD, des militants associatifs, des autonomes et des centaines de nantais de tous les âges solidaires des mouvements d’occupation qui défraient la chronique locale depuis l’automne. Il y a 2000 manifestants. La plus grande manifestation sur la thématique du logement, des expulsions et de l’exil depuis bien longtemps.
«Un hélicoptère, ça coûte plus cher, que de loger, les gens dans la galère»
Les manifestants
Les jours précédents, la préfecture a tout fait pour créer un climat d’extrême tension. Communiqués anxiogènes, dispositif répressif délirant –500 CRS et sans doute presque autant de gendarmes mobiles, soit près d’un policier pour deux manifestants –, et provocations délibérées. Voir des exilés, des jeunes et des ZADistes converger au cœur de Nantes est inacceptable pour le pouvoir.
C’est ainsi que le parcours annoncé publiquement par les organisateurs est systématiquement contraint tout au long de la manifestation, obligé d’emprunter des rues qu’il n’avait pas choisies, et totalement isolé de la population par plusieurs rangées d’hommes armés. Cours des 50 Otages, un simple tag suscite une charge de gendarmes qui matraquent et tentent de couper tout l’avant du cortège. Absurde. Plus loin, alors que la manifestation touche à sa fin, et qu’on appelle à se rendre collectivement jusqu’à l’ancien EHPAD devenu centre d’hébergement, à l’ouest de Nantes, la hiérarchie policière décide de nasser le cortège en plein cœur de la ville. Une manœuvre irrationnelle, uniquement destinée à briser les manifestants, et à les empêcher de finir tranquillement le défilé. Un morceau de cortège qui tente de se frayer un chemin est copieusement frappé et gazé dans une ruelle. Le grand pied de biche confectionné par les manifestants est saccagé par les gendarmes. Quelques minutes plus tard, une ligne hétérogène de manifestants, composée notamment de syndicalistes, mains en l’air, avance à nouveau vers une ligne de gendarmes, en demandant simplement de pouvoir disperser la manifestation. Coups, gaz, charges, à nouveau.
«Nous avons traversé la méditerranée pour arriver là. Vous pouvez charger, on n’a pas peur de vous.»
Un exilé face aux policiers
Constatant l’impossibilité de finir tranquillement le défilé, les manifestants font preuve d’un sang froid incroyable. Un appel à se retrouver devant l’EHPAD ultérieurement circule. Là bas, la fête est un peu gâchée. De grandes fresques peintes sur des toiles de dix mètres de haut, préparées en amont, et qui devaient être déployées sur le bâtiment à l’arrivée de la manifestation sont finalement déroulées devant quelques dizaines de personnes. Soudain, une détonation retentit dans la rue. Des miliciens de la BAC, cagoulés, viennent de jeter une grenade de désencerclement devant le bâtiment. Braquant la foule rassemblée avec leurs armes, les policiers viennent à nouveau de créer ex-nihilo, une montée en tension devant le lieu, pourtant non expulsable, où vivent les exilés. Des dizaines de CRS débarquent. Devant le caractère irrationnel de ce coup de pression aux allures fascistes, des élus finissent par exiger le repli du dispositif policier. Cet épisode démontre que la police française, largement acquise aux idées d’extrême droite, se permet, en toute autonomie, de venir commettre des agressions devant des lieux de vie, dans le seul but de provoquer un affrontement, pour justifier une expulsion. Nous apprenons que deux personnes ont été interpellées, et qu’un jeune exilé a été tabassé dans une voiture de police banalisée.
Cette journée aura été marquée par la réussite de cette manifestation énergique, mais aussi par une escalade supplémentaire dans la stratégie de la tension organisée par une police de plus en plus ouvertement raciste.
Ces humiliations, brimades, violences et intimidations répétées pourront-elles continuer indéfiniment sans provoquer d’explosion ?