Deux mois jour pour jour après la disparition de Steve à Nantes.
Impunité totale pour la police, répression des personnes solidaires.
LES FAITS
22 juin 2019, au cœur de la nuit, au bord de la Loire. Comme chaque année, lors de la fête de la musique, des milliers de personnes dansent, chantent, boivent. Des enceintes crachent du son au bord du quai, au cœur cette zone déserte de l’île de Nantes. Cette année, la police débarque. Survoltée. Sans sommation, un déluge de gaz lacrymogène. L’explosion de grenades. Pour quelques notes de musique de trop, la violence se déchaîne. Des fêtards sont tabassés au sol. Certains courent au milieu de la fumée âcre. Aveuglés. D’autres sont blessés. Des balles en caoutchouc sont tirées. La panique est immense. 14 personnes tombent dans la Loire. «Il faut imaginer des centaines de personnes qui hurlent en courant dans tous les sens, des bruits de ‘plouf’ dans l’eau, du gaz partout, des détonations de grenades, des flics qui frappent des gens» décrit une jeune femme. «Quand on est allés voir la police pour leur dire qu’il y avait des gens à l’eau, on s’est fait envoyer balader : ‘Cassez-vous ou on vous embarque!’», «c’est pas notre boulot, c’est celui des pompiers» racontent d’autres témoins.
Steve, animateur périscolaire de 24 ans, ne réapparaîtra pas. Sa famille l’a vu partir ce soir là, et ne l’a plus jamais revu. Mort pour avoir dansé. Pendant plus d’un mois, les murs de Nantes, et du pays se couvrent de la même question : «Où est Steve ?» Les proches s’interrogent sur la faiblesse des recherches dans le fleuve. Des marches blanches sont organisées.
Le 29 juillet, macabre découverte. Le corps de Steve reposait depuis 38 jours dans le lit de la Loire, à quelques mètres seulement de la charge policière du 21 juin. Juste en contrebas de la grande grue jaune, des jeux d’enfants et des attractions touristiques de l’île de Nantes. C’est un bateau navette de transport en commun qui l’a retrouvé. Pas les autorités qui devaient mener les recherches.
L’émotion touche tous les nantais et les nantaises. Beaucoup avaient un ami, une fille, un cousin, une pote qui se trouvait sur le quai Wilson le 21 juin. Du reste, Steve est le troisième décès lié à la police en seulement deux ans à Nantes. Le jeune Aboubacar avait été abattu un an plus tôt par un CRS dans le quartier du Breil. Et Abou, père de famille, mort asphyxié lors de son interpellation à l’automne 2017. Toutes ces morts sont restées impunies.
MOBILISATION
La vérité ne s’impose jamais d’elle même. C’est un combat. À la télévision, les proches du pouvoir se sont immédiatement acharnés à faire exister un récit mensonger. «Y’en a qui ont pu se jeter dans la Loire volontairement. […] On l’a déjà vu, c’est connu, chaque année à la Fête de la Musique» explique-t-on tranquillement sur un plateau télé. Le préfet de Nantes, lui, répète que la police «agit toujours proportionnellement», et menace de «poursuites» les personnes qui se trouvaient le quai. Il menacera ensuite les mobilisations pour Steve, et contre la répression. Face à ce rouleau compresseur du mensonge, la riposte est plurielle. Affiches dans toute la ville, fresques géantes, marches silencieuses, fontaines teintées de rouge, mobilisation sur les réseaux sociaux, articles et vidéos dévoilant les images de l’attaque policière, dépôt de plainte collective… C’est cette mobilisation, et elle seule, qui a permis que ce scandale ne soit pas enterré tout de suite, discrètement, au cœur de l’été été. Car la justice, si rapide pour mater les désobéissants, est restée mutique pendant ces deux mois.
IMPUNITÉ
À ce jour, l’impunité est absolument totale pour les responsables du drame. Pas un seul policier, ni le commissaire Chassaing qui a lancé la charge, ni le préfet qui l’a couverte, ni le ministre, n’a été inquiété. Pas même un blâme ou une suspension. En France, un jeune peut disparaître lors d’une charge policière lors d’une fête sans qu’il y ait la moindre sanction.
En revanche, les condamnations des personnes scandalisées par la répression sont immédiates. Les manifestations sont criminalisées, décrites comme «dangereuses», «violentes» dans les médias. Alors que la vraie violence serait de ne pas réagir à la noyade d’un jeune nantais. Le 3 août, 1000 policiers sont dépêchés à Nantes pour écraser une manifestation. Des dizaines de personnes sont arrêtées, parfois préventivement. Un homme est condamné à 8 mois de prison ferme. Le message est clair : ne vous avisez même pas de résister à l’État policier.
Trois jours avant, le premier ministre en personne déclarait à la télévision «il ne peut être établi de lien entre l’intervention des forces de police et la disparition de Steve Maia Caniço». Le 21 août, le président répondait aux questions de journalistes sur les violences policières et la mort de Steve : «il n’y a pas de liberté s’il n’y a pas d’ordre public. Notre police a agi dans ce cadre», «la police est toujours intervenue dans le respect de la procédure».
Les autorités feront tout pour enterrer le scandale, refermer la page. La vérité est un combat, la justice aussi.
ET MAINTENANT ?
Le combat ne fait que commencer. Dans les rues, de nouvelles affiches ont remplacé la lancinante question «Où est Steve». À présent, sur la fontaine de la Place Royale, on peut lire : «Où est la Justice ?» Ou encore cette terrible interrogation : «Qui après Steve ?»
Car la charge de la fête de la musique doit nous concerner tous. Cette nuit là, n’importe qui aurait pu recevoir une grenade, un coup, ou tomber dans la Loire. N’importe qui aurait pu disparaître, pour avoir dansé.